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Nos chiens d’arrêt nationaux

Races prospères

De temps à autre, de plus en plus rarement il est vrai, à mesure que l’amateurisme devient mieux renseigné, il m’advient d’être pressenti par un chasseur à la recherche d’un représentant des races en voie d’extinction. Toujours, je lui déconseille de persévérer. On peut, en effet, admettre pour principe que ce qui n’a pas réussi péchait par quelque défaut capital. Pour peu qu’on étudie nos races de chiens nationales, on voit la disparition progressive de ce qui était plus ou moins mal conçu. Les gros animaux porteurs de poids mort ont été les premières victimes, tels les Braques d’Ariège et Charles X, par surcroît corniaudés, cumulant deux péchés mortels, par conséquent. Puis ce fut la raréfaction des porteurs de petits nez que je ne nommerai pas pour ne mécontenter personne, car il demeure l’une ou l’autre variété maigrement représentée de ces personnages, ou encore tels représentants de races, étrangères pour une part au génie du chien d’arrêt. En vérité, ce qu’on peut appeler les races rares parmi celles d’utilité ne mérite pas considération. Les efforts entrepris pour les conserver seraient plus utilement mis en œuvre pour soutenir et perfectionner celles qui ont fait leurs preuves.

Il ne sera ici question que des continentales ou plus expressément nationales, dont nous sommes, en définitive, responsables. Quelques-unes donc sont en assez bonne posture en dépit de la concurrence étrangère, qui n’est plus exclusivement anglaise. Il ne faut pas se dissimuler le succès des chiens d’arrêt allemands et pas seulement du Braque à poil ras, depuis longtemps en faveur dans nos provinces de l’Est. Voici trente ans qu’il fait tache d’huile un peu partout. Son cousinage avec le Braque français a provoqué entre eux des alliances, dont peu se doutent, car, en vertu des affinités lointaines existant entre eux, il ne peut en être autrement. Est-ce un bien ou un mal ? Il semble malaisé de trancher péremptoirement la question. Sans doute le danger est mince. Si ces pratiques ne font que hâter la disparition des quelques trop volumineux personnages qu’on voit encore, sans que le moral du chien indigène en souffre, on peut réserver ses larmes. Il ne faut pas oublier, en effet, que le Braque allégé de l’Est est un excellent chien, adopté par beaucoup de pays, y compris les États-Unis, où l’on ne se soucie que du rendement. Or il faut se convaincre de ceci, que notre Braque national ne sortira du Sud-Ouest où il vit confiné, en dépit de sa haute qualité et de son moral attachant, qu’au prix d’un certain allégement du modèle.

Autant en dirai-je d’un cousin, beaucoup plus proche au moral qu’on ne le pense, le Braque d’Auvergne, qui depuis un demi-siècle a évolué vers la formule somatique du Braque français. Au temps lointain de mes débuts dans la fréquentation des expositions, soit cinquante-cinq ans, notre chien, alors presque toujours bleu, était sec de tissu et léger de corsage. Peu à peu, il est devenu d’un modèle assurément décoratif et de grand cachet, mais auquel on pourrait souhaiter avant-main plus dégagée, pas de fanons et moins d’oreille. Changer cela ne comporte nullement croisement pointer. Par sélection, à l’aide des sujets les plus conformes à l’ancien modèle, on parviendrait à le faire revivre. Bien entendu, il ne saurait être question de se tourmenter à propos du nombre de mouchetures désirables au décimètre carré. Ce sont pareilles fariboles dont d’autres races ont eu à souffrir. Mais ne jamais perdre de vue que le règne des chiens massifs est terminé, et agir en conséquence.

Les hommes du Griffon d’arrêt ont bien vu le danger, aussi ont-ils mis en garde les éleveurs contre le volume et l’excès de taille, celle-ci étant sévèrement fixée désormais. Les sportsmen avisés chargés de son destin ont perçu la concurrence que représente l’invasion des porteurs de poil dur d’outre-Rhin. Ils ont donc adopté le galopeur aux bonnes allures moyennes et soutenues partout apprécié, quittes à voir se modifier quelque peu l’angulation de leur chien, autrefois conçu plutôt en trotteur. On dira aussi de l’oreille qu’elle est devenue pareille à celle du plus prototypique des chiens d’arrêt. La lecture des petites annonces montre la recrudescence de l’élevage et, sur les bancs, la présence d’excellents sujets, qu’on verrait encore plus nombreux si tous les éleveurs savaient toiletter leur favori, comme il se devrait. Le public visitant les expositions s’arrêtera, intéressé, devant un chien à poil long bien présenté et passera sans le regarder, autrement que pour en sourire, devant le même, si le peigne et la brosse lui sont inconnus. Bien en forme, le Griffon a grand cachet et cela compte aux yeux de l’amateur, même pour un chien à tout faire. Quoique n’élevant pas pour la parade, l’amateurisme exige une certaine tenue. Favorisée par une évolution discrète, inspirée de l’adaptation, la race semble entrée dans la voie du succès le plus durable.

L’amélioration dans le sens de la distinction et de la disparition du poids mort caractérise la généralité des Épagneuls français. On en compte de nombreux centres d’élevages dispersés à travers le pays, preuve de la diversité de leur talent et du nombre de leurs fidèles. De très remarquables représentants de la race figurent depuis quelques années sur les bancs, qu’on verrait plus nombreux, si le souvenir ne demeurait de quelques chiens trop forts, dont on entendait dire irrévérencieusement qu’ils avaient physionomie de chiens de montagne. Outre que cet Épagneul bien réalisé et présenté est plein de distinction, charmant compagnon, il est aussi très bon chien de chasse partout. C’est celui que les amateurs préférant les caractères tout en or et les allures exemptes de nervosité devraient adopter. Ce serait rendre grand service que de condamner officiellement tout chien indiscutablement épais, de modèle trop éclaté, même n’excédant pas la taille de 0m,60. Quant aux Goliath de l’espèce, n’en parlons pas.

Immédiatement avant le Griffon, et quelques longueurs devant lui dans la faveur des disciples de saint Hubert, vient l’Épagneul breton, dont tout a été dit. Avec pareils effectifs, il n’y a pas à s’inquiéter de l’avenir. Toutefois, la production en gros présente des inconvénients. La formule cob s’affirme et les corsages de style ogival se font de plus en plus rares, ainsi que les têtes rappelant celle de l’Irish Setter trop étiré. À noter une particularité souvent observée chez les cobs les plus puissants et qu’il importe de ne pas négliger. Chez nombre d’entre eux, la boîte crânienne, très épanouie, est aussi aplatie avec sillon médian marqué, stop trop voisin de l’angle droit, parfois zygomatiques accusés. Cet ensemble provient de la lointaine alliance avouée avec le Setter anglais aux lignes refoulées, assez répandu en France. Pour maintenir la formule cob, tout en pratiquant cette retrempe, qui avait ses raisons, c’était bien aux services des chiens de cette formule qu’il fallait recourir ; mais qu’on surveille la variation qui en résulte, sous peine de perdre le crâne « aux formes arrondies » de la race bretonne et d’en compromettre le moral. On vous dit bien que ces gros cobs au crâne trop plat possèdent toutes les qualités désirables. Je le crois sans peine, vu l’excellence du sang du Setter anglais. Mais il ne s’agit pas de fabriquer un chien court, si court soit-il, et inspiré du Setter courtaud manifestement comme les initiés s’en rendent compte et doivent le dénoncer.

Sans doute, demeure-t-il quelques très beaux et rarissimes Pont-Audemer et Saint-Germain, tels que ceux que j’ai eu le très grand plaisir de doter du C. A. C. Si la réalisation, dans la formule, du Saint-Germain présente une grosse difficulté, on pourrait ressusciter le Pont-Audemer avec les éléments qui survivent, moyennant retrempe avec la race française, dont il dérive pour une part. Il y aurait une opération zootechnique à entreprendre, qui, je le crains, ne sera pas tentée, et notre chien d’eau national disparaîtra.

Quoi qu’il en soit, nous sommes bien montés en chiens d’arrêt et, sans doute, serait-il sage de nous borner, à l’instar de ce qui se passe entre d’autres frontières, au culte de ce que nous avons de meilleur et de plus richement représenté. Surtout, perdrait-on son temps à admettre à l’existence officielle certaines variétés à peine différenciées de races véritables, dont on voudrait faire races nouvelles. Le principe admis des oscillations des caractères secondaires autour du prototype condamne absolument ces fantaisies.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°632 Octobre 1949 Page 685