En raison de sa complexité, l’humus est assez difficile à
définir. C’est cette matière noire ou brune que laisse dans le sol la
décomposition des matières organiques, animales ou végétales. Il joue un rôle
capital au triple point de vue physique, chimique et biologique.
Action physique : il assouplit les terres compactes et
nul n’ignore l’action bienfaisante du fumier dans les sols argileux, qu’il rend
plus faciles à travailler, moins cohérents, moins tenaces, moins « terre à
pot », moins froids aussi parce que moins imperméables et plus
foncés ; sur les terres légères, son action est aussi heureuse ; il
leur donne du corps et de la cohésion, il les empêche de se laisser emporter
par le vent ; capable de se gorger d’eau, il ralentit leur dessiccation.
Action chimique : son principe actif, l’acide humique,
se combine aux différentes bases du sol et notamment à la chaux et à la potasse
pour donner des humâtes, que les plantes utiliseront avec une particulière
dilection. Il retient, également, dans le sol, les éléments fertilisants qui
auraient tendance à être entraînés par les eaux de drainage. Il concourt donc
au « pouvoir absorbant » du sol et contribue à en maintenir la
fertilité.
Action biologique : il joue un rôle essentiel dans la
vie des microorganismes du sol indispensables à la nitrification.
Un sol qui s’appauvrit en humus voit baisser sa fertilité
pour de nombreuses années, et il est bien connu que le fumier a une action plus
prononcée et plus immédiate dans les terres habituellement fumées que dans celles
qui le sont rarement en raison de la vie microbienne plus intense qui y règne.
La grande source d’humus de nos sols est le fumier de ferme,
dont la production se trouve menacée par le développement de la motorisation,
qui amène la réduction du nombre des animaux de trait, ainsi que par l’emploi
de la moissonneuse-batteuse, qui incite à détruire la paille au lieu de la
récolter et de la mettre sous les animaux.
Cette technique ne saurait se développer sans mettre en
péril la fertilité même du sol pour arriver, comme dans certaines contrées du
nouveau monde où elle a été poussée jusqu’au bout, à la stérilité, et parfois à
sa dispersion sous l’effet du vent. L’inconvénient était mineur autrefois, dans
ces contrées, quand la faible densité de la population permettait de trouver
facilement des terres neuves ; il commence à y être pris au sérieux
maintenant ; dans notre pays de culture intensive, pareille chose ne peut
pas s’imaginer.
Il ne saurait, évidemment, être question de freiner le
progrès et d’aller contre l’évolution normale de la technique agricole, mais il
convient de prendre les mesures nécessaires pour assurer aux terres l’humus
dont elles ont besoin.
Notons d’abord que, bien souvent, les tracteurs ne
supprimeront pas entièrement les animaux de trait et que le bétail de rente
subsistera, ou même s’accroîtra. Il y aura donc encore pas mal de fumier dans
maintes exploitations.
Mais là où il n’y en aura plus, ou seulement où il n’y en
aura plus assez, il sera facile de compenser le déficit par la fabrication du
fumier artificiel selon le procédé Demolon-Burgevin qui permet la
transformation des pailles inemployées comme litières en un fumier de qualité
sensiblement équivalente au fumier de ferme. Cette méthode est préférable à
l’antique procédé du « fumier de cour », qui laisse perdre une
proportion appréciable de principes fertilisants, et plus encore à
l’incinération, qui ne conserve que les principes minéraux et détruit la
matière organique.
On pourra aussi recourir aux engrais verts, constitués par l’enfouissement
sur place de cultures spécialement destinées à cet usage. Il s’agit
habituellement de semis effectués en culture dérobée afin de ne pas sacrifier
de récolte ou encore de la dernière poussée d’un fourrage vivace, avant
défrichage.
On utilisera des crucifères à croissance rapide :
navette, moutarde, ou encore du sarrasin ou du maïs, mais, chaque fois qu’on le
pourra, on donnera la préférence aux légumineuses : vesces, pois,
féveroles, trèfle incarnat, trèfle violet, minette, etc., qui enrichissent le
sol en azote.
On évitera de laisser perdre les déchets organiques, comme
les collets de betteraves, et si on ne peut pas trop conseiller l’enfouissement
des fanes de pommes de terre, c’est qu’il est préférable de les incinérer pour
éviter la propagation des maladies de dégénérescence et cryptogamiques.
Dans le choix des engrais, on prêtera une attention
particulière aux engrais organiques comme le sang, les guanos, les tourteaux,
les gadoues.
Les composts, enfin, obtenus par la putréfaction à l’abri de
l’air de déchets divers ne seront pas à négliger.
Les moyens d’action pour parer à la pénurie d’humus
consécutive à la raréfaction du fumier sont donc nombreux et parfaitement
efficaces. La motorisation de notre agriculture ne met donc pas en péril la fertilité
des terres, qui continueront à recevoir les quantités d’humus qui leur sont
nécessaires. Pour être facile à résoudre, le problème ne doit cependant pas
être négligé et il ne faut pas attendre pour utiliser les procédés de
substitution que les symptômes caractéristiques du manque d’humus commencent à
se manifester. L’action des engrais organiques est lente et soutenue. On n’en
doit pas laisser fléchir la courbe.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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