Alors qu’il y a une trentaine d’années cette affection était
relativement rare en France et ne s’observait que sur des sujets ayant vécu aux
colonies, on l’observe, depuis la guerre de 1914-1918, sur des personnes qui
n’ont jamais quitté la métropole et parfois avec des symptômes difficiles à
rattacher à leur vraie cause. Pour ne pas trop allonger cette causerie et
répondre à la demande d’un lecteur, je ne puis envisager cette question que
dans ses grandes lignes.
Dans sa forme typique, la maladie débute par une attaque de
dysenterie, impossible à méconnaître, avec ses symptômes classiques :
selles très fréquentes, purement muqueuses et sanguinolentes, accompagnées de
coliques, d’épreintes, c’est-à-dire du besoin impérieux d’aller à la
selle, pour une évacuation généralement peu abondante, de ténesme,
contracture douloureuse du sphincter. Souvent, cet épisode dramatique est fort
lointain, presque oublié du malade qui s’est cru longtemps guéri et qui
présente soit une rechute, soit un des accidents en dehors de l’intestin, après
de nombreuses années, sous l’influence d’une maladie intercurrente, d’un
changement de température, d’une fatigue ou même d’une émotion.
Il y a même des cas, surtout parmi ceux contractés en
France, où la crise dysentérique a été si faible qu’elle a passé inaperçue,
qu’elle a manqué totalement et que le malade accuse simplement une diarrhée
plus ou moins continue, parfois coupée de périodes de constipation, et l’on a
trouvé des cas paradoxaux de constipation opiniâtre.
Ces malades présentent souvent des troubles
dyspeptiques ; certains ont été longuement soignés pour des gastrites
rebelles, des ulcères de l’estomac ou du duodénum, ou ont failli être opérés
d’appendicite ; d’autres erreurs de diagnostic ont pu être commises.
L’état général est toujours atteint ; la fièvre n’est
pas constante et est toujours modérée et capricieuse, les troubles nerveux se
manifestent par un état d’inquiétude, des palpitations et souvent des vertiges,
survenant après une selle ou sans cause ; l’amaigrissement est toujours
noté et ne cède à aucun des moyens habituels ; il ne se laisse influencer
ni par le repos, ni par le régime, ni par des médicaments, tant qu’on ne
s’adresse pas à ceux de l’amibiase, dès qu’elle est décelée.
En dehors de l’intestin, la localisation la plus fréquente
atteint le foie, donnant lieu à une hépatite ou à un abcès de l’organe.
Ces gros foies sont souvent une surprise lors d’un examen
méthodique ou d’une radiographie ; leur constatation, à défaut d’une
étiologie évidente, doit aussitôt orienter les recherches vers une amibiase
méconnue.
Après le foie, c’est le poumon qui est le plus atteint par
l’amibiase, plus spécialement dans son lobe droit, et l’on conçoit, lorsque les
signes intestinaux ou hépatiques ont manqué (c’est parfois le cas) ou qu’ils
ont été méconnus, à quelles erreurs de diagnostic on peut être exposé, devant
un malade légèrement fébricitant, qui maigrit, qui tousse et présente des
crachats sanglants si un examen de ces derniers n’a pas fait découvrir
d’amibes.
C’est toujours au niveau du gros intestin qu’il faut
rechercher la signature de la maladie.
L’amibe s’y développe tout d’abord sans causer de troubles,
puis, dans un second cycle, grossit, s’incruste dans la muqueuse, y détermine
des ulcérations typiques, s’y gorge de sang, puis, la crise aiguë passée,
s’enkyste sous forme de kystes à quatre noyaux qui végéteront sans causer de
dommages jusqu’à ce que, sous une cause quelconque, ils redonnent naissance à
des amibes agressives. Sous leur forme de kystes, les amibes sont pour ainsi
dire invulnérables et ne réagissent pas aux médicaments.
La brève vue d’ensemble de l’amibiase (et on a passé sous
silence les localisations moins fréquentes du parasite) montre l’importance
qu’il y a de reconnaître la cause exacte de la maladie. Trois moyens s’offrent
à nous pour cela :
L’examen microscopique des selles ou des crachats, souvent
très délicat, immédiatement après leur émission qui doit se faire au
laboratoire même, généralement après une purgation.
L’examen rectoscopique qui devra toujours être pratiqué et
montrera les ulcérations typiques, permettant souvent d’y récolter des amibes
par raclage.
Enfin, l’épreuve thérapeutique ; quelques injections
d’émétine feront très rapidement disparaître les phénomènes douloureux,
l’hypertrophie du foie, etc.
Deux médicaments ont fait leurs preuves dans le traitement
de l’amibiase, l’émétine et l’arsenic.
L’émétine est un des alcaloïdes de l’ipéca. On l’utilise
presque exclusivement sous forme de chlorhydrate neutre, en injections
sous-cutanées ou intra-musculaires ; c’est un médicament très actif qui ne
doit être administré que sous contrôle et surveillance médicale, car il peut
s’accumuler dans l’organisme et causer quelques troubles ; aussi ne
l’emploie-t-on que par périodes, entrecoupées de périodes de repos.
L’arsenic s’emploie sous forme d’arséno benzol en injections
intra-veineuses ou de stovarsol en comprimés. On peut alterner ces deux
médicaments ou les employer conjointement.
La grande résistance de l’amibe enkysté oblige à refaire de
temps en temps une nouvelle cure ; pendant l’intervalle, on conseillera,
et cela pendant plusieurs années, de faire, chaque trimestre, deux cures de
trois semaines, séparées par un mois de repos, au cours desquelles on pourra,
par exemple, prendre, toujours par voie buccale, un jour un comprimé de stovarsol,
le lendemain une cuillerée de la pâte à l’ipéca, dite pâte de Ravaut.
Les sulfamides (sulfaguanidine, succinyl-sulfathiazol), sans
agir directement sur l’amibe, augmentent l’activité des médications précédentes
en agissant sur les infections surajoutées.
Et, pour répondre à mon correspondant, je répète que ces
cures doivent être très longtemps pratiquées, prolongées pendant plusieurs
années, reprises au moindre symptôme suspect si on veut éviter les redoutables
complications.
Dr A. GOTTSCHALK.
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