Pendant la belle saison, tous les dimanches et fêtes, de
nombreux « pelotons » multicolores de jeunes coureurs cyclistes
animent les routes de leur ardeur combative. Il n’est petite ville, voire bourg
de quelque importance, où l’on n’organise et ne subventionne plusieurs épreuves
annuelles. À Paris, ce sont dix à quinze courses cyclistes, groupant chacune de
50 à 300 concurrents, qui, chaque dimanche, sillonnent tumultueusement
tous les environs ; et autour de toutes les grandes villes, le sport
cycliste sur route multiplie de même ses manifestations. C’est une preuve du
succès populaire de ce sport et de l’intérêt que lui porte la jeunesse.
Les spectateurs de ces épreuves ont des réactions diverses.
Les uns, qui assiègent les contrôles, se massent au bord des routes et viennent
parfois de loin pour admirer et encourager les coureurs, vibrent d’un
enthousiasme parfois excessif et d’une certaine naïveté ; d’autres se
satisfont à jouer les compétents, à juger de la forme et de la tactique des
concurrents ; un assez grand nombre qui ne s’occupent guère en temps
ordinaire du sport, de ses pompes et de ses œuvres, s’étonnent qu’on puisse
donner de si grands efforts, et ne les excusent que s’ils rapportent beaucoup
d’argent. Les cyclotouristes, qui pensent que leur façon de pratiquer la
bicyclette est seule agréable et désintéressée, affichent volontiers un certain
mépris pour ceux qu’ils appellent « les couraillons ». Enfin les
automobilistes pestent contre ces groupes compacts de pédaleurs qui, forts de
leur densité, ne déblaient pas la route au premier coup de klaxon. Tous ces
sentiments divers réalisent un intérêt public considérable pour la course
cycliste. Cet intérêt est-il justifié ? Sert-il la cause du cyclisme en
développant l’usage de la bicyclette et en faisant pratiquer aux jeunes gens un
sport favorable à leur vigueur et à leur santé ?
Il semble que beaucoup d’industriels et de vendeurs sont
d’accord sur le rendement commercial des courses cyclistes. Ils fondent
beaucoup sur elles leur publicité et participent grandement à leurs frais
d’organisation. C’est grâce à eux que les débutants peuvent être pourvus, s’ils
font montre de quelque qualité, du matériel, des machines et pneus spéciaux,
fort coûteux, comme on sait, qui leur sont nécessaires.
Cependant cette propagande basée sur les succès sportifs
tend à ne faire considérer la bicyclette que comme une « machine à gagner
des courses », alors que, pour donner satisfaction aux touristes et aux
utilitaires, elle doit être assez différemment construite et équipée. Mais on
sait que, parallèlement aux coureurs, les cyclotouristes font, par leurs
épreuves spéciales, une propagande efficace pour la bicyclette d’excursion et
de voyage ; sans conteste on leur doit beaucoup pour la mise au point de
machines excellentes, de grand rendement et pourtant différentes d’aspect et
d’équipement de la machine de course. Même, c’est la bicyclette de
cyclotourisme qui a apporté à la machine de course ses plus récents
perfectionnements : changement de vitesse et double plateau.
En résumé, course et cyclotourisme font tous deux une
excellente propagande pour le cyclisme.
Sur le terrain de l’amélioration physique des jeunes, il y a
quelques objections à faire. Le sport cycliste exige moins de vigueur
musculaire que d’endurance à l’effort et de courage. Les jeunes y viennent par
désir de s’affirmer, de triompher, donc par amour-propre et même vanité, et non
pas par désir et volonté de devenir robustes et sains ; et certes cet
amour-propre des jeunes n’est pas à dédaigner ; c’est le stimulant
essentiel de toute leur éducation, mais il faut l’aiguiller et le maintenir sur
de bonnes voies.
Or, lorsque l’on assiste au passage d’un de ces pelotons de
cent à deux cents jeunes coureurs, il n’est pas difficile de remarquer que les
deux tiers au moins n’ont rien à faire, rien à gagner, dans cette bagarre. Ils
sont « à la traîne » dès la première côte un peu dure, puis pédalent
péniblement jusqu’à l’arrivée ; encore renoncent-ils souvent à
l’atteindre. Parmi les premiers et ceux qui « se défendent »,
beaucoup sont assez grêles, athlètes légers auxquels leur faible poids
permettra de se distinguer dans les « sports d’autolocomotion », tant
qu’ils ne participeront qu’aux épreuves de second plan. Mais ils s’effondreront
dès que leurs succès de débutants les feront classer parmi les coureurs de
grande valeur, qui ne peuvent « tenir » qu’en raison de leur
robustesse.
Ainsi de ces milliers de jeunes gens qui s’engagent, pleins
d’enthousiasme, dans le sport cycliste, il ne sort pas dix bons et durables professionnels
par an. La plupart, las de jouer les éternels vaincus, renoncent après un an ou
deux, non seulement à courir, mais souvent aussi, hélas ! à la pratique de
la bicyclette qui les a si fortement déçus.
Cet échec vient de ce que ces débutants sont, en général,
fort mal dirigés et entraînés. On les embrigade dans les sociétés cyclistes
sportives du seul fait qu’ils pédalent aisément et qu’ils font preuve
d’énergie, qualités qui suffisent surtout à un « poids léger » de
dix-sept à vingt ans, pour se comporter très honorablement sur 50 à 100 kilomètres.
Un examen médical, parfois, reconnaît la bonne santé, l’état satisfaisant du
cœur et des poumons, donc aucune raison de s’abstenir.
Dès lors, pour améliorer l’homme et l’entraîner, on lui fait
faire du vélo, encore du vélo, et toujours du vélo ! Sorties en groupe,
trois fois par semaine, sur 30, 50, enfin 100 kilomètres ; allure
rapide, démarrages en côte, sprints répétés. La saison des courses ouverte, on
court tous les dimanches, car, dit-on, il n’est pas de meilleur entraînement
que de faire des courses. À ce régime épuisant, ne résistent que les plus
robustes. Encore beaucoup sont-ils plutôt émaciés en fin de saison, et il est à
remarquer que, promus pour un temps au rang de nouveaux champions, ils disparaissent
de la scène sportive, incapables de confirmer leurs premiers beaux exploits
après un ou deux ans de professionnalisme. Que de « coming-men » on
ne voit jamais arriver !
Le moins qu’on puisse dire de cette façon classique
d’entraîner les jeunes coureurs, c’est qu’elle est un déplorable gaspillage
d’énergies et de bonnes volontés.
L’entraînement trop poussé entrave le développement
corporel ; jusqu’à vingt ans, et même un peu au delà, on peut et on doit
se développer. Tout entraînement, toute participation aux courses qui arrêtent
la croissance, qui ne permettent pas de grandir, ni de prendre du poids en
muscles et en os, sont choses mauvaises pour les moins de vingt ans. Il faut en
tenir compte lorsque, avec un jeune homme bien disposé, on veut « fabriquer »
un athlète qui puisse être un vrai champion vers sa vingt-cinquième année et le
rester presque jusqu’à la quarantaine.
Donc, s’il est des conseils à donner aux dirigeants et
managers, on peut ainsi les formuler ; moins de séances de dur entraînement
rapide, assez de sorties à allure régulière, touristique, sur longues
distances ; beaucoup de culture physique ; et surveillez le poids,
qui doit augmenter régulièrement, amis en muscles et non pas en graisse.
Dr RUFFIER.
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