Au cours de ces derniers mois, nous avons été surpris par
une recrudescence d’assertions aussi convaincues que peu probantes concernant
les armes sans recul, les poudres sans recul et, bien entendu, les cartouches
sans recul. Il semblerait que le recul est devenu la bête noire des tireurs
d’aujourd’hui et qu’ils se préoccupent plus de la sensibilité de leur épaule
que de l’efficacité de leur tir. À la vérité, l’atténuation du recul a toujours
tenté techniciens et usagers ; d’autre part, quelques idées plus publicitaires
que rationnelles ont, il faut bien le dire, égaré parfois l’opinion des
chasseurs.
Essayons aujourd’hui de faire le point en examinant le
comportement d’une arme normale et en nous réservant de revenir ultérieurement
sur quelques procédés plus ou moins applicables aux armes de chasse utilisables
sur notre terrain national.
Dans toute bouche à feu, l’énergie libérée par la combustion
de la poudre exerce sa puissance dans deux directions ; d’une part, le ou
les projectiles sont lancés en avant, et, d’autre part, la bouche à feu ainsi
que son affût, s’il existe, effectuent un mouvement d’une certaine amplitude en
arrière, dit mouvement de recul.
Le recul tout court est, plus précisément, la sensation
physiologique perçue par le chasseur au moment du départ du coup.
Or, mécaniquement, il faut que l’action soit toujours égale
à la réaction ; c’est là un point assez mal compris des chasseurs peu
familiers avec certaines notions de balistique élémentaire. La démonstration
est d’ailleurs assez simple, mais, sans entrer dans des développements
mathématiques, nous demanderons aux incrédules d’observer ce qui se passe dans
la pratique journalière : par exemple, lorsque quelque pêcheur saute de
son bateau sur la berge, on voit immédiatement le bateau s’en aller au large.
Il serait facile de trouver quantité d’exemples de ce genre.
Quant à l’égalité numérique des quantités de mouvement
(produits des masses par les vitesses), elle résulte non seulement de la
théorie des systèmes en équilibre, mais elle est encore affirmée par de
nombreuses expériences de laboratoire, et c’est là un principe indiscutable.
Dans le cas du fusil de chasse, nous avons, d’une part, la
masse de l’arme qui recule avec une vitesse relativement faible (4 à 6 mètres)
et, de l’autre, la masse totale des gaz, des bourres et du plomb qui progresse
en avant avec une vitesse beaucoup plus grande (380 mètres environ). Les
deux quantités en mouvement doivent s’équilibrer et, s’il n’y avait pas de
vitesse de recul, il ne pourrait pas y avoir de vitesse de projection. En
outre, toutes les fois qu’à partir d’une valeur normale nous chercherons à
diminuer la sensation physiologique du recul, nous devrons accepter une
réduction de vitesse ou admettre une réduction de masse, soit, en résumé, une
réduction de puissance.
Si le fusil sans recul n’existe pas, il est incontestable
que plus une arme est lourde, plus sa vitesse de recul est réduite et la
sensation correspondante atténuée. Toutefois, les forces du chasseur ayant une
limite, on ne peut que chercher un compromis entre le poids de l’arme et celui
de la charge. La pratique a approximativement adopté la loi du centième comme
rapport entre le poids de la charge et celui de l’arme.
La poudre sans recul n’existe pas ; les plus légères, à
égalité de vitesses, donneront le recul minimum ; c’est pour cette raison
que les poudres à base de nitrocellulose donnent un recul moins pénible que les
poudres noires.
Les bourres sans recul n’existent pas ; certaines
bourres intelligemment conçues permettent l’obtention de vitesses restantes
convenables avec un peu moins de vitesse initiale. Ce résultat est obtenu par
une moindre déformation des plombs ; il y a une très légère atténuation du
recul, et c’est tout. Si l’on cherche à obtenir une notable atténuation, on est
amené à sacrifier la vitesse, donc l’efficacité.
Il s’ensuit que la cartouche sans recul reste du domaine de
l’utopie.
Dans les armes de guerre, on atténue partiellement le recul
par divers procédés, notamment par les freins de bouche, appareils dont le principe
est basé sur le retournement d’une partie des gaz de la combustion vers la
culasse. L’industrie des États-Unis a appliqué la méthode à des fusils monocanons
sans trop d’inconvénients ; nos armes à double canon ne se prêtent guère à
cette application qui déséquilibrerait le fusil, et comme ce dernier genre
d’arme restera, en raison des nécessités de la chasse française, de beaucoup le
type le plus répandu, il ne faut guère compter sur le frein de bouche pour
atténuer le recul dans la majorité des cas.
Nous indiquons, pour mémoire, qu’il existe des procédés
d’atténuation du recul basés sur une consommation exagérée d’explosifs. Il ne
peut en être question pour les armes de chasse.
Il ne nous reste donc, pour atténuer et non supprimer le
recul, que la possibilité d’avoir recours à des dispositifs amortisseurs, dont
le plus simple est le sabot de caoutchouc et le plus élégant la plaque de
couche à alvéoles. On pourrait mieux faire, au prix d’une certaine complication
mécanique, en déséquilibrant l’arme ; de telles dispositions ne sont
intéressantes que pour des armes d’affût.
Dans le cas où un fusil normal et employant la munition
standard donne un recul désagréable, il convient d’en rechercher la cause dans
la manière d’épauler. Parfois l’adoption de la crosse pistolet donnera de très
bons résultats. Tous ces inconvénients, qui font, assez justement d’ailleurs,
le malheur de beaucoup de chasseurs, relèvent de la même cause : défaut de
contact à l’épaule. Il y a choc où il devrait y avoir une simple poussée du
buste.
En bref, nous ne pouvons mieux résumer ces quelques
considérations que par l’avis du général Journée, qui concluait ainsi qu’il
suit une étude sur le recul :
« Des poudres ou des fusils dépourvus de recul ne
peuvent être que dépourvus de vitesse, à moins qu’on ne les ait employés à
lancer des charges de plomb dépourvues elles-mêmes de poids. »
À bon entendeur, salut.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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