C’est une source d’énergie naturelle réellement
extraordinaire que vient de nous révéler M. Georges Claude, dans une
communication présentée à l’Académie des Sciences par M. Albert Caquot.
Après l’Énergie thermique des mers, après les Usines solaires et
les paradoxales « usines à chaleur de banquise » du Dr Barjet,
voici que les ingénieurs s’attaquent au « stock de chaleur
planétaire », à ces fantastiques calories souterraines qui
persistent dans la profondeur du globe depuis que notre planète s’est détachée
du soleil.
« Usines géo-thermiques », a-t-on dit. Pourquoi
pas ? Jules Vernes, qui prétendait culbuter l’axe de rotation de la Terre,
eût construit sur cette donnée audacieuse le plus beau de ses romans !
Nous marchons sur un volcan d’or !
— À vrai dire, cette réalisation nouvelle est
l’aboutissement d’une longue série de recherches dont l’une, au moins, est
connue du grand public. Il s’agit, en somme, d’utiliser les « chaleurs
tièdes », disponibles sur la planète ; chacun sait que la fameuse
« usine à vapeur d’Océan », de Cuba, réalisée par M. Georges
Claude, mettait à profit l’écart de température de 22° environ qui existe
normalement, dans les mers tropicales, entre les eaux de surface (28°) et les
eaux profondes (6°).
À Abidjan, sur le littoral de la Côte-d’Ivoire, le
gouvernement français s’apprête à poursuivre ces réalisations « maré-thermiques ».
Des essais préliminaires, effectués à Bercy, ont donné de bons résultats. L’eau
chaude se vaporisera spontanément à l’intérieur d’une « usine-tour »,
dans le vide ; la vapeur basse pression fera tourner une roue-turbine de
14.500 kilowatts, puis se condensera au contact de l’eau froide, tandis que les
eaux mélangées seront rejetées à la mer.
Le système Barjot, moins avancé sur le terrain pratique,
utilise la différence de température beaucoup plus considérable existant entre
les vents polaires (22° sous zéro) et l’eau marine située sous la banquise et
dont la température, puisqu’elle est liquide, est évidemment supérieure à zéro.
Le rendement envisagé est remarquable et les « usines polaires »
pourraient stocker leur surplus d’énergie sous la forme inattendue de
« lacs artificiels d’eau salée sur-glacée » ! Accessoirement,
les usines polaires produiraient du sel par le procédé sibérien, qui met à
profit des congélations ménagées.
Avec la chaleur planétaire, les problèmes deviennent
gigantesques. On sait que lorsqu’on creuse un puits (forage pétrolier ou puits
de mine), une augmentation continue de température se manifeste à mesure que la
profondeur augmente. Cet accroissement se nomme le « degré géo-thermique » ;
il est de 1° centigrade pour 32 mètres en sol ordinaire ... beaucoup
plus en terrain volcanique.
À quoi est dû exactement ce phénomène, on l’ignore. Le fait
précis est que des masses de chaleur gigantesques se trouvent ainsi enfermées,
comme dans une colossale marmite norvégienne, à portée de nos pics et de nos
foreuses ! Si l’on borne les puits à 2.000 mètres de profondeur, M. Georges
Claude estime que le stock de calories disponibles, pour la France seule, est
équivalent à douze fois notre stock géologique charbonnier. Si l’on pousse
jusqu’à 7.000 mètres, l’équivalence est de 800 fois ... Nous
marchons sur un volcan, mais un volcan d’or !
La sphère d’air liquide ...
— Deux mille mètres, 7.000 mètres ... cela
est bientôt dit. On peut se demander comment les travaux pourront s’effectuer
dans ce milieu mortel, encore inconnu à l’homme, où la roche est plus chaude
qu’une chaudière de locomotive !
Précisément, au cours d’une communication subséquente, l’inventeur
a exposé les moyens de réfrigération qu’il compte employer, et qui sont
basés ... sur l’air liquide ! On sait que ce singulier
liquide, qui bout un peu au-dessous de 180° sous zéro, permet d’obtenir des
effets frigorifiques extraordinaires.
Jusqu’à 2.000 mètres, au surplus, les difficultés ne
semblent pas dramatiques. Il existe au Brésil une mine d’or profonde de 2.205 mètres,
que l’on arrive à refroidir suffisamment par ventilation forcée. Au delà, on
utiliserait un caisson en forme de cloche, suspendu à des câbles et formant
« chambre de travail » pour les ouvriers occupés à creuser le fond du
puits. C’est le principe classique des « caissons pneumatiques »,
utilisés pour les travaux en rivière, avec cette différence que la pression,
ici, n’entre pas en jeu, mais la température : 50° à 100° dans le caisson,
contre 200° et plus dans la roche qui l’entoure, à la fin des travaux !
La réserve d’air liquide, bouée de sauvetage de tout le
système, se trouve enfermée dans un vase sphérique spécial, analogue à une
bouteille thermos, à la partie supérieure du caisson. Elle assure le
refroidissement de celui-ci, ainsi que l’alimentation de scaphandres spéciaux,
portés par les hommes. On sait qu’il existe déjà des scaphandres chauffants,
tels le modèle Le Prieur, qui permettent aux plongeurs de travailler dans
l’eau glacée sans en être incommodés.
Usine souterraine : altitude moins 4.000
mètres !
— Supposons les travaux achevés. Un puits de plusieurs
mètres de diamètre descend dans les entrailles du sol, les machines sont en
place. Voyons comment va fonctionner l’usine géo-thermique.
Distinguons deux cas. Supposons d’abord que, pour de
prudents essais, les ingénieurs aient borné le creusement du puits à 2.000 mètres.
Dans ce cas, on envoie au fond du puits l’eau d’un torrent ou d’une rivière,
qui se répand dans les fissures de la roche chaude et ressort par d’autres
puits grâce à un effet de thermo-siphon, tout à fait semblable à celui qui
assure la circulation dans un « chauffage central » d’immeuble.
Cette eau sort à 70° environ. Elle est dirigée dans une
usine-tour, type Abidjan, qui reçoit son eau froide directement du torrent.
L’écart de température des deux eaux atteint une soixantaine de degrés, ce qui
nous garantit un bien meilleur rendement qu’avec les eaux marines.
Mais supposons le creusement poursuivi jusqu’à 7.000 mètres.
Dans ce cas, l’eau ne descend pas directement jusqu’à cette énorme
profondeur ; Elle est captée au passage par une usine hydro-électrique
ordinaire, installée à une profondeur de 4.000 mètres. Il ne faut pas
oublier, en effet, que des masses d’eau, descendant à de pareilles
« altitudes négatives », représentent une énergie
« mécanique » énorme, qu’il serait inopportun de laisser perdre.
Poursuivant ensuite son chemin dans les profondeurs, l’eau
se vaporise et ressort par d’autres puits sous la forme de vapeur à haute
pression et à 220°, très propre à faire tourner les turbines d’une centrale à
vapeur de type classique, installée à la surface. L’utilisation est ainsi
totale ... À quand la première usine géothermique dans une vallée
volcanique d’Auvergne ?
Pierre DEVAUX.
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