L’avion survolait depuis la côte suédoise cet archipel
confus de lacs et de forêts d’où émergeaient des cités lacustres des hameaux
marins, des « stugas » isolées perdues au cœur touffu des bois de
bouleaux, quand enfin Helsinki nous est apparue, unique métropole de cette
nation de villageois et de forestiers. Entre les cubes alignés, les buildings
rouges et gris, une tour montait, lancée vers le ciel comme la flèche d’une
basilique. Le micro de l’avion annonça : » Helsinki, la tour que vous
voyez est celle du Stadion où se dérouleront les Jeux Olympiques de
1952. »
Ce premier contact est à l’image même de la Finlande. La
préoccupation majeure des Finlandais, l’activité première du pays, c’est d’ores
et déjà les Jeux Olympiques. Ils devaient s’y dérouler en 1940. Cette année-là,
la Finlande était engagée dans une autre lutte d’où elle devait sortir grandie
et susciter l’admiration de son vainqueur et du monde entier. Cet exemple de
force, d’héroïsme et de ténacité n’était pas le fait d’un hasard, ou une éclosion
mystique. C’était le couronnement de cinquante années de préparation
athlétique.
Si les Finnois ont été des soldats exceptionnels, c’est
d’abord parce qu’ils étaient des athlètes incomparables. Et c’est leur exemple
que faisait dire au maréchal soviétique Rokossovski : « Moi aussi,
j’ai préparé la guerre comme j’aurais préparé les Jeux Olympiques. »
Pendant quarante ans, la Finlande a exercé une primauté
d’athlétisme, particulièrement pour les courses de demi-fond et de fond. Depuis
Kolhemainen, qui vainquit notre Jean Bouin en finale olympique, jusqu’à Makki,
détenteur de cinq records du monde, en passant par le légendaire Paavo Nurmi,
l’homme qui courait, un chronomètre à la main, les courses du 1.500 au 20.000
ont toujours marqué la suprématie finlandaise. Isohollo, Salminen, Lehtinen, Heino
se passaient le flambeau d’olympiade en olympiade.
Si la Finlande marque un déclin relatif et doit céder le pas
à ses voisins suédois, c’est que ses phalanges athlétiques ont été durement
décimées par les deux guerres (1939 et 1943), la famine et la misère qui s’est
abattue sur le pays pendant les années de la guerre mondiale. Mais cette
régression n’est que passagère. C’est ce que m’a affirmé Paavo Nurmi, le
taciturne, glabre et hiératique, l’homme qui ne sourit jamais et dont
Ladoumègue me disait qu’il « commandait le respect et forçait
l’admiration ». C’est ce que m’a répété le vieux Kolhemainen, héros
olympique, rose et plissé, qui se montre aussi expansif et souriant que son
héritier demeure avare de sourires et de confidences.
L’athlétisme mis à part, les sports les plus pratiqués en
Finlande sont le « bandy », la gymnastique et, à un moindre degré, la
boxe et le cyclisme. En gymnastique, la Finlande a conquis le titre olympique à
Londres (où elle remportait également le lancer du javelot, grâce à Rautavaara).
Mais, plus que les résultats, ce qu’il faut dégager de la
leçon de la Finlande, c’est l’esprit qui préside au sport finlandais.
Après avoir donné deux conférences à l’Université d’Helsinki, je fus convié à déjeuner
par un homme grave et solennel, qui me remit sa carte de visite. Sous son nom
il avait écrit : « philosophe du sport ». Et notre chargé
d’affaires m’explique qu’en Finlande, c’était une profession aussi estimée que
juriste ou professeur de faculté. La Finlande possède la plus belle académie de
sports d’Europe : Viromaki, à deux heures d’Helsinki, dans un décor unique
de lacs et de forêts.
Chaque fois que des stagiaires viennent à Viromaki, ils
reçoivent, en dehors de leur éducation sportive, des cours d’histoire de l’art,
de culture générale, et même d’éloquence usuelle. L’éducation finlandaise a
repris le vieux précepte de Montaigne : Ce n’est pas un corps qu’on
dresse, ce n’est pas une âme qu’on éduque ; c’est un homme. » Et ce
système allié aux qualités naturelles de la race fait de cette nation de 3 millions
d’habitants un des pays les plus sportifs du monde.
Gilbert PROUTEAU.
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