Répondant à un vœu qui nous fut exprimé, nous allons
poursuivre l’étude du fumier par l’étude plus spéciale du gaz de fumier. Bien
que cette question ne soit pas nouvelle, beaucoup s’étonneront peut-être
d’apprendre qu’elle a déjà dépassé le stade théorique et que de nombreuses
réalisations pratiques datent d’avant la dernière guerre. Il conviendrait
plutôt de s’étonner de voir qu’en ces temps de pénurie de carburant ce procédé
de récupération d’énergie ne se soit pas plus répandu. Certes, son application
n’est pas simple et rencontre certaines difficultés, ou tout au moins nécessite
des soins très particuliers, mais il semble que la cause de sa rareté soit bien
plutôt l’ignorance même du procédé, qui comporte pourtant de réels avantages.
Et d’abord qu’est-ce que le gaz de fumier ? C’est du
gaz méthane (CH4) et c’est à Schlœring et Dehérain que revient
l’honneur d’avoir mis en lumière la formation du méthane dans certaines
fermentations du fumier en tas. Or le pouvoir calorifique du méthane est de
l’ordre de 9.000 calories par mètre cube, c’est-à-dire le triple de celui
du gaz de ville ordinaire. En réalité, le gaz de fumier qu’on obtient
pratiquement n’est pas pur et contient environ 30 à 40 p. 100 de gaz
carbonique, ce qui réduit son pouvoir calorifique à 6.000 calories en
moyenne, mais ne laisse pas d’être encore fort appréciable.
Quand on saura qu’une tonne de fumier peut fournir
pratiquement 60 mètres cubes de gaz, on comprendra tout l’intérêt de cette
technique. Au point de vue énergétique, cette tonne de fumier correspond donc à
50 litres d’essence environ. C’est ainsi, par exemple, qu’une ferme
moyenne qui produit couramment 200 à 300 tonnes de fumier par an
récupérerait par ce procédé une énergie équivalant à 10.000 ou 15.000 litres
d’essence. Mais cet exemple reste absolument théorique, car il nécessiterait
une installation très coûteuse, hors de proportion avec les moyens de
l’exploitation, et d’autre part l’utilisation du gaz produit reste soumise à
d’étroites conditions.
Quelle est maintenant la nature de la fermentation qui est à
l’origine de cette production de méthane ? C’est à MM. Ducellier et Isman
qu’on doit d’en connaître le mécanisme, comme c’est à eux qu’on doit d’avoir
mis au point les procédés techniques permettant de produire et de recueillir le
gaz de fumier en vue de son utilisation.
Le méthane est produit au cours d’une fermentation anaérobie
(nous avons vu dans un article précédent ce qu’il faut entendre par là). Elle a
donc lieu en profondeur, dans la masse, et serait due à l’activité d’un micrococcus
qui travaille de façon optima aux environs de 30 à 40°. Le procédé consistera
donc à assurer la fermentation anaérobie du fumier à une telle température.
Mais il faut éviter que se déclenche une fermentation butyrique également
anaérobie qui produirait de l’hydrogène sulfuré et risquerait de bloquer la
fermentation méthanique à laquelle elle s’oppose. Pour l’éviter, il suffit de
détruire les matières sucrées et amylacées aux dépens desquelles se développent
les micro-organismes responsables de la fermentation butyrique. Pour cela, on
déclenche d’abord une fermentation aérobie qui est due à un grand nombre de
bactéries, notamment au Mesentericus ruber, qui travaille à 50-55° et
qui, agissant sur les hydrates de carbone, contribue à leur destruction
rapide : en principe, trois ou quatre jours y suffisent au bout desquels
la paille a tourné du jaune doré au brun. La couleur brune de la paille indique
que cette fermentation est terminée et qu’on peut commencer la fermentation
anaérobie méthanique, donc la production du gaz de fumier.
D’ailleurs, cette préalable fermentation aérobie n’est pas
sans avoir d’autres conséquences heureuses : d’abord l’anhydride
carbonique qu’elle a produit fixe l’ammoniac qui contribue ainsi à maintenir
l’alcalinité du milieu favorable à la production du gaz méthane. Ensuite, en
portant la masse du fumier à température élevée, elle contribue à chauffer la
cuve de fermentation, et il suffira par la suite de maintenir la température au
voisinage de 30° en calorifugeant la cuve.
Nous touchons là, en effet, à un point délicat du procédé.
Pour maintenir la température convenable sous nos climats pendant les hivers
plus ou moins rigoureux, il devient nécessaire de prévoir le chauffage de la
cuve, ce qui devient alors une complication et une dépense supplémentaire. Et
c’est là la raison pour laquelle les applications pratiques du procédé ne sont
guère répandues que dans le Midi de la France et surtout en Afrique du Nord, où
des cuves ni chauffées, ni calorifugées fonctionnent toute l’année en plein
air. Toutefois, leur production est très variable selon les saisons et varie
alors du simple au quintuple.
Se fondant sur ces données théoriques, MM. Ducellier et
Isman ont mis au point des appareils automatiques, mais, avant d’en étudier le
fonctionnement, ce qui fera l’objet d’une prochaine chronique, notons que le
fumier qui a servi à la production du gaz méthane est loin d’avoir perdu sa
valeur proprement agricole. Il y a évidemment une légère diminution de matière
qui, d’ailleurs, ne dépasse pas 10 p. 100, mais le reliquat est une
matière noire semblable à du fumier de ferme très décomposé qui, par
conséquent, a gardé toute sa valeur d’amendement. Quant à sa valeur
fertilisante, elle n’est pas non plus sensiblement diminuée : les pertes
en azote, acide phosphorique et potasse semblent même être nulles par rapport
au fumier de ferme ordinaire.
Il s’agit donc bien là, au fond, d’une technique de
récupération d’énergie qui, sans cela, eût été perdue et non d’une technique de
transformation dont l’économie pourrait être discutable, ce qui réduit à néant
un argument qu’il eût été facile d’opposer à ce procédé.
J. P.
|