Avec septembre s’ouvre, en même temps que la chasse,
une saison de football qui s’annonce à la fois très chargée et assez
inquiétante pour notre prestige national. En effet, alors que la Coupe et le
Championnat de la saison passée semblaient nous avoir donné toute satisfaction
sur les progrès du football français sur le plan des « clubs » et sur
le plan régional, cette impression optimiste a subi de sérieuses désillusions
sur le plan international. Notre équipe représentative, pourtant solide sur le papier
et brillante en individualités, a subi en fin de saison, devant l’Angleterre,
l’Écosse, la Hollande et l’Espagne, une série de défaites cruelles, dont les
scores assez sévères ont freiné sur les quatre roues nos prétentions et nos
illusions.
On a naturellement violemment critiqué notre sélectionneur,
car il faut bien trouver un responsable. Je crois sincèrement qu’il n’est pas
la cause de nos échecs, et il faut reconnaître que sa tâche est ingrate.
Parmi les causes de nos échecs — et, par conséquent,
parmi les leçons que nous devons en retirer pour l’avenir — je retiendrai
plutôt les deux suivantes :
D’abord, un calendrier trop chargé sur une saison qui se
prolonge trop longtemps. Cause difficile à guérir du fait que, le football
étant devenu professionnel, la question des recettes passe au premier plan des
soucis des organismes dirigeants. Or, pour multiplier les recettes, et comme on
ne peut indéfiniment augmenter le prix des places, déjà beaucoup trop élevé, il
n’y a pas d’autre moyen — M. de La Palice serait de cet avis
— que d’augmenter le nombre des matches !
Mais il est évident qu’on ne peut demander à des joueurs, si
entraînés soient-ils, qui, pendant huit mois, jouent chaque dimanche un match
de Championnat ou de Coupe. — et parfois un deuxième en semaine — où
ils doivent donner leur maximum puisqu’ils sont payés pour cela et que le
classement de leur club (j’allais dire, hélas, de leur
« entreprise » !) en dépend, de se maintenir en forme pendant
tout ce temps. Et d’être obligés par surcroît, en avril ou en mai, sous un
soleil déjà chaud, juste entre deux finales ou au lendemain du match capital de
l’année nationale, de subir encore l’effort d’un match international accompagné
d’un fatigant déplacement à l’étranger, voire en Indochine, comme ce fut cette
année le cas !
Telle est la première cause, à mon avis, de nos échecs
récents : le surmenage de nos vedettes.
Mais il en est une deuxième, qui me paraît au moins aussi
importante. C’est la difficulté de constituer une équipe homogène avec des individualités
qui, si brillantes soient-elles, émanent de clubs dont la conception du jeu est
différente. Nous ne sommes plus, en effet, aux temps où le football consistait
en une tactique à peu près uniforme, agrémentée de quelques prouesses
individuelles.
Aujourd’hui, chaque équipe a son entraîneur avec sa doctrine
personnelle et sa formation propre. Les uns jouent sous la formule des deux
majuscules WM, qui nous vient de la fameuse formation anglaise
« Arsenal », qui favorise le passage successif de l’offensive, en
poussant à l’attaque les trois avants de pointe du W (ailiers et centre),
à la défensive, en repliant à l’arrière le demi-centre (pointe centrale du M).
En un mot, en assouplissant la tactique et en facilitant le démarquage, ce qui
permet de désorganiser le système défensif adverse, tout en rendant plus
incisive sa propre attaque.
D’autres adoptent le « tourbillon », qui consiste
à permettre à certaines individualités (dont le spécialiste est le stadiste
Aston), à jouer au « feu follet », c’est-à-dire à se porter, tel un
appareil de chasse autour d’un triangle de bombardiers, de sa propre
initiative, sur une occasion d’ouverture et d’attaque, ou, au contraire, sur un
« trou » à obturer avec rapidité, créant ainsi la surprise et renversant
à son avantage les plans de l’adversaire.
D’autres enfin jouent le « béton » (renforcement
de la défensive en détachant auprès des arrières un avant-inter), ou le
« losange », cher aux Espagnols ou aux Américains du Sud, ou le
« verrou suisse » (qu’on pourrait aussi bien appeler autrichien), qui
consiste à neutraliser avec les demi-ailes les avant-ailes adverses, tandis que
le demi-centre surveille la triplette centrale. Et le nombre et l’« astuce »
de ces modifications à la formation « classique » croissent chaque
saison, avec les avantages de la surprise.
De telles tactiques sont efficaces dans un championnat de
France aller et retour, ou chaque directeur du jeu connaît bien les tendances,
les faiblesses et les points forts des seize ou dix-sept adversaires qu’il a la
possibilité d’étudier ; qui sait que, devant telle équipe, et selon que le
temps sera chaud ou froid et le terrain sec ou humide, il devra constituer son
équipe et présenter sa formation sous telle ou telle de ces formules ;
qui, à la fin de chaque semaine, a le temps de préparer son « match »
du dimanche ; qui vient en toute connaissance de cause, avec onze joueurs
qu’il connaît à fond, et qui ont l’habitude de jouer ensemble et sous son
commandement.
Le problème est beaucoup plus difficile à résoudre lorsqu’il
s’agit d’aller jouer à Lisbonne ou à Rotterdam, contre une équipe dont on ne
connaît la tactique et les points faibles que par ouï-dire, sur un terrain dont
on n’a pas la pratique, avec des joueurs qui n’ont pas l’habitude de jouer ensemble
ni d’obéir à un capitaine qui n’est pas leur guide habituel et qui ne
connaissent pas les réflexes et les petites manies des camarades qui jouent à
leur droite et à leur gauche.
C’est pourquoi il faut, si nous voulons faire meilleure
figure dans les matches internationaux, ne pas chercher à constituer une
« constellation d’étoiles », mais une formation homogène, que, après
une sélection sérieuse, on modifiera le moins possible au cours de la
saison ; qu’on fera jouer plusieurs fois au complet à l’entraînement
contre de bonnes équipes de club pour consolider sa cohésion ;
suffisamment homogène pour ne pas se laisser surprendre par la tactique de
l’étranger et pour essayer de lui imposer la sienne. Or pour imposer sa
conception, il faut d’abord en avoir une et s’y tenir. Et pour cela se bien
connaître et ne pas changer, à chaque fois de coéquipiers. Nous possédons
actuellement en France assez de joueurs et de « capitaines » pour
réaliser ces conditions indispensables au bon renom du football français à
l’étranger. Il suffit, comme partout, de le « vouloir », vertu
essentielle en matière de sport.
Dr Robert JEUDON.
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