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Coutumes d’autrefois

Les veillées

UTREFOIS — et encore de nos jours en maintes campagnes, — les villageois avaient coutume de se réunir, le soir, pour se livrer à des petits travaux, tout en contant des histoires du temps des fées, tandis que les jeunes gens faisaient leur cour aux filles.

Les veillées commençaient, en général, en septembre. Un dicton picard disait en effet : al’ saint Gilles (1er septembre), saint Leu, al’ lampe a ch’ cleu (au clou). Il y a un certain nombre d’années, vers la fin du moins d’août, alors que les jours commencent à décroître, on disait à Commentry qu’on allait acheter les veillées à la foire de Chambérat, qui se tenait à cette époque.

Cet usage cessait avec le retour de la lumière, c’est-à-dire vers le 20 mars. Dans les Hautes-Alpes, c’était le 25. Ce jour-là, on noyait la lumière ; on allumait le « qualin », qui avait servi à éclairer ces rustiques entretiens, et on allait le jeter soit dans le bassin de la fontaine, soit à la rivière. Dans la région de Falaise, à la mi-mars, vers 1828, « on enterre le chandelier » ; c’est une petite fête pour tous ceux qui ont fréquenté l’étable durant l’hiver. Un festin et des danses, qui se prolongent fort avant dans la nuit, sont les adieux de séparation jusqu’au prochain automne. Ailleurs, on procédait à la noyade du « couperon ».

Afin d’annoncer ces assemblées, les Maraîchins, en Vendée, encore vers 1914, soufflaient, le soir, dans des cornes de bœufs. Ces appels, lugubres dans le silence, étaient, paraît-il, profondément émouvants.

Chaque petite région avait, en quelque sorte, des veillées particulières. Dans la Meurthe, vers 1830, les jeunes gens venaient frapper aux fenêtres des maisons où il y avait des filles ; ils les mariaient, les « daillaient », sous un feu roulant de plaisanteries. Toujours en Lorraine, la Sainte-Luce, c’est-à-dire le 13 décembre, était un grand jour de fête dans ces réunions. On pendait ce jour-là au « crémail » une marmite pleine de riz et pendant qu’il cuisait, assises en rond ou à croupetons, les femmes jouaient à « la savatte ». Parfois, un mauvais plaisant descendait par la cheminée, renversait le chaudron et soufflait la chandelle. Ce soir-là, on bavardait jusqu’à minuit, en mangeant des châtaignes et des poires. Le 31 décembre, on procédait au déchirement de l’année. Ces fêtes étaient assez mal vues des autorités, et, en 1737, Mgr de Saint-Simon, évêque de Metz, défendit les « écraignes ou veillées nocturnes où les garçons et les filles s’assemblent ». Cette ordonnance fut, bien entendu, fort peu observée !

En Lorraine, ces réjouissances intimes portaient différents noms : « écraignes » — comme en Champagne et en Bourgogne, — « loures » et « couarôyes ».

À Champ-le-Duc (Vosges), les petites « loures » avaient lieue alternativement entre deux ou trois ménages voisins autour d’une lampe unique : à huile, en fer, à quatre becs, à mèche en moelle de sureau, etc. Les femmes filaient au fuseau ou au rouet, les hommes parlaient bétail. Les grandes « loures » étaient plus cérémonieuses ; elles se faisaient sur invitation. On ne reculait pas devant la dépense et on allumait deux lampes : une pour les travailleuses, une pour leurs maris, qui jouaient aux cartes. Les gars arrivaient, au cours de la soirée, et se livraient à des divertissements traditionnels. Enfin, on servait un véritable réveillon, composé de jambon fumé, vin, café, sans oublier la goutte. Après avoir chanté, on se séparait vers deux ou trois heures du matin. La jeunesse s’amusait aussi aux dépens de ces noctambules. Pendant que quelques garçons distrayaient la galerie, d’autres lançaient, par la cheminée, des débris de poterie ou de ferraille qui faisaient un bruit effroyable, et s’enfuyaient à toutes jambes de peur d’être attrapés, car, en ce cas, on les ramenait à la maison et on leur barbouillait la figure avec la suie des marmites !

À Firménil, dans les Vosges, on plaçait la « breuchie » (cruche) remplie d’eau sur la tablette de la fenêtre et tout le monde s’y désaltérait pendant la soirée. À Liffol-le-Grand, dans le même département, il y a soixante-dix ans, le « couarot » était éclairé par une lampe à huile et à crémaillère, qu’un gamin était chargé de remonter et d’entretenir ; tout le monde allait se coucher vers dix heures.

Voici comment, d’après Brossmann, on passait la soirée au petit village d’Altenstadt, vers 1840 : « Comme on était très économe en Alsace, on se groupait l’hiver, par familles amies, à huit, dix et même douze, et l’on se réunissait tous les soirs un jour chez l’une, le lendemain chez l’autre, et ainsi de suite à tour de rôle. Les femmes apportaient leurs rouets et filaient ; les hommes fumaient la pipe et se reposaient des fatigues de la journée en racontant les légendes et l’histoire de notre pays et aussi les campagnes auxquelles ils avaient pris part ... À dix heures, on se séparait. » Au pays de Bitche, celui qui interrompait le conteur ou s’endormait devait, le lendemain, aller chercher de l’eau pour tout le monde !

Aux environs de Loudéac, aux « fileries », on dansait ; le garçon qui se distinguait le plus recevait du tabac en prix et la fille des rubans. Dans les montagnes du Limousin, les paysans s’assemblaient dans l’étable des moutons. Là, les femmes tricotaient, sous la faible clarté d’un morceau de résine ou de suif, le « lumei ».

Dans une jolie page, Frédéric Mistral a décrit cette coutume il y a environ un siècle, en Provence : « En ce temps, la mode de ces réunions joyeuses était loin d’être perdue, et elles se tenaient en général dans les étables ou dans les bergeries, parce que là, avec le bétail, on se trouvait plus chaudement.

» L’usage était que chaque veilleur ou habitué de la veillée fournît la chandelle à son tour, et il fallait que la chandelle durât deux soirées, de sorte que, quand les assistants la voyaient à moitié usée, ils se levaient et allaient au lit.

» Seulement, pour que la chandelle s’usât moins rapidement, on mettait sur le lumignon, savez-vous quoi ? un grain de sel ; on la posait debout sur le fond d’une portoire ou d’un cuvier renversé, et les femmes qui filaient ou qui berçaient leurs petits (car les mères apportaient les berceaux à la veillée), avec leurs hommes et leurs enfants, s’asseyaient tout autour, sur la litière ou sur des billots. Lorsqu’il n’y avait pas de sièges, les fileuses, une devant l’autre, la quenouille au côté (quenouille de roseau, renflée et coiffée de chanvre), tournaient lentement autour du veilloir, afin d’éclairer leur fil, et l’on y disait des contes, souvent interrompus par un ébrouement des bestiaux, un bêlement ou un braiement. »

Parfois, on choisissait des sortes de cavernes, où l’on était bien abrité des intempéries. En Gâtine, dans les Deux-Sèvres, on se tenait, à ces soirées, dans des carrières. Les garçons venaient y voir les filles. La bergère laissait tomber son fuseau que le galant s’empressait de ramasser ; la belle, pour montrer qu’elle n’était point insensible, offrait quelques pruneaux : c’était là une déclaration en règle ! Un usage à peu près semblable existait en Bretagne, dans le Finistère du moins, à la fin du XVIIIe siècle. Les filles laissaient passer leurs fuseaux par des trous de telle sorte que, si les fils se cassaient, les gars, placés au-dessous de la « filerie » ou « rendue nuitale » les rapportaient au prix d’un baiser. Un auteur local ajoute, non sans malice : « Rien n’égale la maladresse des filles dans ce canton ; on n’y voit point d’écheveaux sans reprises. »

Au siècle dernier, dans la même province, il existait des veillées désignées sous le nom de « filouas », où l’on travaillait, des « veillouas », consacrées au jeu et à la danse, des « érusseries » (de chanvre) et enfin des « cuiseries de pommé », où l’on fabriquait des confitures de pommes arrosées de cidre doux.

Ces coutumes, si pittoresques, si variées, ont laissé dans la littérature quelques souvenirs : tout d’abord le poème de Ronsard, Quand vous serez bien vieille ... qui n’est, en réalité, qu’un récit d’une « vêprée », et aussi ces quelques vers de Vauquelin de la Fresnaye :

Avec ta mère, après souper, chez nous
viens t’en passer cette longue sérée :
près d’un beau feu, de nos gens séparée
ma mère et moi veillerons comme vous.
Plus que le jour la nuit sera belle,
et nos bergers, à la claire chandelle,
des contes vieux, en teillant, conteront,
Lise tandis (tandis que Lise) nous cuira des châtaignes
et si l’ébat des jeux tu ne dédaignes,
de nous dormir les jeux nous garderont.

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°632 Octobre 1949 Page 719