Un domaine de 5.400 hectares, entièrement clos de murs de 2m,50
de hauteur et 32 kilomètres de périphérie, avec six portes flanquées
chacune d’un pavillon de garde, un village formant commune dans l’enceinte même
du domaine ; 500 hectares de fermes, 100 hectares de
prairies ; 4.600 hectares de bois ; six étangs ; une
rivière, le Cosson ; 150 hectares de routes ; tel est, autour de
l’admirable château Renaissance, bâti au début du XVIe siècle
par François 1er, tel est, entre Orléans et Blois, le fief de
Chambord.
La majeure partie : forêt, rivière, terres,
étangs et plusieurs maisons, dépend maintenant de l’Administration forestière,
qui vient d’y installer un parc cynégétique admiré à bon droit le 2 juin
dernier par les présidents de fédérations, à l’issue de leur Congrès annuel.
C’est en 1821 que Chambord fut offert au duc de Bordeaux,
qui prit le nom de comte de Chambord et le légua, à sa mort, en 1884, à son
neveu le duc de Parme. Le domaine passait en 1909 au prince Élie de Bourbon-Parme,
qui servit dans l’armée autrichienne pendant la guerre de 1914-1918, d’où la
mise sous séquestre de Chambord en 1915. En vain, le prince Sixte, sujet belge,
demanda-t-il la levée du séquestre et le retour à son profit du domaine. Un
arrêt de la Cour d’appel d’Orléans, du 29 février 1928, confirma la
propriété du prince Élie. La liquidation intervint et, le 7 avril 1930,
Chambord était cédé à l’État sur les fonds du budget des Eaux et Forêts.
Ce bref rappel historique était nécessaire pour expliquer
comment le Conseil supérieur de la chasse a pris pied à Chambord et installé,
dans les meilleures conditions, un élevage de faisans, un centre de sauvetage
de couvées de perdrix, et amélioré cerfs et chevreuils par l’apport de
reproducteurs capturés dans la zone française d’occupation en Allemagne. Les
cerfs de Chambord, au nombre oscillant entre 2 et 300, y compris les biches,
étaient des animaux de race solognote, à vilains bois, mais doués de beaucoup
de fond, aptes à fournir de longs débuchers. Chaque année, l’équipage de
Cheverny donnait à Chambord plusieurs chasses à courre, dont la plus suivie
était celle du lundi de Pâques, avec curée devant la façade sud du château. À
pareille époque, les grands cerfs n’ont pas refait leurs bois ; force
était donc d’attaquer un daguet, mais ce rusé compère donnait souvent du fil à
retordre aux veneurs avant de se faire prendre dans un des étangs, je me
souviens d’avoir assisté, en avril 1911, à la chasse traditionnelle dont la
curée, sonnée par une dizaine de trompes, réveilla les échos du domaine.
Que dire des chasses passées de Chambord, au temps des
Bourbon-Parme ? L’élevage des faisans s’y faisait sans fastes ; un
registre des battues était tenu, avec des tableaux honorables en faisans,
lapins, quelques perdrix rouges, quelques bécasses et des canards ; en
plus, deux ou trois chevreuils, parfois un renard. Le château abritait un petit
musée cynégétique où j’ai admiré jadis un très beau bouquetin des Alpes,
trophée du comte, plusieurs têtes bizardes de cerfs et de chevreuils, de beaux
bois de cerfs d’Autriche et deux authentiques chats sauvages capturés sur le
domaine dans les épais fourres de Montfrault, à la pointe sud-est du parc.
Mais, de tous les nuisibles de Chambord, les plus répandus sont les renards.
Bécasses et canards trouvent à Chambord un lieu
d’élection : la bécasse y niche chaque année ; les halbrans ne
manquent pas, non plus que la sauvagine, sur les étangs et les prés inondés.
Comme gibier exotique, on avait tenté, lors des chasses du
duc de Parme, deux acclimatations ; celle des dindons sauvages, de la
vraie race d’Amérique, et celle des colins de Californie. L’une et l’autre ont
échoué ; les dindons ne se prêtaient nullement au tir de battue et les
colins disparaissaient, comme ils le font d’ordinaire au bout de deux à trois
ans. Notons enfin la présence dans le parc de sangliers y ayant pénétré par une
brèche du mur d’enceinte bordant la forêt de Boulogne dont les 4.000 hectares
flanquent au sud Chambord. Il est facile de limiter chaque hiver le nombre des
compagnies, et l’on y pourvoit par des battues.
Après ces évocations du passé, venons-en aux réalisations
récentes : elles méritent visite approfondie et chaleureuses
félicitations. Comme par un coup de baguette magique, M. le conservateur des
Eaux et Forêts Vidron, directeur des Chasses, assisté à Blois par l’inspecteur
Thoreau et à Chambord par le brigadier Forgeoux, celui-ci venant de
Rambouillet, a créé de toutes pièces, au nord-est du château, une faisanderie
dotée des installations les plus modernes : élevage à la française avec couverie
en local clos ; parc muni de larges routins sablés, entrecoupés de carrés
d’orge et de graminées où foisonnent les insectes ; boîtes du premier âge,
parquets volants, rien n’y manque, pas même un essai de la méthode anglaise à couverie
de plein air ; rien n’y manque pour un élevage pouvant aisément fournir
5.000 faisandeaux. Un bon lot de poules couveuses a été constitué ; 150 fourmilières,
proches de la faisanderie, assurent l’approvisionnement quotidien en larves
pour les faisandeaux. Un excellent faisandier vaque aux soins de préparation
des pâtées. L’eau est abondante, très surveillée afin d’éviter le ver rouge. Engrillagements,
parquets de ponte, tout est au point.
Sur place fonctionne un centre de récupération d’œufs de
perdrix découverts lors des fauchaisons. C’est surtout au nord de la Loire, en
Beauce, que sont signalées par téléphone ces couvées ; une camionnette
fait la récolte dans des boîtes ouatées, avec toutes les précautions requises
pour le transport aux moindres risques. Et, dès l’arrivée au parc, les œufs
sont confiés à des poules couveuses de petite race. En principe, les
indicateurs reçoivent moitié de l’élevage ; en pratique, la plupart y
renoncent. Il va de soi qu’un contrôle sévère évite toute supercherie. À ce
propos, il m’est revenu, par la plume d’un aimable correspondant du Midi, que
le dénichage de couvées de cailles sévissait dans sa région parmi les prairies
où stationne ce délicat gibier avant de gagner les plateaux : mais il
s’agit là d’un délit nettement caractérisé, que les gardes de la brigade mobile
peuvent et doivent réprimer sans faiblesse. À Chambord, rien de tel ; la
camionnette s’aventure jusqu’à 80 kilomètres du parc, et jamais aucun acte
délictueux n’a été relevé.
Terminons par ce qui a trait aux cerfs et aux chevreuils.
Pour ces derniers, l’infusion de sang d’outre-Rhin doit donner les meilleurs
résultats : des brocards bien charpentés, porteurs de beaux bois. On ne
demande pas au chevreuil chassé à courre un train d’enfer, et son tir, soit à
balle à l’approche, soit aux chiens courants, exige autant que possible des
sujets d’élite. On peut espérer que les chevreuils de Chambord répondront à de
telles conditions. Quant aux cerfs, s’ils sont moins vites que les cerfs de
Sologne, ils conviendront mieux au lâcher dans les forêts engrillagées comme
celles de la région parisienne. Ils fourniront aussi des trophées dignes de
l’adresse de nos meilleurs fusils d’Alsace et de Lorraine, lors du brame.
Il reste à songer aux tentatives possibles d’introduction
d’espèces nouvelles dans le parc de Chambord. C’est un sujet qui mérite
réflexion et que l’on ne saurait traiter au pied levé. Je verrais très bien
l’acclimatation de sikas dans les taillis clairières de Chambord ; pas de
daims, ils sont trop nuisibles aux plantations ; des lièvres d’Alsace sur
les terres des fermes du domaine ; peut-être des pintades sauvages et des bankhivas.
Puis un programme de recherches scientifiques portant
notamment sur la croule des bécasses (on dit la rôde en Sologne), sur leur
nidification avec baguage des couvées, sur l’exode des halbrans vers tels ou
tels grands étangs à préciser, sur la cohabitation des perdrix grises et
rouges, sur les passages de sauvagine de la Loire toute proche, etc. ...
Il y a là, pour les dirigeants de Chambord, une tâche
attrayante à remplir. Je suis tranquille à cet égard : Chambord est en
bonnes mains.
Pierre SALVAT.
|