Les timbres des vieux États allemands ont toujours été parmi
les favoris des philatélistes de tous pays. Et certaines pièces comme le trois
de Saxe, le no 1 de Bavière, les premiers Oldenbourg, etc.,
font partie de ce qu’il est convenu d’appeler les grands classiques qui donnent
le ton aux collections avancées. Cette faveur tient à de nombreuses
causes : la beauté ou tout au moins le charme de la presque totalité de
ces vieux timbres, le nombre élevé de variétés de planches ou d’impressions et
la quantité encore plus grande de variétés dans les oblitérations ou dans les
utilisations postales, et surtout au fait que les Allemands sont probablement
les premiers philatélistes du monde, aussi bien au point de vue collectionneurs
qu’en ce qui concerne l’étude des timbres ; d’où demandes continuelles
pour ces timbres qui les intéressent tout particulièrement, et présence d’une
littérature philatélique technique sans égale ailleurs.
Toutes ces données ont fait que, malgré les événements, les
vieux « allemands » ont toujours été très populaires chez nous. Et,
si l’on dressait un recensement de nos philatélistes par genres, après l’énorme
majorité des spécialistes ou des limités à France et colonies, on trouverait
les spécialistes germaniques parmi les groupes les plus importants.
Quelle a été l’influence des événements de ces dernières
années sur ce domaine particulier de la philatélie ?
En fait, le marché principal des vieux allemands, qui est,
comme il est naturel, l’Allemagne, est plus ou moins coupé de la philatélie
mondiale depuis bientôt près de vingt ans. Et, surtout depuis l’avènement
d’Hitler et la mise en pratique de ses lois sur les monnaies multiples, la
philatélie allemande vivait comme en vase clos. Ce qui, en ce qui concerne la
valeur des timbres, amena des différences énormes quant aux évaluations
allemandes comparées à celles de Paris ou d’ailleurs. Et cela d’autant plus que
le vieux timbre classique fut considéré de très bonne heure comme une valeur
réelle par les Allemands pondérés, justement alarmés des élucubrations de leur
Führer.
Ces cotations en hausse devinrent automatiquement celles
pratiquées dans tous les pays envahis par les armées du Reich, lesquelles
renfermaient nombre de philatélistes qui ramassèrent tout ce qu’ils purent. Une
très grande quantité de timbres allemands fut ainsi rapatriée. Arrivèrent alors
les opérations aériennes qui précédèrent la Libération. Si l’industrie
allemande, qui était la cible principale de ces opérations, semble n’avoir que
partiellement souffert, la philatélie, elle, par contre, paraît avoir payé un
très lourd tribut aux attaques aériennes. On peut dire que la moitié au moins
des collections philatéliques disparurent ainsi dans la tourmente. Et parmi
elles justement quelques-unes des plus célèbres, de celles qui renfermaient le
plus de raretés.
Il ne semble pas que les collectionneurs aient tiré toutes
les conséquences de cet état de choses quant à la rareté accrue de bien des
pièces classiques. Tout au moins hors d’Allemagne, car les spécialistes
allemands savent à quoi s’en tenir si l’on en juge aux achats qu’ils font en
Amérique par exemple.
Aussi est-ce avec la plus grande curiosité que sont suivies
les rares ventes aux enchères de matériel spécialisé de grande classe.
Justement la collection de Bergedorf du Dr Werner, probablement
la première du monde, vient d’être dispersée à Hanovre en zone anglaise. Les
pièces offertes et les prix atteints méritent quelques commentaires.
Bergedorf est l’un des États allemands les plus difficiles à
spécialiser. Il n’y eut qu’une seul émission de six timbres en 1861, lesquels
furent très peu utilisés malgré une validité de près de six ans. C’est pourquoi
les timbres oblitérés valent de vingt à cent cinquante fois le prix des mêmes
timbres neufs. Et c’est dire l’extrême rareté des lettres portant des timbres
d’origine.
Or justement la collection du Dr Werner
était mondialement célèbre par ses lettres, quelques-unes uniques. Le ½ s.
noir sur bleu est très rare en blocs de quatre usés, seulement trois pièces
connues ; une telle pièce atteignit 2.900 marks (le mark zone
anglaise vaut environ 70 francs au change noir). Ce même timbre en unités
sur lettres fit de 3 à 8.500 marks selon les oblitérations et l’état du
timbre en nuance foncée. En nuance claire, une bande de quatre sur lettre
(seule pièce connue) dépassa 7.000 marks.
Le 3 s. varia entre 3 et 5.000 marks sur lettres
et 2 et 2.600 sur pièces, selon les oblitérations. Une combinaison sur lettre
du 3 + 4 s. (trois connues) atteignit le prix élevé de 8.400. Mais le
record fut enregistré par une paire verticale du ½ noir sur bleu foncé, qui fit
12.000 marks parce que paire verticale — ce qui est sans doute
unique.
Une comparaison de ces prix traduits en francs avec ceux de
notre catalogue (qui ne s’occupe que des unités détachées) est des plus instructive.
Il en ressort d’abord que, financièrement parlant, les vieux timbres allemands
« tiennent le coup ». Autant qu’on en peut juger, il semble bien que
les prix actuels pour les belles pièces soient au moins aussi élevés qu’avant
guerre. Autre constatation, et qui ne joue pas que pour les timbres allemands,
c’est la facilité avec laquelle des pièces incontestablement très rares, mais
aussi très spéciales et appartenant à un pays en fait peu populaire, ont réussi
à trouver preneurs à des prix records. La tendance à la spécialisation
s’affirme de plus en plus. Autre remarque : le prix relativement plus
élevé des pièces sur lettres, ce qui confirme la tendance de ces dernières
années des philatélistes avancés de donner plus d’importance aux variétés
d’utilisation postale qu’à celles relatives à la fabrication des timbres,
— c’est-à-dire tendance absolument inverse de celle d’il y a vingt ans et
dont on trouve une autre confirmation dans la vente qui vient d’avoir lieu de
la fameuse collection des Indes de C. D. Desai, où des raretés mondiales
de première eau comme les 4 annas tête renversée atteignirent
péniblement ; les prix anciens, tandis que les lettres intéressantes
firent au moins le double des estimations prévues. Partout, le vent est à la
spécialisation limitée en surface avec une importance de plus en plus accordée
aux lettres hors série.
M.-C. WATERMARK.
|