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Rapaces nocturnes

En plus des difficultés habituelles de jugement sur le degré d’utilité ou de nuisibilité, ces rapaces n’étant en mouvement que de nuit, leur observation est difficile et les déductions faites ne peuvent provenir que des analyses des déjections ou, mieux, des pelotes de réjections qu’ils vomissent après leur repas. Les travaux de nombreux chercheurs spécialisés sont donc du plus haut intérêt à ce sujet. Parmi ceux-ci, il est bon de rappeler les noms (trop souvent ignorés du public — chasseurs ou agriculteurs) de : professeur Guérin, Madon, de la Fuye, L’Hermitte, Rey, Uettendorfer de Flœricke, et de tant d’autres.

Parmi les rapaces nocturnes, les plus communs de France sont sans nul doute l’effraie, la hulotte et la chevêche, tous trois sédentaires en France ou erratiques.

Viennent ensuite, et très localisés : le grand duc, de plus en plus rare, le moyen duc migrateur, le hibou des marais, le petit duc, assez localisé, la chouette Tengmalm et la chevêchette en montagne. Tous ont la tête ronde, un bec très crochu et un plumage mou au toucher ; ceux apparentés aux hiboux (terme général) présentent deux petites touffes de plumes nettement visibles, formant un genre d’oreilles ou de sourcils. Les chouettes n’ont pas ces touffes de plumes, mais dans les deux cas les oreilles sont invisibles et n’ont rien de commun avec ces touffes. Du point de vue cynégétique, seul le grand duc apparaît comme nuisible, mais sa localisation et sa rareté ne peuvent permettre de le considérer comme un danger. Madon, dans son remarquable traité Les Rapaces d’Europe, démontre du reste que cette nuisibilité est très discutable, car le grand duc détruit des carnivores et des rapaces diurnes eux-mêmes nuisibles au gibier. C’est donc une nuisibilité plus apparente que réelle.

L’effraie.

— Sa longueur totale est de 0m,35 environ, son envergure 0m,95. Ses ailes au repos atteignent ou dépassent le bout de la queue. Le bec très recourbé est jaunâtre, au centre d’une collerette de soies blanches très visible entourant les deux yeux. Le plumage est mou, soyeux, lui interdisant d’entrer dans les buissons. Les pattes sont emplumées, les doigts velus terminés par des serres brun foncé crochues et acérées. Elle atteint 220 à 310 grammes. Roussâtre sur le dos et le dessus de la tête, la face ventrale est blanchâtre ou rousse, selon la région. L’ensemble du plumage est tacheté de perlures fines du meilleur effet. Elle vit au voisinage immédiat de l’homme, réfugiée dans les clochers, les granges, vieux bâtiments ou greniers, ruines. Sa nourriture comprend 95 p. 100 de petits mammifères : campagnols, mulots, musaraignes, quelques oisillons, batraciens et insectes. Elle est inoffensive pour le gibier. Elle se constitue parfois un garde-manger garni de rongeurs.

La hulotte ou chat huant.

— Longueur totale : 0m,40 ; envergure : 0m,95 à 1 mètre environ. Les ailes au repos n’atteignent pas le bout de la queue. Le bec est foncé chez les vieux sujets. La collerette autour des yeux est très visible et plus claire que le reste du plumage brun roux plus ou moins foncé. La face ventrale est jaunâtre avec des dessins en long du plus bel effet. Les pattes sont emplumées jusqu’au bout des doigts terminés par des serres noires ou grisâtres. Son poids est de 430 à 600 grammes. Elle vit plus à l’écart de l’homme, dans les vieux têtards ou arbres creux, ou réfugiée au plus profond des bois, car elle craint la lumière.

Son régime alimentaire comprend 83 p. 100 de mammifères (campagnols, mulots, taupes), 12p. 100 d’oiseaux, parmi lesquels on a constaté des corvidés, des rapaces nocturnes et de petits passereaux, 4 p. 100 de reptiles et batraciens, quelques poissons et insectes. On peut la considérer comme sans danger pour le gibier, bien qu’elle doive assimiler les lapereaux aux campagnols.

La chevêche.

— Longueur totale : 0m,23 ; envergure : 0m,52 à 0m,60 ; poids : de 135 à 198 grammes. Les ailes au repos se croisent et couvrent presque la queue. La collerette autour des yeux est moins visible. Les yeux sont jaune clair. Les tarses peu emplumés. Les doigts sont jaune granulé en dessous, les serres noires. Elle vit également près de l’homme dans un trou de mur, grenier, bâtiment abandonné, arbre creux, ruines, et même dans les terriers de lapins comme j’ai pu le constater personnellement durant une année. Sa nourriture comprend 50 p. 100 de mammifères moyens surtout (campagnols, souris, mulots), 40 p. 100 d’insectes (hannetons, grillons, courtilières), 2,5 p. 100 d’oiseaux, dont des poussins enlevés des nids. Je l’ai vue s’attaquer à de petits poussins de poule en plein jour, car elle chasse aussi bien de jour que de nuit. Je ne la crois cependant pas nuisible aux poussins de gibier qui ne quittent guère les couverts jusqu’à ce qu’ils puissent voler. Elle amasse parfois des provisions (rongeurs).

Le grand duc.

— Longueur totale : 0m,60 ; envergure : 1m,70 à 1m,80. Les ailes au repos n’atteignent pas le bout de la queue. Une grande collerette entoure les yeux de couleur orange vif et un bec puissant, crochu et noir. Les pattes sont emplumées jusqu’aux doigts armés de serres très puissantes (5cm.) et crochues. Deux touffes de plumes, très apparentes et mobiles, forment des sourcils ou des oreilles. Le plumage est rayé de brun en long, sur fond ocré plus ou moins roux. Il est localisé en montagne et dans quelques rares régions de France. Il ne tolère aucun autre couple dans son canton. Il se réfugie dans les rochers ou dans les gros arbres creux ou à feuillage très dense, d’où il ne bouge guère durant le jour, bien qu’il y voit assez pour échapper au tireur qui le menace. Il vit de mammifères, 67p. 100, de taille moyenne (carnivores, insectivores et rongeurs) et d’oiseaux, 31 p. 100 (rapaces, becs droits et gibier). Malgré le jugement porté sur lui, on devrait, étant donnée sa rareté, le protéger, car il n’est pas prouvé que son régime nuise au gibier.

Le moyen duc.

— C’est un erratique et migrateur qui y voit très mal de jour. Je l’ai souvent approché de très près sans qu’il s’envole.

Sa longueur totale est de 0m,30, pour 0m,85 d’envergure. Les ailes au repos dépassent la queue. Ses yeux jaune orange sont encadrés par une collerette peu prononcée. Des soies entourent le bec ; les deux touffes de plumes sont dressées sur sa tête. La couleur générale est ocre jaune, plus claire sur le ventre qui est blanchâtre avec des traits longitudinaux interrompus et rayés en travers de couleur brune. Son poids est de 250 à 300 grammes. Il vit dans les taillis bordant les plaines. Son menu est à base de rongeurs, 97 p. 100, et surtout de campagnols, quelques oiseaux, 2,5 p. 100. Il est sans danger pour le gibier.

Le petit duc ou scops.

— C’est le plus petit des nocturnes avec la chevêchette, de 0m,19 de longueur totale pour 0m,49 d’envergure. Les ailes au repos atteignent ou dépassent le bout de la queue. Les yeux sont jaunes, entourés d’une collerette grise et surmontés de deux touffes de plumes verticales. Poids : 175 à 200 grammes. Il y voit aussi bien de jour que de nuit et ne se laisse pas facilement approcher, ainsi que j’ai pu le constater. Il vit dans un arbre creux, une paroi rocheuse couverte de lierre, ou dans les ruines, loin ou près de l’homme. Son plumage est brun plus ou moins clair, à face ventrale grisâtre rayée en long de traits bruns. On le trouve dans le Midi surtout. Il est migrateur. Son régime comprend 40 p. 100 de rongeurs, 20 p. 100 d’oiseaux (moineaux surtout) et 40 p. 100 d’insectes (en été surtout). Il est sans danger pour le gibier.

Le hibou des marais ou brachyote.

— Longueur totale : 0m,36 ; envergure : 1m,07 ; poids : 300 à 375 grammes. Les ailes au repos dépassent la queue. Les yeux jaune d’or sont enfouis dans une collerette à liséré blanc et le bec enfoui sous de longues soies. Les pattes et les doigts sont emplumés, terminés par des serres noires. C’est un migrateur en petites troupes, que j’ai observé en septembre dans un taillis en bordure de bois. Il semble se fixer où les campagnols abondent, ceci malgré son nom « des marais », car on le trouve aussi bien en plaine dans les champs de choux et de pommes de terre qu’au marais. Son menu est à base de rongeurs, 96 p. 100, dont 80 p. 100 de campagnols, 2 p. 100 d’oiseaux et quelques batraciens et reptiles. Sa couleur générale est brune, avec face ventrale jaunâtre rayée en long de brun. Les touffes de plumes sur la tête sont petites et obliques. Il y voit autant de jour que de nuit. Il se tient rarement près des maisons.

La Chouette Tengmalm.

— Longueur : 0m,25 ; envergure : 0m,54. Les ailes au repos arrivent à 2 centimètres du bout de la queue. Les yeux sont jaune-soufre, le bec jaune clair au centre d’une collerette blanche formée de soies. Tarses et doigts emplumés et serres noires. Poids : 230 à 350 grammes. Habitante des montagnes sédentaire ou migratrice. Elle y voit mal de jour. Son plumage est brun sur le dos, blanc sur le ventre avec quelques stries longitudinales. Elle vit dans les résineux, se nourrissant de 49 p. 100 de mammifères (campagnols, mulots, musaraignes) et de 50 p. 100 de petits passereaux, ce qui tendrait à la classer comme nuisible, mais non au point de vue gibier.

La chevêchette.

— La plus petite de la série des nocturnes avec 0m,17 de longueur totale pour 0m,30 d’envergure. Les ailes au repos n’atteignent pas la queue à son extrémité. Les yeux sont jaune foncé, le bec est jaune sale, la collerette de fond blanc avec raies brunes concentriques. Plumage à fond blanc rayé de brun sur le ventre, brun sur le dos ; son poids est de 170 à 300 grammes. Elle y voit autant de jour que de nuit. Elle est toujours rare et ne quitte guère la montagne et ses forêts. Elle vit de petits rongeurs et petits passereaux. Inoffensive pour le gibier.

Tous ces rapaces ont été traités, en détail, dans Animaux nuisibles, qui donne les procédés faciles d’identification de ces oiseaux.

Dans l’ensemble, on peut donc constater que ces rapaces sont inoffensifs pour le gibier, rien ne s’oppose donc à leur ménagement. Ce qui ne veut pas dire que certains d’entre eux ne soient pas à surveiller dans les parquets d’élevage, surtout au moment où ces rapaces ont charge de famille et où les proies faciles (poussins de gibier) sont là pour les tenter.

A. CHAIGNEAU.

Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 782