Chaque année, dès l’ouverture de la chasse, la rubrique des
faits divers des quotidiens s’alimente de l’annonce d’un certain nombre
d’accidents de chasse, de même que, chaque année, l’arrivée de la saison
chaude, qui est aussi celle des bains en rivière, ramène dans ces journaux la
rubrique des baignades tragiques. Et la même remarque s’applique aux accidents
de montagne et surtout aux accidents d’automobiles, pour lesquels la saison,
c’est toute l’année. C’est là un tribut à payer dont on ne se libérera jamais.
La faute n’en est pas toujours à ce qu’il y aura toujours des imprudents, c’est
surtout parce que chacun de nous est porté à penser que « l’accident c’est
pour les autres », alors qu’on devrait penser que l’accident nous guette
tous tant que nous sommes et nous attend au coin de la rue.
Mais laissons là ces considérations générales qui ne
rentrent pas dans notre spécialité, pour nous en tenir à l’aspect juridique de
la question, c’est-à-dire à la recherche des responsabilités qui sont
susceptibles de découler des accidents de chasse.
Le principe en cette matière, c’est que, lorsqu’une personne
vient à être blessée au cours d’une partie de chasse par un coup de feu, la
responsabilité de l’accident incombe automatiquement à celui qui a tiré. Il y a
là une présomption de faute à la charge du tireur, présomption qu’il ne peut
faire écarter que s’il est en mesure de prouver que l’accident est la
conséquence d’une faute commise par la victime, ou que l’accident est la
conséquence d’une circonstance fortuite et imprévisible dont il ne peut être
tenu comme responsable.
La faute de la victime, c’est presque toujours le fait pour
elle de se trouver à une place où elle n’avait rien à faire et d’où la prudence
la plus élémentaire devait la tenir éloignée. Lorsque la victime participe à la
même partie de chasse que le chasseur qui l’a blessée, la question se pose de
savoir si la séance de chasse avait été réglementée, si une place était
assignée à chaque chasseur et si la victime avait observé la réglementation.
Dans ce dernier cas, le tireur malheureux pourra échapper à toute
responsabilité.
Quant à la circonstance fortuite susceptible d’éviter au
tireur d’avoir à supporter les conséquences de l’accident, elle consiste le
plus ordinairement en ce que le plomb a pris une direction inattendue et
imprévisible par l’effet d’un ricochet. Les tribunaux ont souvent été appelés à
faire application de cette règle.
Il arrive parfois qu’il soit impossible de savoir quelle est
la personne qui a tiré le coup de feu ayant causé la blessure. En cette
hypothèse, on a parfois prétendu faire supporter la responsabilité de
l’accident solidairement à tous les participants à la chasse, ou à certains
d’entre eux après élimination de ceux parmi lesquels il est certain que ne se
trouve pas celui qui a causé la blessure. Des solutions de cette nature, si
elles peuvent se défendre par des raisons d’ordre sentimental ou de simple
équité, n’ont rien de juridique et chacune des personnes invitées à participer
à la réparation du préjudice serait en droit de s’y refuser dès lors qu’aucune
preuve n’est rapportée d’un fait à elle personnel engageant sa responsabilité.
Une condamnation prononcée dans ces conditions manquerait de base légale et
pourrait être cassée.
Une solution un peu différente consisterait, dans
l’hypothèse envisagée, à mettre la réparation du préjudice résultant de
l’accident à la charge de la société de chasse considérée comme personne morale
distincte de l’ensemble des membres qui la composent. Pour justifier une telle
solution, il faudrait d’abord que la société soit investie de la personnalité,
ce qui suppose une association régulièrement déclarée et publiée. Il faudrait
en outre que l’on pût retenir à la charge de la société envisagée comme
personne distincte un fait ou une abstention constituant l’imprudence ou la
négligence. Les tribunaux ont parfois jugé qu’il pouvait en être ainsi dans le
cas de mauvaise réglementation de la chasse, ou d’absence de toute
réglementation ; ceci peut, en effet, être considéré comme une négligence
imputable à celui ou à ceux à qui il incombait de prendre les mesures
appropriées pour éviter les accidents ; en ce cas, la société de chasse
dont ces derniers sont les préposés pourrait être tenue pour responsable des
accidents qui seraient la conséquence directe de ce défaut d’organisation.
Tout ce que nous venons de dire n’est qu’une sorte de schéma
du mécanisme de la responsabilité en matière d’accidents de chasse ; mais
la mise en application de ces principes, dans la pratique, donne matière à
d’assez sérieuses difficultés.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel de Paris.
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