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Grande culture

Limites de la motorisation

Par motorisation, nous entendrons la substitution de la traction mécanique à la traction animale. Il est tentant de substituer le moteur au cheval ou au bœuf, c’est dans l’esprit du siècle, la chose plaît aux hommes jeunes ; certains disent que les jeunes gens sont très attirés par cette forme du travail, on ajoute même que des enfants ont rapidement de l’habileté pour conduire un tracteur.

Il faut donc envisager la question sous des angles divers avant d’essayer de tirer une conclusion ou du moins de dégager quelques enseignements. Il est hors de doute que le travail envisagé est plus aisément exécuté, ainsi une opération est-elle plus rapidement conduite et, sous cet aspect, faite en temps plus opportun. L’avantage est indéniable et nous trouvons là un argument contre ceux qui ne calculent des prix de revient qu’en fonction même des chiffres immédiats, sans tenir compte des incidences difficilement monnayables.

Autre argument, la motorisation donne de la souplesse aux opérations agricoles, rend le cultivateur moins esclave du temps, le libère même puisque le tracteur ne demande pas une alimentation quotidienne ; les dimanches et les jours de fête, les journées de congés payés s’inscrivent plus facilement sur le calendrier de l’exploitation : pas d’assujettissement, pas de combinaisons pour la permanence des soins au bétail.

Si des journées spéciales facilement inscrites à l’emploi du temps ont assuré l’entretien normal, sans perdre de temps et bien plus vite qu’avec les attelages, le tracteur est sur le chantier, qu’il s’agisse de travaux culturaux ou de transports. La diminution des heures de travail rend indispensable une organisation aussi poussée que possible des temps utiles ; le tracteur donne donc satisfaction.

La motorisation entraîne des investissements qui peuvent devenir importants, car il ne suffit pas de changer le moyen de traction, il faut de plus en plus envisager des machines nouvelles, des véhicules appropriés. Comment faire face à ces frais de premier établissement ? Par des prélèvements sur les réserves si celles-ci ont pu être constituées, par des emprunts à moyen terme, avec amortissement sur cinq ans par exemple, par vente des moyens devenus inutiles, chevaux, bœufs, matériel hors de service. Quel que soit le système employé, il n’en reste pas moins que l’on est conduit à une augmentation du cheptel mort, indirectement à l’augmentation des prix de revient.

Au lieu de faire consommer des fourrages et des grains produits sur la ferme, il faut acheter des carburants, des lubrifiants, d’où un décaissement, une porte ouverte largement sur l’extérieur ; l’autarcie est rompue, la trésorerie doit faire face à ces nouveaux besoins, sans compter évidemment les frais d’entretien, de réparation. En contre-partie, on enregistre des assurances contre la mortalité, les frais de harnachement, de ferrure et, évidemment, la vente éventuelle des produits fourragers qui ne sont plus consommés.

Le tracteur ne donne pas de fumier et c’est tout le problème de l’exploitation animale qui est posé. Sans doute, l’insouciance, la politique à courte échéance, n’envisageant que les facilités, se réjouiront de supprimer tous ces travaux se rapportant au fumier, travaux longs, pénibles, en définitive coûteux, et les engrais commerciaux seront chargés de faire la compensation sur le plan chimique.

Mais ensuite, c’est l’appauvrissement du sol en humus avec toutes ses conséquences dont les bons esprits s’inquiètent avec juste raison. Alors, le cultivateur prévoyant, ayant foi dans les vertus de la matière organique, substituera au bétail de trait du bétail de rente, avec un aménagement corrigé des cultures. Seulement, à ce moment, cette libération qui enchantait tout à l’heure disparaît, qu’il s’agisse de bêtes d’élevage, de bœufs à l’engraissement, de vaches laitières ; à des degrés divers, les questions de main-d’œuvre se posent à nouveau. Comment les éluder ?

Aller jusqu’au bout des conséquences de la motorisation, parfois trouver dans des conditions avantageuses des résidus urbains à employer, mais la solution est limitée ; demander aux fabricants qui se révèlent chaque jour plus nombreux, des succédanés du fumier, facilement transportables et d’un emploi commode ; enfin, l’attention se porte sur les engrais verts, choix des espèces, intercalement entre les productions principales, soit en culture accessoire mais coûteuse, soit en culture dérobée ; continuation des fourrages tels que luzerne ou trèfle, enfouissement d’une coupe. Autre système, incorporation directe des pailles de céréales après mise au point du mode d’enfouissement et accélération de l’humification. On se rend compte des problèmes nombreux qui se posent devant le praticien lancé sur le chemin nouveau.

C’est ainsi toute la structure de l’exploitation, de son aménagement, de sa trésorerie, qui se présente devant l’observateur averti et qui veut peser toutes les solutions possibles. Toutefois, on n’entre pas toujours dans l’étude de toutes ces considérations. La diminution du nombre des travailleurs, le maintien à la terre de ceux qui veulent bien persister si leurs conditions de travail évoluent rendent quelquefois urgente la décision, et on fait le pas en avant, quitte à mesurer ensuite les conséquences imprévues au départ. De même, si le calcul parfait montre que l’opération n’est pas précisément avantageuse, l’incidence sur la perfection des travaux, la liberté de manœuvre acquise orientent d’une manière accélérée la solution. Enfin, la satisfaction d’être modernisé, de satisfaire les éléments jeunes, entre en ligne de compte. En définitive, le courant a été créé, on est entraîné, le freinage ne peut venir que des moyens insuffisants de réalisation. Il y a également une période à passer, celle où les moyens de traction apparaissent en surnombre et se traduisent par une élévation des prix de revient.

En définitive, cette question de la motorisation qui paraît fort simple, et qui se traduit pour beaucoup dans le choix d’un appareil, est infiniment complexe. Une étude récente de M. Fromont l’a justement rappelé. Encore n’a-t-on pas envisagé ici le problème des carburants, c’est-à-dire le problème de notre indépendance économique. Il nous suffira d’avoir attiré l’attention des lecteurs sur un point sensible.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°630 Août 1949 Page 605