Je disais, dans une précédente causerie, que la curiosité de
la perche était bien connue et qu’elle s’élançait sur tout ce qui bougeait dans
les environs de son repaire.
Sa bouche étant son seul moyen de préhension, il est courant
d’entendre dire que sa faim est insatiable et son audace sans bornes, car elle
vient jusqu’à la berge poursuivre sa proie, si ce n’est jusque dans nos bottes.
Il ne faut pas être aussi exclusif dans notre
jugement : la perche attaque plus souvent par férocité que par boulimie,
et même n’hésite pas à gratifier d’un coup de dents une proie bien plus grosse
qu’elle.
Son caractère irascible se décèle aisément, car, si son
attaque réussit, elle s’éloigne tranquillement sans essayer de se repaître de
sa victime, ce qui lui serait impossible souvent, il est vrai.
Les pêcheurs ont mis à profit cet instinct belliqueux
en lui présentant un leurre animé, excitant et fort efficace, mais n’ayant au
point de vue gustatif aucun rapport avec un poisson naturel.
Bien qu’on puisse l’employer en tout temps et en toutes
circonstances, c’est à l’arrière-saison, en octobre-novembre et en hiver, qu’il
donne les meilleurs résultats.
Par une matinée de gelée blanche, par un beau soleil, il est
parfait ; on le nomme « dandinette », désignant ainsi indifféremment
le leurre et la méthode.
C’est un morceau de métal brillant, en étain ordinairement,
vaguement fusiforme, mais pouvant avoir un tout autre aspect : un
cylindre, un prisme, une balle de Lebel, etc., à votre choix, pourvu qu’il soit
petit, brillant et lourd en tête.
Contrairement aux autres leurres, il est armé en tête :
les croquis inclus donneront une idée plus nette des différentes silhouettes et
de leur armement.
Un hameçon triple, rigide, sera coulé dans le métal ;
en queue de l’appât, un petit trou permettra de fixer la racine terminale du
bas de ligne, qui doit être assez résistant.
Nous vérifierons que le pourtour de ce trou ne soit pas à
arête vive, afin d’éviter de couper le crin soumis à des tractions brusques et
continuelles en cours de pêche. Ne descendez pas au-dessous de 4 X, vous
vous exposeriez à des déboires.
Un nylon de 20 p. 100 conviendra à merveille, attaché
directement au leurre ; à l’autre extrémité, à 20 centimètres
environ, on fixera un émerillon de couleur neutre, mais je m’empresse de dire
qu’il peut être supprimé sans grand inconvénient, ce qui supprime également un
nœud, cause habituelle de « casse ».
Il est cependant recommandable d’employer un nylon ou une
racine de moindre résistance que la bannière de ligne, pour que, en cas
d’accrochage, ce soit la partie terminale qui cède, limitant ainsi la perte.
Ajoutons que cela est secondaire pour les pêcheurs ne recherchant pas
l’économie.
La longueur totale de la ligne et du bas de ligne sera
inférieure à celle de la canne.
Celle-ci, mi-rigide, en bambou noir de préférence, afin
qu’elle soit moins visible, maniable d’une seule main, avec ou sans moulinet,
complétera le matériel : vous voyez qu’il est fort simple et à la portée
de toutes les bourses.
La perche affectionnant les enrochements, les constructions
immergées, c’est autour de ces obstacles qu’il faut la rechercher en pêchant de
la berge, et c’est en bateau qu’on explorera les herbiers, les abords des
roseaux et les trouées dans les nénuphars.
Approchant sans bruit du repaire présumé, vous posez votre
dandinette, qui plonge instantanément ; lorsque vous jugerez qu’elle est
proche du fond, où elle ne doit pas se poser, vous relevez brusquement la
canne, par saccades, jusqu’à ce que le leurre arrive en surface, et vous recommencez,
sans interruption dans votre manœuvre, deux ou trois fois au même endroit, si
vous pensez qu’une de vos victimes éventuelles est dans les environs ;
sinon, allez plus loin, explorant le pourtour de tous les obstacles quels
qu’ils soient.
Soudain, pendant la remontée, une brutale secousse stoppe
net le leurre : une perche est accrochée.
Attention ! Si vous êtes novice, vous allez être
surpris, ce qui se traduira par un mouvement brutal de la canne ; comme la
perche a la bouche fragile, vous allez arracher les cartilages et votre poisson
sera perdu.
Continuez donc, après l’attaque, votre mouvement
ascensionnel, sans plus de vigueur, et déposez le poisson dans la barque ou sur
le pré, à moins que ses dimensions nécessitent l’épuisette ou la gaffe. Le fait
est assez rare : ce sont surtout les poissons moyens qui se capturent à la
dandinette, et notre 20 p. 100 est suffisamment solide pour les extraire
de leur élément.
Vérifiez souvent le nœud d’attache, qui peut glisser ou se
couper sous les tractions répétées.
Je disais, au début de cette causerie, que la dandinette
était métallique ; ce peut être un petit poisson mort casqué ou son sosie
en caoutchouc.
Il a, sur le métal, une nette supériorité ; sa
consistance souple, pourrais-je dire, incite la perche qui a manqué le leurre à
revenir à la charge ; il en est tout autrement si elle s’est cassé les
dents sur un morceau de ferraille. Et n’oubliez pas qu’une perche manquée met
en fuite toutes les autres : fait indéniable parmi la gent percidée.
Le casque est obligatoire pour que l’appât exécute une
pirouette à la descente et plonge tête première.
Un autre carnassier se laisse aisément berner par la
dandinette : c’est le brochet ; il saute dessus avec enthousiasme et,
dans les trouées de la végétation parfois très dense des eaux calmes, c’est le
procédé presque exclusif de pêche à employer.
Ne vous laissez pas entraîner dans le lacis des herbes où le
brochet va chercher à filer dès qu’il se sentira piqué ; aussi, si vous
pensez qu’un gros « bec de canard » hante ces lieux, terminez votre
ligne par une mince soie d’acier qui défiera les dents du vorace et vous
permettra de le tenir solidement.
Il n’est rien de plus vexant que de voir un beau brochet
s’en aller avec votre leurre pendu à la lèvre tel un pendentif pour négresse à
plateaux.
Gaffez-le le plus vite possible si vous êtes équipé pour, ou
traînez-le hors de l’herbier ... si vous pouvez : c’est souvent plus
aisé à dire qu’à faire.
Cette méthode de pêche est très prisée des romanichels à
cause de sa simplicité et du matériel restreint nécessaire. J’ai vu sur le lac
de Saint-Point, en Jura, un de ces errants prendre en barque 18 livres de
perches et quatre brochets à la dandinette, dans les herbiers de l’extrémité du
lac. Moi-même ..., mais soyons modeste.
Marcel LAPOURRÉ.
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