Cette belle fibre de teinte faiblement roussâtre, lisse,
soyeuse, a, jusqu’à ces derniers temps, fait l’objet de peu de plantations dans
l’Empire français. Cependant, elle existe à peu près partout. Elle n’est
exploitée que dans une très faible mesure, pour les besoins des populations
locales et d’un petit artisanat en Indochine, surtout au Cambodge.
Le commerce colonial commence à s’en occuper ; il
achète ce qu’on lui apporte. Mais les ramasseurs négligent fréquemment de s’y
intéresser pour de multiples causes.
Le kapok est un produit encombrant, de faible densité ;
à poids égal, il occupe un volume quadruple de celui du coton. Pour le vendre
convenablement, il faut le nettoyer, retirer les graines et débris végétaux
mêlés à la fibre. Cela se fait très facilement avec un ventilateur, sorte de
tarare qui sépare la fibre des impuretés l’accompagnant.
Enfin, le kapok, dispersé dans la brousse, exige beaucoup de
main-d’œuvre (des femmes et des enfants suffisent) pour la récolte et le
groupement primaire chez l’habitant.
La gousse contenant la fibre et les graines de kapok est le
fruit de deux variétés de grands arbres à croissance rapide, commençant à
donner vers quatre ans. L’un est l’Eriodendron anfractuosum, ou faux
cotonnier, que l’on rencontre à peu près partout dans les pays tropicaux ayant
une certaine humidité. L’autre, le Bombax bunopozense de l’Afrique
noire, se plaît dans les pays secs ; la zone sahélienne de
l’Afrique-Occidentale française lui convient particulièrement.
On trouve du kapok à Madagascar, aux Antilles, à la Guyane,
aux Nouvelles-Hébrides, en Océanie ; on m’a même signalé qu’aux îles
Marquises, à Nouka-Hiva, on l’a vu, sous l’action du vent, dévaler les pentes
des coteaux, en rouleaux d’un mètre vingt d’épaisseur, qui allaient se perdre à
la mer.
Les habitants du pays connaissaient bien ce produit, mais
leur si petit nombre et leur indolence native aidant, ils se contentaient de
préparer une partie du coprah de leurs cocoteraies.
Le commerce du kapok a été lancé par les Indes
néerlandaises, qui en tiennent toujours la tête. Les Britanniques en apportent
aussi passablement sur le marché. Chez nous, si toutes les colonies peuvent en
produire, la fourniture n’est appréciable, d’après les derniers chiffres
connus, qu’en Indochine, où l’exportation atteignait 3.149 tonnes, plus la
consommation de l’artisanat local, et en Afrique-Occidentale française, d’où
sortaient 1.041 tonnes.
En janvier 1949, le kapok d’A. O. F., contenant 5
p. 100 de graines, était vendu dans la métropole 205 francs le
kilogramme pour la variété blanche et 180 francs pour la variété grise.
Le kapok blanc d’Indochine, en entrepôt, nu, atteint 250 francs
le kilogramme.
C’est surtout le Soudan français qui produit le kapok. Les
plantations, en quasi-totalité indigènes, couvrent environ 20.000 hectares.
Profitons de ce démarrage pour saluer l’œuvre de Joannes Raffin, commerçant à
Kayes, en 1897, créateur de la Chambre de commerce de cette ville, qui fut, on
peut le dire, l’inventeur du kapok soudanais, produit par le Bombax bunopozense,
dont la belle fibre soyeuse est parfois considérée comme un peu longue pour le
rembourrage, mais supérieure en revanche pour la filature. Elle approche et
peut être comparée en qualité avec celle provenant de Guayaquil (Équateur), la
plus longue connue.
Le bois des producteurs de kapok, surtout celui de l’Eriodendron
anfractuosum, n’est guère utilisable, bois blanc, très léger, extrêmement
pelucheux, il ne peut se raboter proprement, il est piqué très rapidement par
les vers. Il serait juste bon pour la papeterie, si des peuplements assez
considérables pour alimenter une usine se constituaient près d’un port, où l’on
pourrait disposer de forces motrices importantes à bon marché pour faire de la
pâte mécanique ou de la pâte chimique par le procédé de la pile électrolytique.
Les graines contenues dans les gousses sont petites. Elles
contiennent une huile très fine ayant la propriété de ne pas rancir
aisément ; elle peut recevoir de nombreuses applications.
La fibre, bien connue et classée sur les marchés du monde
depuis plus de trente ans, est employée depuis des temps immémoriaux par les
Asiatiques et les Malais pour remplir des coussins de rembourrage de tous
objets allant de la théière chinoise calorifugée dans son panier aux nattes et
matelas dits cambodgiens. Elle sert aussi à faire des couvertures piquées.
L’industrie occidentale en fait un grand emploi pour les articles de
tapisserie, literie, matelas et couvre-pieds, ouatage des vêtements, mettant en
valeur ses précieuses qualités de ne pas abriter les insectes (en particulier
les punaises) et de reprendre son volume après affaiblissement par des
expositions au soleil, évitant la réfection des matelas.
— Le kapok est parfait pour la literie navale et les
engins de sauvetage de la marine. Grâce à sa légèreté et à l’enduit imperméable
qui recouvre ses fibres et l’empêche de se mouiller, il a supplanté la poudre
de liège et les matières analogues servant à confectionner les ceintures et
gilets de sauvetage.
Pendant l’autre guerre, M. Prudhomme, directeur du
Jardin colonial de Nogent-sur-Marne, a prouvé qu’il pouvait, étant
convenablement préparé, remplacer le coton hydrophile pour les pansements. À la
même époque, feu Crevost, conservateur du Musée économique d’Hanoï, le faisait
filer et tricoter par des femmes annamites confectionnant de chaudes
combinaisons pour aviateurs.
Un industriel parisien le fit filer et tisser mécaniquement.
Il fabriqua des écharpes légères semblables à celles de laine grattée, des
couvertures très légères. Puis de gros tissus d’ameublement pour portières et
rideaux. Seulement le kapok est très inflammable, il faut ignifuger très
sérieusement ces tissus avant l’emploi, sans cela ils peuvent flamber comme des
tissus de pilou. Aujourd’hui, l’ignifugation, très perfectionnée, fait disparaître
ce danger. Ajoutons que le kapok se teint aisément.
Nous n’avons considéré que les tissus pur kapok, mais les
tissus mixtes, kapok-laine, kapok-soie, kapok-coton ou kapok-fil, sont aussi
réalisables.
Nous avons là un textile qui peut nous aider sérieusement
pendant les longues années où la laine sera rare et chère, tout comme le coton
et autres textiles même produits sur notre sol. Par la suite, vulgarisé et
connu du grand public, il conservera sa place dans notre économie nationale.
N.B. — On tente quelquefois, dans le commerce,
de frauder en présentant, au lieu du kapok, des fibres de divers typhas
provenant des marais. Ces fibres n’ont aucune des qualités du kapok.
Généralement on les reconnaît à leur odeur de marais.
Victor TILLINAC.
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