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Choix et utilisation du chien d’arrêt

L’ouverture et le chien

Ouverture ! Ce mot n’évoque pas seulement une date. Jeune ou vieux, le chasseur en fait bien autre chose, à condition, bien sûr, que la chasse ne soit pas pour lui un simple but de promenade ou un prétexte à partie fine, mais un amour, une passion. Ouverture ! À ce mot, le vrai chasseur oublie tous ses soucis, évoque ce soleil radieux dont il devancera l’éveil, le cœur battant de joie, l’esprit plein de chimères, dans la plaine encore muette, baignée de ces senteurs propres aux nuits d’été dans la fraîcheur de la rosée, les gouttelettes de cristal irisées de l’aurore.

J’aimais surprendre ainsi le lever de ce jour de fête, abandonner à la nuit noire la maison encore endormie, appeler à mi-voix mon chien, qui devinait la grande chose, entendre résonner mes pas dans les rues du village en sommeil, quitter la route et sentir aux mollets la caresse humide de l’herbe. J’aimais attendre au rendez-vous l’ami dont la silhouette se dessinait enfin dans l’ombre, discuter avec lui du champ le plus propice à sonder le premier, écouter le rappel matinal des perdreaux et des cailles, assister, pour tout dire, au lever du rideau. Nous l’attendions depuis des mois cette heure, nous en parlions, nous en préparions les détails, nous en avions déjà goûté une part de joie à l’avance, et soudain il s’offrait, comme un don, dans l’euphorie de l’évasion et des espoirs désormais en puissance, cet instant : l’ouverture !

Oh ! je sais bien, quand on a pris trente permis on sent bien moins battre son cœur sous la veste de toile, on est plus calme et plus patient ; on ne va plus réveiller le soleil. Et, parfois, le chasseur le plus endurci oublie les leçons du passé, se conduit comme un bleu, grisé par ce je ne sais quoi que met au cœur ce jour de fête : l’ouverture ! Le jour des accomplissements : cette tenue que l’on étrenne, ou qu’on retrouve avec les souvenirs restés au fond des poches (une plume, une douille, une touffe de poils) ; ce fusil encore graissé ; ces cartouches nouvelles que l’on va essayer ; ce carnier plat que va gonfler dans un instant le corps chaud des premières victimes ...

Et le chien ?

C’est de lui qu’il convient de parler, en effet ; car c’est lui qui détient la plus grande partie de nos joies ou de nos déceptions ; mais c’est peut-être aussi de nous que dépend son comportement, et de ce jour dépend parfois son avenir.

Bien sûr, si c’est un vieux briscard qui connaît son métier à fond, habitué au tempérament de son maître, il ne court pas d’autre danger que de recevoir quelques plombs de la part d’un voisin, trop nerveux, imprudent, maladroit ; en somme, il se trouve exposé seulement aux mêmes risques que son maître. Mais, ce jour-là, bien d’autres chiens font leurs premières armes, ou bien des chasseurs font les leurs avec un nouveau compagnon. C’est pour ceux-là que l’ouverture est un moment critique.

Il y a d’abord le cas du jeune chien, et c’est de lui que traiteront ces lignes. On l’a eu à deux mois, on l’a élevé avec soin, on l’a dressé selon les principes des livres ; dès fin avril, on l’a lâché dans quelque champ, il s’est bien déclaré sur les cailles ou sur les couples de perdreaux. À la Saint-Jean perdreau volant, on l’a mené sur les compagnies de pouillards, il a marqué de beaux arrêts, il s’est même rasé de lui-même à l’envol ; ce n’est pas là un rare exploit, tout chien normalement équilibré, héritant d’un bon atavisme, arrête sans avoir appris et se rase ordinairement à l’envol des premiers oiseaux. C’est un bon chien, très prometteur, et c’est avec raison que son maître bâtit maints espoirs sur un élève aussi parfaitement doué ; il a tout pour faire un grand chien et poursuivre une belle carrière.

Mais qui est son maître ?

Si, comme lui, c’est un jeune ou un débutant, il risque, dès le premier jour, de compromettre les espoirs qu’offraient toutes ces qualités. Car, pourra-t-il ou saura-t-il éviter de commettre une seule de ces fautes capitales qui vont se présenter à lui ?

Chasser en solitaire, le jour de l’ouverture, serait certes enlever bien des joies à la fête ; on convie des amis, ou l’on est convié ; il semble qu’en ce jour, pour goûter le plaisir, il faille qu’il soit partagé. Mais les amis aussi ont amené leur chien, parmi ceux-ci sont d’autres débutants ou des chiens plus nerveux, des jaloux, des indépendants, des indisciplinés, peut-être des bandits. Et, s’il s’y trouve aussi quelques vieux chiens très sûrs, tenez pour assuré que notre jeune enfant prodige trouvera bien plus amusant d’imiter les premiers et de faire le fou comme eux plutôt que de suivre l’exemple des vieux. Ce qui est humain est, en l’espèce, aussi canin ; les jeunes gens se sont toujours moqués des grand-pères et feront toujours plus confiance aux rigolos qu’aux gens sérieux. Alors, voilà notre enfant prometteur, qui respectait si bien les pouillards et les cailles, s’amusant follement à découvrir ce jeu nouveau : la poursuite sous l’aile. Et, dès l’après-midi, les perdreaux se faisant plus rares, il poursuivra les hirondelles. Lui qui avait un si bon rappel, qui se couchait ou accourait au geste, à la voix, au sifflet, le voilà courant en tous sens, devenu sourd, essoufflé, grisé, bavant, n’en pouvant plus, mais répondant quand même, insensible aux fessées, pour faire le bandit avec les pitres de la troupe.

Et vous voilà bien du travail, mon jeune ami, pour redonner à votre chien les bons principes qui lui étaient naturels et que, par votre faute, il a perdus par le mauvais exemple.

Mais il y a pire. Avec patience, vous lui aviez appris à rapporter à l’ordre, à tenir dans sa gueule un pigeon fraîchement tué, vivant peut-être ; il le rendait à votre main comme un objet précieux, sans l’avoir insulté d’un accroc. Bien sûr, vous attendiez impatiemment la première occasion qui vous serait offerte de montrer ses talents à vos amis admirateurs. Alors, dès le premier oiseau tué, vous avez commandé le rapport. Et votre chien, déjà bien énervé, sentant pour la première fois tout le parfum de ce corps chaud, n’a pas pu résister au plaisir d’y planter les dents. Excusez-le ! c’est si tendre et si doux, la caille grasse ou le jeune perdreau. Vous lui avez donné la cravache ? C’est vous qu’on aurait dû fesser. Ne pouviez-vous donc pas aller le ramasser vous-même, cet oiseau, sur le ras de ce chaume ?

J’entends bien : c’était dans une friche, un perdreau démonté ! Vous craigniez de le perdre, alors vous avez mis le chien sur la piste, il l’a suivie, est entré dans un bois, ou peut-être a-t-il vu l’oiseau, traînant une aile, courir dans un labour ? Ah ! la belle victoire, il a couru après, il a sauté dessus et, fier de lui, devant vos camarades, vous avez joui du succès. Un beau succès ! Ne vous plaignez donc pas si, maintenant, sans besoin de mauvais exemple, après avoir marqué l’arrêt, votre chien force le gibier ou part derrière lui dans la bonne intention de bien faire. Un chien doit retrouver et rapporter un gibier qui, blessé, serait sans cela perdu pour son maître. Il est exact qu’un chien d’arrêt inapte à ces services est un piètre auxiliaire ; mais il ne faut les demander qu’aux anciens, aux chiens bien confirmés, bien éduqués par expérience à savoir discerner le but de leurs fonctions. Il faut d’abord apprendre à votre chien que son principal rôle est de trouver et d’arrêter le gibier pour vous permettre de le tirer ; il faut qu’il soit persuadé que, pour vous emparer de l’oiseau qui s’envole, vous n’avez plus besoin de lui et, en vous abstenant de tirer (c’est dur parfois, tant pis !), il faut qu’il soit persuadé que, lorsqu’il court sous l’aile, il vous empêche de tuer. Si vous perdez quelques blessés, ne les regrettez pas, plus tard vous cueillerez les fruits de votre sacrifice. Allez donc ramasser vous-même les cailles et perdreaux tués raides la première saison, empêchez votre chien de vous suivre et, revenu vers lui, mettez-lui ce gibier dans la gueule, un bref instant d’abord, puis, augmentant très progressivement ce temps, permettez-lui, au cours de la saison, de le porter avec délicatesse, en quelques occasions. Attendez une ou deux saisons pour envoyer ce chien rechercher un gibier blessé qui piète.

C’est une dure loi ; mais c’est la seule qui permette de faire un chien sûr en toutes occasions.

Certains sujets exceptionnels peuvent permettre des entorses à ces principes ; seul un chasseur bien expérimenté peut discerner cette opportunité. Mais vous, jeunes chasseurs, dont l’impatience est vertu de votre âge, si vous voulez façonner un bon chien, imposez-vous ces sacrifices ; un an, deux ans, cela compte bien peu pour vous si vous avez l’ambition, ô combien légitime et si fertile en joies, de procéder vous-même au dressage d’un chien. Mais, en ce cas, méfiez-vous de l’ouverture, maîtrisez-vous, surveillez-vous ; car il arrive même aux vieux chasseurs, ce jour-là, de commettre ces fautes et de se lamenter, en regrettant un geste inopportun, de n’avoir, comme vous, devant eux, pour réparer quelques instants d’oubli, la profondeur du temps que parfois ils exigent.

Jean CASTAING.

Le Chasseur Français N°631 Septembre 1949 Page 638