Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°632 Octobre 1949  > Page 701 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

L’humus et la motorisation

En raison de sa complexité, l’humus est assez difficile à définir. C’est cette matière noire ou brune que laisse dans le sol la décomposition des matières organiques, animales ou végétales. Il joue un rôle capital au triple point de vue physique, chimique et biologique.

Action physique : il assouplit les terres compactes et nul n’ignore l’action bienfaisante du fumier dans les sols argileux, qu’il rend plus faciles à travailler, moins cohérents, moins tenaces, moins « terre à pot », moins froids aussi parce que moins imperméables et plus foncés ; sur les terres légères, son action est aussi heureuse ; il leur donne du corps et de la cohésion, il les empêche de se laisser emporter par le vent ; capable de se gorger d’eau, il ralentit leur dessiccation.

Action chimique : son principe actif, l’acide humique, se combine aux différentes bases du sol et notamment à la chaux et à la potasse pour donner des humâtes, que les plantes utiliseront avec une particulière dilection. Il retient, également, dans le sol, les éléments fertilisants qui auraient tendance à être entraînés par les eaux de drainage. Il concourt donc au « pouvoir absorbant » du sol et contribue à en maintenir la fertilité.

Action biologique : il joue un rôle essentiel dans la vie des microorganismes du sol indispensables à la nitrification.

Un sol qui s’appauvrit en humus voit baisser sa fertilité pour de nombreuses années, et il est bien connu que le fumier a une action plus prononcée et plus immédiate dans les terres habituellement fumées que dans celles qui le sont rarement en raison de la vie microbienne plus intense qui y règne.

La grande source d’humus de nos sols est le fumier de ferme, dont la production se trouve menacée par le développement de la motorisation, qui amène la réduction du nombre des animaux de trait, ainsi que par l’emploi de la moissonneuse-batteuse, qui incite à détruire la paille au lieu de la récolter et de la mettre sous les animaux.

Cette technique ne saurait se développer sans mettre en péril la fertilité même du sol pour arriver, comme dans certaines contrées du nouveau monde où elle a été poussée jusqu’au bout, à la stérilité, et parfois à sa dispersion sous l’effet du vent. L’inconvénient était mineur autrefois, dans ces contrées, quand la faible densité de la population permettait de trouver facilement des terres neuves ; il commence à y être pris au sérieux maintenant ; dans notre pays de culture intensive, pareille chose ne peut pas s’imaginer.

Il ne saurait, évidemment, être question de freiner le progrès et d’aller contre l’évolution normale de la technique agricole, mais il convient de prendre les mesures nécessaires pour assurer aux terres l’humus dont elles ont besoin.

Notons d’abord que, bien souvent, les tracteurs ne supprimeront pas entièrement les animaux de trait et que le bétail de rente subsistera, ou même s’accroîtra. Il y aura donc encore pas mal de fumier dans maintes exploitations.

Mais là où il n’y en aura plus, ou seulement où il n’y en aura plus assez, il sera facile de compenser le déficit par la fabrication du fumier artificiel selon le procédé Demolon-Burgevin qui permet la transformation des pailles inemployées comme litières en un fumier de qualité sensiblement équivalente au fumier de ferme. Cette méthode est préférable à l’antique procédé du « fumier de cour », qui laisse perdre une proportion appréciable de principes fertilisants, et plus encore à l’incinération, qui ne conserve que les principes minéraux et détruit la matière organique.

On pourra aussi recourir aux engrais verts, constitués par l’enfouissement sur place de cultures spécialement destinées à cet usage. Il s’agit habituellement de semis effectués en culture dérobée afin de ne pas sacrifier de récolte ou encore de la dernière poussée d’un fourrage vivace, avant défrichage.

On utilisera des crucifères à croissance rapide : navette, moutarde, ou encore du sarrasin ou du maïs, mais, chaque fois qu’on le pourra, on donnera la préférence aux légumineuses : vesces, pois, féveroles, trèfle incarnat, trèfle violet, minette, etc., qui enrichissent le sol en azote.

On évitera de laisser perdre les déchets organiques, comme les collets de betteraves, et si on ne peut pas trop conseiller l’enfouissement des fanes de pommes de terre, c’est qu’il est préférable de les incinérer pour éviter la propagation des maladies de dégénérescence et cryptogamiques.

Dans le choix des engrais, on prêtera une attention particulière aux engrais organiques comme le sang, les guanos, les tourteaux, les gadoues.

Les composts, enfin, obtenus par la putréfaction à l’abri de l’air de déchets divers ne seront pas à négliger.

Les moyens d’action pour parer à la pénurie d’humus consécutive à la raréfaction du fumier sont donc nombreux et parfaitement efficaces. La motorisation de notre agriculture ne met donc pas en péril la fertilité des terres, qui continueront à recevoir les quantités d’humus qui leur sont nécessaires. Pour être facile à résoudre, le problème ne doit cependant pas être négligé et il ne faut pas attendre pour utiliser les procédés de substitution que les symptômes caractéristiques du manque d’humus commencent à se manifester. L’action des engrais organiques est lente et soutenue. On n’en doit pas laisser fléchir la courbe.

R. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°632 Octobre 1949 Page 701