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La clientèle des sanatoria

En lisant le numéro d’août du Chasseur Français, j’ai été frappé par l’article de Gilbert Prouteau, « La grande pitié du sport universitaire », et par la très haute proportion d’étudiants tuberculeux — 10p. 100 — qui y est mentionnée.

Me trouvant à ce moment dans les Alpes, tout près d’une vallée où abondent les sanatoria, j’ai pris le journal et suis allé trouver les directeurs et les médecins traitants. Voici le résumé de leurs observations.

— Il y a quelques années, nous avions comme principal contingent de malades les victimes du taudis — en décroissance, — les gazés de la guerre de 1914, et plus tard, les rescapés des camps allemands et les sous-alimentés de 1940-1944.

» Actuellement, ces diverses sources se sont extrêmement atténuées, et nous avons deux très importantes et peut-être peut-on dire deux régulières origines : les plages et les facultés.

» D’abord, et incontestablement, le bain de soleil.

» Nous ne voulons nullement dire que le fait de se bronzer, prudemment et progressivement, constitue un danger en soi, mais les baigneurs, et surtout les baigneuses, sont gens impatients. À leurs premières sorties en maillot, ils ont honte de leur peau blanche, ils se sentent tous nus tant que le hâle n’est pas venu confondre la teinte de leur peau avec celle des premiers arrivés. D’où des séances interminables, sur le ventre et sur le dos, dont les uns se tirent avec une légère fièvre, mais dont ceux qui ont la moindre apparence de prédisposition ne sont quittes qu’avec l’éclosion brutale d’un cancer rapide ou d’une profonde lésion pulmonaire. Car nul ne peut plus nier aujourd’hui l’action pénétrante des rayons solaires sur les tissus.

Nous avons ici un malheureux qui, arrivant de Paris sur la Côte d’Azur, n’a rien trouvé de mieux que d’aller sur l’heure se bronzer à la plage, allongé et lisant sans doute. Cette lecture ne devait pas être des plus captivantes, car il s’endormit et ne se réveilla que trois heures après. Nous ne le sauverons pas. Une autre, dans le même cas, a succombé en quelques jours à une crise d’urémie. Les bains de soleil nous font bien 45 p. 100 de nos entrées.

» Tout de suite après les victimes du soleil, viennent les étudiants. Sur ce point, M. Prouteau a pleinement raison. Encore faut-il distinguer : les étudiants vivant hors de leur famille, et en premier lieu les étudiants et étudiantes de province habitant Paris. Pour ceux-là se pose une question de surmenage intellectuel, mais surtout de coexistence de ce surmenage avec la sous-alimentation.

» Je m’explique. Une famille entretient dans la capitale un jeune homme ou une jeune fille pendant ses années d’études, et pour cela lui sert une pension mensuelle. Or il n’y a rien qui varie plus, en ce bas monde, que la façon dont chacun utilise son argent. Délibérément, les étudiants réduisent au strict minimum leur budget alimentation pour consacrer des sommes suffisantes au cinéma, au théâtre et aux « sorties » diverses. La moindre place à une des pièces « qu’il faut avoir vues » oscille entre 200 et 500 francs ... et c’est fou, le nombre de représentations indispensables, même lorsque l’on ne verse pas dans le surréalisme et l’existentialisme.

— Et le remède, selon vous ?

— D’abord que les parents s’inquiètent, pendant cette période de croissance physique et de fatigue intellectuelle, de la table de leurs étudiants. J’en ai connu qui ont obtenu d’excellents résultats en réglant directement à un restaurant la pension de leurs rejetons et en leur envoyant le reste de leurs mois. C’est un peu les traiter en bébés, mais ils — ou elles — sont si peu raisonnables ! Et c’est pourtant là la seule solution dans bien des cas.

— Et le sport ?

— Il faut être prudents, en période de préparation d’examen et de pleine dépense cérébrale. Ne point faire comme les adjudants d’avant 1914, qui soutenaient que la barre fixe repose du pas gymnastique. Le sport modéré et surveillé est tout indiqué, mais avec un accroissement des rations alimentaires. Ce que je tiens à préciser, c’est que l’étudiant qui déjeune d’un sandwich et dîne d’un café et d’un croissant, pour fumer 200 francs de cigarettes américaines et payer 300 francs sa place dans une salle d’avant-garde, est sur la pente de cette tuberculose universitaire que signale cet article.

Et le maître a conclu, en souriant à quelque souvenir de jeunesse :

— Le bon sens, j’en ai su quelque chose en mon temps, est la chose du monde la plus mal partagée ...

Pierre MÉLON.

Le Chasseur Français N°633 Novembre 1949 Page 743