Les Français, chaque année, à la Toussaint,
n’oublient point de fleurir les tombes de leurs chers disparus. Sous la bise
souvent, âpre de ce début de novembre, ils vont porter des chrysanthèmes à
l’humble cimetière de campagne ou à l’anonyme nécropole citadine. En dehors de
ce geste rituel, ce jour est l’occasion également de maintes coutumes
pittoresques et parfois émouvantes.
Dans les villages, on met les cloches en branle. C’est là un
usage très ancien qui donna lieu, au temps jadis, à bien des procès. Les
archives judiciaires, les papiers des églises mentionnent des interdictions
formulées contre les carillonneurs trop zélés qui cassaient le bronze,
empêchaient les braves gens de dormir et, surtout, quêtaient pour se rafraîchir
et se reposer d’une nuit entière passée à tirer sur les cordes. En 1579, à
Laon, la veille du jour des Ames, les serviteurs de la cathédrale demandèrent
— déjà — une augmentation de salaire « pour la sonnerie de la
veille du jour des Ames ». Les chanoines leur accordèrent vingt-quatre
livres, à la condition expresse qu’ils n’iraient point tendre la main dans les
maisons de la ville ; cet usage existait encore vers 1875 dans les
campagnes du Laonnais.
Autrefois, à Biaise, dans la Haute-Marne, écrit un auteur
local « le soir de la Toussaint, beaucoup de gens allaient eux-mêmes
sonner le glas pour leurs morts. Chacun sonnait une laisse au moins. Pendant ce
temps, les sonneurs faisaient la tournée dans le village pour recueillir du
vin, du pain, du lard, des œufs. Cette quête se continuait le lendemain, jour
des Morts. La sonnerie se prolongeait très tard dans la soirée et même une
grande partie de la nuit ». À Troyon, dans la Meuse, les conscrits
devaient faire tinter les campanes.
À Amiens, au moyen âge, les guetteurs de la ville étaient
obligés de jouer de la trompette durant la soirée.
En certaines contrées, on avait l’habitude d’illuminer les
tombes. À Vesoul, dans le courant du siècle dernier, les habitants venaient, à
la nuit tombante, planter des bougies sur les dalles des trépassés. Vers 1900,
on pouvait noter le même éclairage funéraire à Mâcon. À Béthune, les visiteurs
plantaient des chandelles sur le calvaire du cimetière.
Dans quelques provinces, des hommes parcouraient les rues
des bourgs en chantant une lugubre complainte ; voici celle qui était en
honneur à Marlhes, dans la Loire, vers 1860 :
Réveille-toi, peuple chrétien,
Prends tes habits, sors de ton lit,
C’est pour ton mal ou ton bien,
Pense à la mort de Jésus-Christ.
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Cette pratique pieuse, mais incommode, fut interdite dans
plusieurs paroisses, car elle effrayait les habitants !
Bien entendu, ce jour-là, on mangeait, un peu partout, des
plats spéciaux. Vers la fin du siècle dernier, à Neuvic et à Combressol, dans
la Corrèze, on dégustait, au souper, la peluchée de la Toussaint, c’est-à-dire
des châtaignes cuites dans l’eau sans avoir été épluchées ; au pays de
Bray, en Normandie, on servait du pâté de poires. À Merlimont, à
Saint-Josse-sur-Mer, il fallait avaler du lait aux pommes cuites, afin d’être
préservé des fièvres toute l’année. Sur les bords du Breuchin, on croquait du
millet au lait, car on croyait ainsi délivrer autant d’âmes du Purgatoire qu’on
avait absorbé de grains.
À Firménil, dans les Vosges, on ne faisait pas cuire de pain
pendant l’octave de la Toussaint. En Normandie, on cueillait les nèfles, pour
obéir au dicton local :
À la Toussaint,
Va dans les bois
Les mêles sont mûres.
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En dehors de ces rites, dont certains sont généraux, il
existe ou a existé, de-ci de-là, maintes pratiques ou superstitions curieuses.
En Lauraguais, celui qui naît dans la nuit du 1er
ou 2 novembre porte sur sa langue le signe troublant des sorciers et est,
de ce fait, fort redouté.
Vers 1830, dans les Ardennes, du moins dans quelques
villages, les villageois aisés apportaient à l’église des offrandes de blé, qui
était réparti entre le curé et le chantre et servait ainsi à acquitter des
messes de Requiem. On croyait aussi, dans la même région, que ce jour-là
les âmes des trépassés se promenaient dans le cimetière.
Dans le Baugeois, on recommandait, il n’y a pas encore très
longtemps, de ne pas semer de blé le jour de la fête des Morts, surtout pendant
la messe, car il n’aurait pas réussi. Au contraire, à Firménil, dans les
Vosges, les cultivateurs avaient jadis l’habitude de conserver un champ afin de
l’ensemencer de froment ce jour-là ; pendant ce temps, les enfants
jouaient aux noix, soit avec de grosses billes, soit dans un van.
Dans les environs de Carcassonne, certaines personnes avaient
coutume de placer la nuit précédant le jour des Ames des châtaignes bouillies
sur leur édredon. C’était à la fois une offrande aux défunts et aussi un moyen
de détourner l’attention de ceux-ci afin qu’ils ne vous tracassent pas !
Vers 1830, à Chevillé, dans la Sarthe et dans les communes
environnantes, on allait bêcher, le jour des morts, les tombes de la famille.
Cela s’appelait « rafraîchir les fosses ». Les riches confiaient ce
soin au sacristain, les pauvres se chargeaient eux-mêmes de ce travail.
En Picardie, principalement à Feuquières, avait lieu une
petite cérémonie très touchante. Moyennant deux liards, des gamins récitaient
les sessiames, c’est-à-dire des psaumes, sur les sépultures, en présence
des parents, qui écoutaient, à genoux, la funèbre prière ; ceux qui
refusaient de se plier à cette coutume étaient très mal vus. Dans la région
d’Auray, c’étaient des pauvres qui allaient de porte en porte psalmodier, pour
un sou, un cantique comprenant de soixante-quinze à quatre-vingts
couplets !
À Montpellier, à la fin du XVIe siècle, nous
trouvons un usage plus gai. Thomas Platter nous conte, en effet, que le 2 novembre
« les jeunes gens riches de la ville se travestirent avec des vêtements de
femmes et tinrent un jeu de bagues non loin de la Saunerie ... Ils étaient
tous masqués, quelques-uns avaient garni leurs vêtements de plaques de cuivre
qui produisaient un grand bruit en courant ».
Cette date marque aussi celle du départ de certains
ouvriers. C’est ainsi que, vers 1860, à Saint-Balmas-le-Selvage, dans les
Alpes-Maritimes, tous les hommes valides s’expatriaient. On chantait une messe,
puis tous quittaient le pays ; les vieillards, les femmes et les enfants
s’enfermaient alors dans leurs étables, avec leurs troupeaux, et n’en sortaient
qu’au printemps, quand la neige le leur permettait. En Berry, c’était la fin
des engagements des valets embauchés à la Saint-Jean ; on chantait-le
couplet suivant :
J’en aurai iune (sic)
À la Toussaint qui vient,
Soit blonde ou brune,
La beauté n’y fait rien !
Et trou la la (bis)
Trou la la (bis)
Trou la lère ! (bis)
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Bien entendu, le paysan ne manque point, ce jour-là, comme
lors de la plupart des fêtes, d’observer le temps qu’il fait et d’en tirer des
conclusions. Ainsi on dit en Franche-Comté :
À la Toussaint, si belette est blanche
Emplis deux fois ta remise de branches,
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tandis qu’en Seine-Inférieure on énonce les vérités suivantes :
À la Toussaint, le froid revient.
La Toussaint met l’hiver en train.
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Dans le Haut-Vannetais on déclare que :
Au 1er novembre, il faut que les sources soient pleines,
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sans quoi il y aura disette d’eau.
Dans les Ardennes, vers 1830, on se levait, la veille de la
Toussaint, à minuit « très précis », et, alors, on sentait de quel
côté venait le vent : il devait souffler de cette direction les trois
quarts de l’an.
Ainsi, à travers la France, les cloches tintant lugubrement
les glas évoquent les jolies coutumes d’autrefois qui donnent à nos provinces
un charme si particulier et si attachant.
Roger VAULTIER.
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