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Explorations souterraines

Les plus grands gouffres du monde

À notre époque où tout le monde parle de records, l’une des questions de spéléologie qui intéressent le plus grand public est celle des plus profonds gouffres connus. Naturellement, nous ne manquerons pas de signaler que ces profondeurs sont très inférieures à celles des grands puits de mine, qui dépassent largement 2.000 mètres.

Le record mondial de profondeur en spéléologie a successivement appartenu aux cavités suivantes :

— 270 mètres, grotte de Padriciano (Istrie), de 1839 au 6 avril 1841 ;
— 329 mètres, grotte de Trebiciano (Istrie), jusqu’en août 1916 ;
— 332 mètres, grotte de Sarkotic (Monténégro), jusqu’au 2 novembre 1924 ;
— 450 mètres, abîme Bertarelli (Istrie), jusqu’au 26 août 1926 ;
— 637 mètres, Spluga della Preta (Italie), jusqu’au 8 août 1946 ;
— 658 mètres, Trou du Glaz (France), depuis cette date.

Les difficultés et les obstacles rencontrés au cours de ces expéditions souterraines sont tels que, jusqu’à présent, parmi les quelque vingt gouffres mondiaux qui dépassent 300 mètres, un seul a pu être exploré intégralement, c’est-à-dire possède une entrée supérieure et une sortie inférieure. C’est le plus profond de tous, le réseau de la Dent de Crolles, exploré de 1935 à 1947 par le Spéléo-Club alpin de Lyon (voir Escalades souterraines, par Pierre Chevalier, Susse. 1948). L’exploration complète de ce réseau a demandé 65 expéditions d’une durée totale de mille cent heures. L’ensemble du système, l’un des plus complexes connus, a 17 kilomètres de développement et ne compte pas moins de 2.000 mètres de puits nécessitant l’emploi de l’échelle, ces puits étant arrosés pour la plupart.

Le réseau a pu être exploré intégralement grâce à l’existence d’une entrée située à mi-hauteur, le Trou du Glaz, à partir de laquelle il a été descendu vers la grotte du Guiers Mort et remonté vers le plateau de la Dent de Crolles.

La Spluga della Preta, le plus grand abîme connu, est une succession de dix puits verticaux dont un de 159 mètres et un autre de 128 mètres. Après élargissement de deux passages à — 300 et — 330 mètres, le fond a été atteint en 1926 à -637 mètres. Il est constitué par un lac de 15 mètres de diamètre.

Viennent ensuite :

— l’antre de Corchia, en Italie (Toscane) : 559 mètres ;
— le Tonion-Schacht, en Autriche : 527 mètres (non terminé) ;
— l’Anou Boussouil, en Algérie : 525 mètres (exploré de 1931 à 1946) ;
— l’abîme de Verco, en Italie (Gorizia) : 518 mètres ;
— le Geldloch, en Autriche : 514 mètres.

Le gouffre de Caladaïre, en Vaucluse, dont l’exploration, commencée en 1946, a été terminée l’été dernier par les Éclaireurs de France, atteint 487 mètres. Deux années de suite, ce groupe revint à la charge, passant chaque fois une semaine dans le gouffre. Mais son acharnement ne devait, la seconde année, lui permettre que de gagner 5 mètres supplémentaires, alors que la révision des levés topographiques lui faisait perdre près de 70 mètres.

L’abîme de Montenero, en Italie, a 480 mètres.

L’abîme Bertarelli, en Istrie (450 mètres), est l’un des rares gouffres où ait eu lieu un accident mortel : au cours de la première exploration, en 1925, deux hommes furent pris par la crue d’une cascade pendant la remontée des dernières échelles et noyés.

Le gouffre de la Henne Morte, dans les Pyrénées françaises, vient au onzième rang avec 446 mètres. Des moyens considérables avaient été mis en œuvre en 1947 pour cette exploration qui comportait la descente d’un puits très arrosé de 100 mètres comme principal obstacle. Les explorateurs séjournèrent cinq jours à 250 mètres de profondeur (voir Le Mystère de la Henne Morte, de Félix Trombe, et Exploration, de Norbert Casteret).

L’abîme Federico Prez, en Istrie, avec 420 mètres, et l’Eisriesenwelt, en Autriche, avec 410 mètres, terminent la liste des grands gouffres ou grottes mondiaux de plus de 400 mètres.

Une dizaine d’autres ont de 400 à 300 mètres. La plupart sont situés en Italie ; la France en compte deux seulement : la grotte-gouffre du Biolet, en Grande Chartreuse (338 mètres), et le gouffre Martel, dans les Pyrénées ariégeoises (303 mètres). Ce dernier, exploré par Norbert et Élisabeth Casteret en 1935, est resté le gouffre le plus profond de France jusqu’en 1941, époque à laquelle la liaison entre le Trou du Glaz et la grotte du Guiers Mort lui enleva le record avec 427 mètres. De 1941 à 1947, une lutte aussi cordiale qu’acharnée se livrait entre Casteret à la Henne Morte, Belin à l’Anou Boussouil et nous-même à la Dent de Crolles.

Plusieurs massifs calcaires en France pourraient contenir des réseaux plus importants encore, mais aucun n’est actuellement en cours d’exploration.

Pierre CHEVALIER.

Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 796