Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°633 Novembre 1949  > Page 764 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Un textile précieux

Le kapok

Cette belle fibre de teinte faiblement roussâtre, lisse, soyeuse, a, jusqu’à ces derniers temps, fait l’objet de peu de plantations dans l’Empire français. Cependant, elle existe à peu près partout. Elle n’est exploitée que dans une très faible mesure, pour les besoins des populations locales et d’un petit artisanat en Indochine, surtout au Cambodge.

Le commerce colonial commence à s’en occuper ; il achète ce qu’on lui apporte. Mais les ramasseurs négligent fréquemment de s’y intéresser pour de multiples causes.

Le kapok est un produit encombrant, de faible densité ; à poids égal, il occupe un volume quadruple de celui du coton. Pour le vendre convenablement, il faut le nettoyer, retirer les graines et débris végétaux mêlés à la fibre. Cela se fait très facilement avec un ventilateur, sorte de tarare qui sépare la fibre des impuretés l’accompagnant.

Enfin, le kapok, dispersé dans la brousse, exige beaucoup de main-d’œuvre (des femmes et des enfants suffisent) pour la récolte et le groupement primaire chez l’habitant.

La gousse contenant la fibre et les graines de kapok est le fruit de deux variétés de grands arbres à croissance rapide, commençant à donner vers quatre ans. L’un est l’Eriodendron anfractuosum, ou faux cotonnier, que l’on rencontre à peu près partout dans les pays tropicaux ayant une certaine humidité. L’autre, le Bombax bunopozense de l’Afrique noire, se plaît dans les pays secs ; la zone sahélienne de l’Afrique-Occidentale française lui convient particulièrement.

On trouve du kapok à Madagascar, aux Antilles, à la Guyane, aux Nouvelles-Hébrides, en Océanie ; on m’a même signalé qu’aux îles Marquises, à Nouka-Hiva, on l’a vu, sous l’action du vent, dévaler les pentes des coteaux, en rouleaux d’un mètre vingt d’épaisseur, qui allaient se perdre à la mer.

Les habitants du pays connaissaient bien ce produit, mais leur si petit nombre et leur indolence native aidant, ils se contentaient de préparer une partie du coprah de leurs cocoteraies.

Le commerce du kapok a été lancé par les Indes néerlandaises, qui en tiennent toujours la tête. Les Britanniques en apportent aussi passablement sur le marché. Chez nous, si toutes les colonies peuvent en produire, la fourniture n’est appréciable, d’après les derniers chiffres connus, qu’en Indochine, où l’exportation atteignait 3.149 tonnes, plus la consommation de l’artisanat local, et en Afrique-Occidentale française, d’où sortaient 1.041 tonnes.

En janvier 1949, le kapok d’A. O. F., contenant 5 p. 100 de graines, était vendu dans la métropole 205 francs le kilogramme pour la variété blanche et 180 francs pour la variété grise.

Le kapok blanc d’Indochine, en entrepôt, nu, atteint 250 francs le kilogramme.

C’est surtout le Soudan français qui produit le kapok. Les plantations, en quasi-totalité indigènes, couvrent environ 20.000 hectares. Profitons de ce démarrage pour saluer l’œuvre de Joannes Raffin, commerçant à Kayes, en 1897, créateur de la Chambre de commerce de cette ville, qui fut, on peut le dire, l’inventeur du kapok soudanais, produit par le Bombax bunopozense, dont la belle fibre soyeuse est parfois considérée comme un peu longue pour le rembourrage, mais supérieure en revanche pour la filature. Elle approche et peut être comparée en qualité avec celle provenant de Guayaquil (Équateur), la plus longue connue.

Le bois des producteurs de kapok, surtout celui de l’Eriodendron anfractuosum, n’est guère utilisable, bois blanc, très léger, extrêmement pelucheux, il ne peut se raboter proprement, il est piqué très rapidement par les vers. Il serait juste bon pour la papeterie, si des peuplements assez considérables pour alimenter une usine se constituaient près d’un port, où l’on pourrait disposer de forces motrices importantes à bon marché pour faire de la pâte mécanique ou de la pâte chimique par le procédé de la pile électrolytique.

Les graines contenues dans les gousses sont petites. Elles contiennent une huile très fine ayant la propriété de ne pas rancir aisément ; elle peut recevoir de nombreuses applications.

La fibre, bien connue et classée sur les marchés du monde depuis plus de trente ans, est employée depuis des temps immémoriaux par les Asiatiques et les Malais pour remplir des coussins de rembourrage de tous objets allant de la théière chinoise calorifugée dans son panier aux nattes et matelas dits cambodgiens. Elle sert aussi à faire des couvertures piquées. L’industrie occidentale en fait un grand emploi pour les articles de tapisserie, literie, matelas et couvre-pieds, ouatage des vêtements, mettant en valeur ses précieuses qualités de ne pas abriter les insectes (en particulier les punaises) et de reprendre son volume après affaiblissement par des expositions au soleil, évitant la réfection des matelas.

— Le kapok est parfait pour la literie navale et les engins de sauvetage de la marine. Grâce à sa légèreté et à l’enduit imperméable qui recouvre ses fibres et l’empêche de se mouiller, il a supplanté la poudre de liège et les matières analogues servant à confectionner les ceintures et gilets de sauvetage.

Pendant l’autre guerre, M. Prudhomme, directeur du Jardin colonial de Nogent-sur-Marne, a prouvé qu’il pouvait, étant convenablement préparé, remplacer le coton hydrophile pour les pansements. À la même époque, feu Crevost, conservateur du Musée économique d’Hanoï, le faisait filer et tricoter par des femmes annamites confectionnant de chaudes combinaisons pour aviateurs.

Un industriel parisien le fit filer et tisser mécaniquement. Il fabriqua des écharpes légères semblables à celles de laine grattée, des couvertures très légères. Puis de gros tissus d’ameublement pour portières et rideaux. Seulement le kapok est très inflammable, il faut ignifuger très sérieusement ces tissus avant l’emploi, sans cela ils peuvent flamber comme des tissus de pilou. Aujourd’hui, l’ignifugation, très perfectionnée, fait disparaître ce danger. Ajoutons que le kapok se teint aisément.

Nous n’avons considéré que les tissus pur kapok, mais les tissus mixtes, kapok-laine, kapok-soie, kapok-coton ou kapok-fil, sont aussi réalisables.

Nous avons là un textile qui peut nous aider sérieusement pendant les longues années où la laine sera rare et chère, tout comme le coton et autres textiles même produits sur notre sol. Par la suite, vulgarisé et connu du grand public, il conservera sa place dans notre économie nationale.

N.B. — On tente quelquefois, dans le commerce, de frauder en présentant, au lieu du kapok, des fibres de divers typhas provenant des marais. Ces fibres n’ont aucune des qualités du kapok. Généralement on les reconnaît à leur odeur de marais.

Victor TILLINAC.

Le Chasseur Français N°633 Novembre 1949 Page 764