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Les vétérans du tennis

Pour la première fois depuis plus de dix ans, la France, jadis productrice des plus grands « mousquetaires » du tennis mondial, est parvenue en finale européenne de la Coupe Davis, et il s’en est fallu de quelques points malheureux qu’elle ne batte les Italiens Cucelli et del Bello.

Aurions-nous remporté cette finale qu’il n’y aurait pas eu lieu de nous en réjouir outre-mesure, d’abord parce que nous n’avions aucune chance — pas plus d’ailleurs que les Italiens— de battre, après une traversée aventureuse, les Australiens et les Américains chez eux ; ensuite parce que cette victoire éphémère n’aurait pas été la preuve, bien au contraire, d’un « progrès » dans la longue période de déficience dont souffre depuis douze ans le tennis français.

En effet, nous n’avons pu trouver, pour former notre équipe nationale, que des « réservistes » : Marcel Bernard, Bolelli, Abdesselam, qui avant 1939 étaient déjà classés 4e, 6e ou 10e joueurs de France, et qui, il y a quelques semaines encore, étaient nettement battus en match interclub par Cochet et Borotra, ex-mousquetaires, qui tous les deux ont dépassé le demi-siècle et qui restent de loin les deux meilleurs joueurs de France pour peu que le match ne dépasse pas 3 sets ! et auxquels on ne peut décemment pas demander, après avoir été invaincus pendant six ans de leur service « actif » en Coupe Davis, de représenter nos couleurs en première ligne, maintenant qu’ils appartiennent à la Réserve de la Territoriale, et de risquer, sur 5 sets, un échec qui porterait ombrage à leur glorieux passé.

Si bien que nos deux meilleurs joueurs ont dépassé la cinquantaine, que nos trois représentants de l’équipe nationale officielle sont des joueurs d’avant 1939, et que, parmi les moins de trente ans, nous avons beaucoup de peine à trouver un ou deux remplaçants de classe internationale.

Et que c’est avec tristesse que ceux qui comme nous ont suivi les merveilleuses luttes de Cochet, Borotra, Brugnon, Lacoste, contre Tilden, Vines, Perry et autres von Cramm, il y a quinze ou vingt ans, éprouvent aujourd’hui une profonde tristesse quand ils assistent à une exhibition de nos équipes nationales actuelles, dont la production n’est qu’une ombre très floue de notre glorieux passé.

Pourquoi cette carence d’hommes de classe parmi les jeunes, pourquoi cet effondrement de la qualité, alors que le nombre des jeunes joueurs et l’effectif de nos clubs égalent ou dépassent ce qu’ils étaient en 1939 ? Nous n’en avons trouvé, en cherchant bien, qu’une seule raison : les jeunes n’ont plus le goût du « travail », la discipline nécessaire pour accepter l’assiduité et les servitudes d’un entraînement intensif, ils ne savent pas « apprendre à souffrir », ils ont perdu le goût du risque et de l’effort sans lequel on ne peut prétendre devenir un grand champion.

Car il faut tout cela, en tennis plus qu’ailleurs, où la technique compte au moins autant que les qualités physiques propres à la jeunesse, pour devenir un très grand joueur.

Mais c’est pour ces mêmes raisons que, en tennis, l’homme de classe peut demeurer un champion jusqu’à cinquante ans et plus. Aussi le terme de « vétéran », en matière de tennis, ne constitue pas, comme en athlétisme ou en football, un handicap insurmontable. On peut même dire que, en France, et en 1949, c’est dans la catégorie des vétérans qu’il faut puiser pour trouver des joueurs de qualité.

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C’est précisément parce que le tennis est un des rares sports que l’on puisse pratiquer avec plaisir et avec succès, jusqu’à un âge très avancé (le roi Gustave de Suède, auquel, alors qu’il avait près de quatre-vingts ans, Lacoste proposait de jouer au golf, ne répondit-il pas : « Je jouerai au golf quand je serai vieux, actuellement je préfère ma raquette ! »), que quelques tennismen parisiens, sous l’impulsion des animateurs dévoués et clairvoyants que sont MM. René Fabre, Hirsch-Labrosse, Léonoris, Graby, ont fondé, au lendemain de la Libération, une « Association des Vétérans du Tennis », dont le siège est rue des Mathurins, à Paris, et qui groupe— à condition d’être présentés par deux parrains — tous les anciens du tennis, qu’ils soient encore ou non affiliés à un club. Cette association, très prospère, est bien connue des joueurs parisiens, mais nous croyons utile de la signaler à nos camarades de province, bien qu’elle ait déjà des « filiales » à Lyon, Bordeaux, Nancy, etc. ...

Ce genre d’associations, qui permettent à ceux qui n’ont plus l’âge ou le temps de jouer assidûment dans leur club, est à encourager. Elles joignent d’ailleurs l’utile à l’agréable, car il est superflu de préciser qu’on y pratique non seulement le tennis, mais la plus grande camaraderie, basée sur des goûts communs et sur des souvenirs communs, et aussi l’élégance de la plume et de la parole, sans oublier la gastronomie !

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°632 Octobre 1949 Page 694