Le truc du boy.
— M. Jacques Chassagny est un enragé pêcheur qui voulut
tenter sa chance dans les poissonneuses rivières indochinoises. Muni de ses
ustensiles européens les plus perfectionnés, et après avoir soigneusement
amorcé à la mie de pain et aux grains de riz, c’est en vain cependant qu’il
trempa du fil ; le poisson avalait goulûment les amorces, mais se refusait
absolument à prendre l’hameçon.
C’est alors que son boy lui révéla son secret ; son
matériel fit tout d’abord frémir notre pêcheur d’indignation : une canne
en bambou de 3 mètres, une ligne en soie tordue, une plume rudimentaire,
hameçon no 8 et, comme plombée, un morceau de tube à dentifrice
enroulé sur le fil !
Le boy s’était, en outre, procuré des galettes de riz, qu’il
malaxa pour en faire une pâte, y incorporant en outre du son de riz et des
ignames cuites au four. Puis il enveloppa le tout dans un chiffon à trame
lâche. Arrivé à la rivière, il plongea, fit une place nette au fond de la
rivière ; puis il coupa un bambou de 2 mètres, très flexible, attacha
à la base de celui-ci son sac d’amorce et alla planter son engin au milieu du
courant, la tige du bambou émergeant de 10 centimètres environ. Il
expliqua enfin son truc : « Tout à l’heure, gros poissons
venir ; eux sentir bon manger. Mais avec chiffon, pas moyen ! Alors
eux pas contents et taper tête dessus ; bambou remuer beaucoup. Si y en a
pas poissons, bambou rester tranquille, alors nous aller plus loin. »
Au bout d’une demi-heure, le bambou tremblait frénétiquement
et accusait parfois des chocs assez violents : « Ils » étaient
là ! Alors le boy garnit son no 8 de pâte de riz et sortit
de l’eau, en moins de deux heures, sept carpes allant de une à deux livres.
« Avouez, conclut M. Chassagny, qu’il n’y avait
pas là de quoi flatter mon amour-propre d’Occidental plein de suffisance ! »
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