Alors que la fécondation artificielle des salmonidés est
connue depuis au moins cent ans, la fécondation artificielle du brochet
n’existe que depuis quinze ou vingt ans. Ce sont les Allemands et les Suisses
qui l’ont mise au point pour améliorer le rendement de leurs grands lacs.
C’est ainsi qu’au lac de Constance, dans l’Untersee, les
Allemands, grâce à leur ésociculture de Reichenau, sont parvenus, en quelques
années, à faire passer à 20 p. 100 de leurs captures totales le tonnage
des brochets pêchés.
En Suisse, au Léman, et surtout au lac de Neuchâtel,
l’ésociculture est en grand honneur. Je rappellerai que c’est dans des carafes
de Zoug (du nom de la petite ville suisse de Zoug) que se fait l’incubation du
brochet.
Dans ces grands lacs allemands ou suisses, les autorités
permettent la pêche du brochet en temps de fraie aux seuls professionnels.
Ceux-ci doivent apporter leurs captures dans les viviers de leurs barques, à un
seul port, où le garde-pêche vient prélever les œufs et opérer la fécondation.
En France, il serait impossible d’obtenir de pêcheurs
professionnels une telle discipline. D’autre part, il n’est guère possible
d’obtenir en captivité la maturation de géniteurs brochets. Même avec des
piqûres d’extraits de produits ovariens tels que le benzo-œstradiol, même en
amenant doucement les eaux des bassins de stockage à la température de la
fraye, les géniteurs brochets refusent de mûrir les œufs et finissent par
mourir.
Une solution originale a été mise au point par MM. Chimits
et Kreczmer à l’étang du Der (Haute-Marne), très gros centre de production
d’alevins de cyprinidés créé tout récemment par l’Administration des Eaux et
Forêts.
À la queue de ce grand étang, l’écoulement, en mars 1947, de
l’eau provenant d’un étang supérieur mit en évidence l’existence d’une
migration de brochets sexuellement mûrs cherchant à remonter dans l’arrivée
d’eau. Une grille fut mise en travers et intercepta la migration. Les brochets
se collaient le nez contre la grille, étaient très facilement capturables au
carrelet et se montraient sexuellement mûrs.
Un bâtiment d’ésociculture, comprenant une batterie de
trente carafes de Zoug, fut créé l’année suivante.
Malheureusement, au printemps 1948, après un hiver
exceptionnellement doux, une vague de froid très intense et de longue durée
interrompit la fraye et causa la mort de nombreux reproducteurs. La production
d’œufs embryonnés fut insignifiante.
En 1949, une vague de froid se produisit également et dura
huit jours au début de mars. Elle fut trop courte pour être nuisible, et le Der
a produit cette année 1.500.000 œufs embryonnés.
Revenons à l’ésociculture proprement dite.
La fécondation se fait à sec et sans une goutte d’eau.
L’opérateur masse doucement le ventre de la femelle dont il a, au préalable,
bien essuyé le corps avec un linge. Si elle n’est pas mûre, inutile d’insister.
Si elle est mûre, tout comme pour les truites, les œufs coulent d’un jet
continu dans une cuvette bien sèche. On prend ensuite un mâle et le massage
fait couler une ou deux gouttes de sperme. Par précaution, le sperme d’un
deuxième mâle sera également mis sur les œufs. (À noter que les brochets ont
beaucoup moins de sperme que les truites.)
On brasse doucement les œufs avec une plume, à sec, et cinq
minutes après on recouvre dans la cuvette les œufs de quelques centimètres
d’eau. Après dix minutes de repos, les œufs sont mis dans un seau d’eau et
portés dans l’ésociculture, où ils sont renversés dans la carafe de Zoug.
La carafe de Zoug est une bouteille sans fond de 4 à 5 litres,
renversée sur un ajutage et dans laquelle un robinet inférieur permet un débit
d’eau tourbillonnant qui maintient les œufs de brochet en une masse mouvante en
suspension.
Une telle carafe sert à l’embryonnement des œufs de
brochets, de corégones et d’ombres. L’éclosion des œufs a lieu un nombre de
jours après la fécondation variable d’après la température de l’eau. Ce nombre
de jours est N = 120 / T, T étant la température de l’eau.
Donc, à 10°, douze jours sépareront la fécondation de l’éclosion.
Mais vers le septième ou huitième jour, et plus exactement
vers 75 degrés-jours, l’œuf devient embryonné, c’est-à-dire que les yeux
de l’embryon apparaissent sous forme de deux points noirs, et l’œuf prend une
couleur caractéristique brunâtre. Il peut dès lors être transporté, même à
longue distance.
On le mettra sur des clayettes en toile (semblables aux
clayettes de transport des œufs de truite) à raison de 10.000 par clayette
normale. Les clayettes seront empilées, surmontées d’un caisson à glace et
mises dans une caisse où elles seront bien calées par de la mousse ou de la
sciure de bois. Avec un tel emballage, les œufs de brochet pourront supporter
un voyage de vingt-quatre heures.
La pisciculture du Der a produit cette année 25 caisses
de 50.000 œufs embryonnés qui ont été adressées par voie ferrée ou en auto
à diverses Fédérations et Associations de pêche.
Deux expéditions remarquables ont été faites le mois d’avril
1949. Deux caisses de 50.000 œufs, parties le 1er avril à
6 heures du matin du Der (Haute-Marne), arrivées à midi à Paris, sont
reparties d’Orly par avion, et arrivées à Casablanca le 2 avril au matin.
L’après-midi du 2 avril, les œufs, en excellent état, étaient mis en
incubation à la pisciculture d’Azrou, dans l’Atlas.
Une caisse de 50.000 œufs, partie le 1er avril
à 1 heure du matin du Der, prenait à 9h.30 l’avion à Paris et arrivait à
Madrid à 13 heures en très bon état.
DELAPRADE.
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