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La vandoise au soleil

Inutile d’essayer la vandoise comme le chevesne,
à vue, par plein soleil, sur les eaux de cristal.

Quand j’ai débuté à la pêche à la mouche, il y a bien des jours, hélas ! ce fut sur la vandoise. J’avais acheté, depuis longtemps, dans un bazar, deux ou trois mouches quelconques sans savoir ce que j’en ferais : j’étais encore un asticotier, par hérédité. Mais un soir, après une après-midi de pêche à l’asticot, le crépuscule étant arrivé, je remarquai, à la fin de mon coup, de nombreux moucheronnages de vandoises. Je décidai, avant de partir, d’essayer une de ces mouches. Le hasard voulut que ce fut une noire. De quelle forme ? je ne m’en souviens plus et il importe peu. J’enlevai le flotteur, le plomb et, sans autre modification, attachai ma mouche au lieu et place de l’asticot. Je lançai sur les gobages et je pris une belle vandoise à mon premier coup. $li1380C’était normal, mais je ne le savais pas, alors ! Il était tard, ce n’était qu’un essai, et je m’en allai pensant avoir découvert le Pérou ...

Je m’équipai : longue canne, longue ligne en soie parallèle, moulinet, mouches, et je pêchai en noyée, en travers, en aval, mouche dérivant sans aucun travail. Grâce à la longueur de la canne, je faisais aussi vibrer les mouches en surface : supériorité de la canne longue que je ne reconnus que bien plus tard, après l’avoir abandonnée.

Mais, bientôt, je crus reconnaître, comme le dit un auteur halieutique contemporain, qu’il est « inutile d’essayer la vandoise comme le chevesne, à vue, par plein soleil et sur les eaux de cristal ».

Je ne commençais, en effet, à prendre quelque vandoise qu’à partir de 17 heures, lorsque l’ombre portée de la rive opposée arrivait sur ma rive. À partir de ce moment, la cadence des prises, d’abord lente, très lente, s’accentuait en progression géométrique à la fin du crépuscule. Je devins un amateur passionné du coup du soir, où je faisais des paniers magnifiques de grosses vandoises. (Maintenant on ne leur donne plus le temps de grossir.) Je ne pêchais, alors, qu’en été aux vacances, en août et septembre. J’abandonnai mes vains efforts au plein soleil, je fis, en bon colonial, la sieste et je ne partais que le soir une heure avant le crépuscule. Cela dura longtemps, étant convaincu qu’il était impossible de prendre les vandoises en dehors de ces heures en cette saison au moins. Aujourd’hui je pense encore, comme cet auteur, qu’il est en effet inutile, en août, d’essayer de prendre la vandoise au soleil, mais en août seulement. Le meilleur moment pour se convaincre de ce que je dis ici est de pêcher la vandoise en automne, octobre et novembre, par les belles journées de l’été de la Saint-Martin, tandis que la rivière est encore basse et cristalline, en plein midi, avec de petites Bætis h. 16 en sèche et en amont surtout, mais aussi en aval dans des courants moyens peu profonds où passent les insectes. Lancer dans les parties plus ou moins lisses. Il est parfois difficile et malin de les ferrer parce qu’elles sont « fines ». Pêcher alors le plus court possible sans flottant, récupérer la soie que libère la mouche en descendant, avoir en somme la ligne bien tendue et ferrer d’instinct promptement du poignet. On en rate, mais c’est passionnant. Il en est de même en hiver avec les éphémères noirs (autre Bætis) tout le jour en décembre, janvier, février. Au printemps aussi, mais avec, outre des Bætis verdâtres, quelques gros éphémères et chenilles.

Depuis que de progrès, dus à ma seule expérience, à partir du jour où, enfin libre, je pus aller à la pêche en toute saison, à toute heure du jour, chaque jour !

D’abord, mes vacances n’ayant plus de fin, je continuai à pêcher en octobre, quelque peu sceptique cependant : les résultats m’encouragèrent ; puis en novembre, avec le même espoir réalisé, et je bouclai ainsi plusieurs années, m’ayant prouvé à moi-même, par expérience, que non seulement la vandoise mord en toute saison, presque par n’importe quel temps, et à toute heure du jour, mais qu’aussi elle se fait prendre en plein soleil et à vue comme le chevesne à la condition de la pêcher, comme lui, en mouche sèche. C’est d’ailleurs en péchant le chevesne que j’ai commencé à m’en apercevoir, les vandoises étant très souvent avec les chevesnes.

Je réalisai un grand progrès lorsque je pris la décision de pêcher en mouche sèche. Toujours seul — je restai plus de dix ans à pêcher mon coin sans voir un seul pêcheur à la mouche, chose inconcevable dans un pays de pêcheurs à 50 kilomètres d’une grande ville de réputation halieutique indiscutable — ce sont les poissons eux-mêmes qui en furent cause.

À cette époque, on pêchait avec un bas de ligne en gut ou en racine et il fallait le faire tremper pour éviter la casse. Or je remarquai plusieurs fois que les chevesnes venaient sauter à mes mouches (par économie et paresse, je les laissais en place) qui, encore sèches, flottaient. Au risque de casser, j’essayai donc un jour avant de commencer en noyée de lancer sur les chevesnes : ils se firent prendre ... Dès lors, je fis des progrès rapides, je remplaçai mes longues cannes en roseau par des cannes en bambou refendu, j’étudiai, dans les livres, les méthodes de lancer, les mouches, que je commençais à fabriquer moi-même d’après les insectes, et je devins ainsi un pêcheur à la mouche sèche, pêcheur non sans défaut et au style douteux. Mais à partir de ce jour, il n’y eut plus de sieste et je pêchai en mouche sèche avec le soleil, en wading, chevesnes, vandoises et truites.

La dernière épreuve décisive et convaincante, ce fut la fourmi ailée qui me l’imposa.

Un jour de fin d’été, vers 13 heures, arrivant au bord de l’eau, je vis d’emblée tout le poisson en gobage sur les fourmis ailées, les vraies. C’était sur un gravier bordé d’aulnes, mais le soleil projetait l’ombre de ces arbres sur la rive et non sur l’eau. J’avais déjà étudié la fourmi, au sujet de la truite, et en avais quelques timides imitations personnelles. J’étais nerveux, impatient de connaître le résultat sur une si belle occasion. Enfin prêt, je me mis à l’eau avec précaution — précaution inutile d’ailleurs, tant le poisson était acharné à gober — et je pêchai en noyée en travers et en aval. Dès les premiers coups, je compris que ça n’allait pas marcher. Mes mouches passaient au milieu des gobages complètement méprisées, pas une touche. Je fis malgré tout une vingtaine de mètres de pêche en descendant, lançant sur les gobages : il y en avait partout, sauf à mes mouches. Désillusionné, je quittai l’eau ; j’abandonnais, vaincu, découragé par cette indifférence. « Pourtant j’ai bien étudié ma mouche : même forme, même taille, même couleur, même finesse presque que l’insecte », disais-je amèrement ! Tout à coup un « si tu essayais en sèche en remontant » traversa mon esprit. Je séchai ma ligne, la graissai — bas de ligne compris, ce qu’il ne faut pas faire — ainsi que les mouches. Je dévalai de quelques mètres pour reprendre là où j’avais abandonné, afin de faire la preuve que ma méthode seule aurait été défectueuse si je réussissais. Je pêchai en remontant la partie que je venais de pêcher en descendant, ce qui n’est pas à conseiller, mais il y avait toujours tant de gobages ! Dès le premier coup, j’eus le plaisir d’avoir une touche et puis je remplis mon panier sur le même parcours, mais en sens inverse, mouche sèche en plein soleil presque à la méridienne, sur les vandoises.

Depuis, avec un peu d’observation obstinée et tenace, de la méditation sur mes exploits heureux et malheureux, une rivière si généreuse quand on l’a conquise, qui avait de si belles éclosions, il en fut de même très souvent quand toute autre circonstance plus ou moins connue n’empêcha pas le poisson de mordre : ce qui hélas ! arrive maintenant de plus en plus souvent ...

Je résumerai en terminant cette question de la pêche de la vandoise au soleil :

Par beau temps ensoleillé et eau claire, la vandoise mord et se prend au soleil, en sèche s’il y a éclosion sérieuse, que ce soit en automne ou en hiver. En hiver et au printemps sur des Bætis (dark et olive duns ; chenilles noires et surtout rousses) ; en automne encore des Bætis plus claires ou des fourmis ailées.

Sans éclosion, il y a peu de chances de prendre la vandoise par ce temps, à moins qu’une grande maison ou château construit sur la rive, un bois touffu, une haute falaise abrupte n’étende une ombre propice sur le coup.

Par temps gris, avec ou sans éclosion, la pêche peut être bonne, mais ceci est une autre histoire.

P. CARRÈRE.

Le Chasseur Français N°630 Août 1949 Page 594