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La phobie du fourgon

Les neuf dixièmes des cyclotouristes possédant de belles et coûteuses randonneuses se refusent à les confier au chemin de fer, et, si l’on parvient à obtenir qu’ils s’y décident, leur mine s’allonge et ils tombent dans un douloureux abattement.

Lors de notre dernier voyage en Rouergue, je fus surpris de voir arriver à la gare de Bordeaux une bonne moitié de mes camarades pédalant sur des vélos et tandems dont tous les tubes étaient entourés de papier d’emballage et de bandelettes d’étoffe destinés à préserver des chocs l’émail précieux. Et une fois le train parti, ils ne pensaient plus qu’à la façon dont « se comportaient les vélos », frémissant à l’idée des détériorations inévitables. D’ailleurs, la plupart s’étaient catégoriquement refusés à mettre leurs machines au train et avaient préféré s’envoyer 300 kilomètres de route sans intérêt touristique.

Est-ce que vraiment les préposés à la manutention des cycles, mêlés aux bagages divers, traitent nos vélos comme des tas de ferraille et les « éreintent » à plaisir ? Je déclare le contraire. Mais est-ce à dire qu’on vous rend toujours votre vélo dans l’état où il se trouvait quand on l’a chargé ? Je ne vais pas jusqu’à l’affirmer. Neuf fois sur dix, le vélo nous est remis intact. Une fois sur dix, on constate un tout petit quelque chose ... Mais est-ce la faute des employés ? Non.

La faute en incombe : 1°À la S. N. C. F., qui, pas plus que les anciennes Compagnies, n’a jamais aménagé ses fourgons pour le transport des vélos, et emploie encore, pour les charger et les décharger, des moyens rudimentaires et barbares ; 2° Aux vélos eux-mêmes, qui, avec leurs poignées de freins, leurs câbles de freins, leurs cale-pieds ..., etc., offrant trop de prises à l’accrochage, paquet de griffes, de ferraille menaçante, de pédales se prenant dans les rayons, de câbles ne demandant qu’à enlacer une dynamo, de guidons se glissant dans les roues, de garde-boue s’agrippant où ils peuvent par leurs extrémités, et de chaînes et de dérailleurs toujours prêts à sauter pour tomber n’importe où dans le tas, représentent l’objet le plus difficile de tous à transporter sans casse. Bien entendu, je ne dis cela que pour excuser dans de très faibles limites la brutalité des gestes du convoyeur, car nous n’allons tout de même pas demander aux constructeurs un modèle de vélo pour fourgon, où rien ne dépasse ! Nos bicyclettes sont ce qu’elles sont et l’on doit s’arranger pour nous les rendre intactes.

Je vous avouerai que, pour ma part, je ne pense guère à toutes ces choses. Ce qui m’importe, c’est que le vélo « suive ». Il suit 99 fois sur 100. Je le prends, je constate que la pompe s’y trouve, je l’enfourche et je pars sans prendre une loupe pour examiner l’état de l’émail. Oui, je suis de ceux qui usent du train, cet auxiliaire du randonneur, et qui, finalement, n’ont pas à s’en repentir.

Mais, pendant que nous y sommes, parlons un peu des chemins de fer, de leur marche, de leurs tarifs. Reconnaissons d’abord l’effort prodigieux et magnifique réalisé par la S. N. C. F., qui, en moins d’un an, malgré voies sautées, ponts coupés, gares détruites, nous a rendu notre beau réseau d’avant guerre, y multipliant express et autorails, sans accidents, sans retards, de telle sorte qu’on peut parler mieux que d’une renaissance : du miracle du rail et de la suprématie de la voie ferrée sur tout le reste.

Quant aux tarifs, c’est une autre histoire, et je songe avec mélancolie au temps où, pour 50 francs, on allait de Bordeaux à Paris en deuxième classe, transport du vélo compris.

Les fourgons n’ont pas changé. La manutention des vélos est la même. C’est évidemment archaïque ; mais quand je vois déballer cette masse de ferraille que sont les dizaines de vieux vélos rouilles et démantibulés qu’on sort des trains, je me dis que ce sont leurs usagers et non les employés qui les ont mis en cet état, ou qui ont laissé le temps exercer sur ces pauvres machines, jadis neuves, jadis étincelantes, ses dents patientes et terribles. Croyez-vous que, si on ne les avait jamais mises dans un fourgon, ces lamentables bicyclettes auraient gardé leur fraîcheur, leur éclat, leur lustre ?

La conservation apparente d’une auto est affaire de carrosserie. Avec les vélos, on ne triche pas. Aucun brillant, aucune peau de chamois ne peuvent rajeunir, même superficiellement, la bicyclette qui « lâche de partout ». Quant à la mirobolante randonneuse, son transport « respectueux » en chemin de fer est, dit-on, affaire de pourboires. J’en doute ... ; mais donnez quand même le pourboire. Cela vous évitera de penser tout le long du trajet à « ce qu’elle devient » et vous y trouverez votre compte. Il est toujours bon de cultiver l’illusion.

Henry DE LA TOMBELLE.

Le Chasseur Français N°630 Août 1949 Page 597