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Grande culture

Végétation d’automne

Pendant des semaines, des mois, la terre a eu soif, les pluviomètres n’enregistraient plus rien, et champs et prairies se confondaient dans une même uniformité grisâtre. Par places, un orage bienfaisant avait éclaté, 20, 30, 40 millimètres tombés au bon moment assuraient surtout la montée des épis, une maturité meilleure des céréales : le bétail restait la grande victime de cette grave situation ; on déchargeait les prés et le bétail baissait à la ferme : le bifteck ne s’en ressentait guère ou pas du tout.

La moisson vint et des surprises agréables furent enregistrées, quelques pluies tombèrent un peu partout, le bétail sur pied reprit une meilleure position, le bifteck en profita. Aujourd’hui, les champs ont reverdi, les cultures fourragères ont pris bonne apparence, on oublierait qu’il a fait sec si les charrues ne persistaient pas à entrer difficilement en terre, si les charrois d’eau pour les besoins de la ferme et du bétail ne se prolongeaient pas, car il y a un grand chemin à parcourir depuis l’instant où la goutte d’eau frappe le sol et celui où la source restitue ce que toutes les couches traversées n’ont pas retenu.

Arrêtons-nous sur cette végétation d’automne qui surprend et qui réjouit. De quoi se compose-t-elle ! De plantes utiles, de plantes nuisibles, de plantes indifférentes. Plantes utiles, toutes les plantes fourragères. Les prairies naturelles ont reverdi, ce sont elles qui se sont le plus rapidement affirmées, simple conséquence de leur système radiculaire essentiellement superficiel. En passant, les prairies naturelles ont montré, cette année, combien elles sont en relation avec la nature du sol, les conditions climatiques permanentes ou accidentelles. Les sols suffisamment argileux, sans excès, renfermant en même temps, une proportion convenable de calcaire, sont restés verts plus longtemps ; dans ces marnes qui sont à la base des meilleurs herbages de France, pas de fissures profondes, de retrait énorme, mais une rétention mesurée de l’eau, une libéralité remarquable à la céder ; le climat brumeux maintenant une humidité atmosphérique utile, le pays d’Auge, par exemple, par ses terres et sa situation, s’est relativement bien défendu. C’est en raison de la permanence de ces facteurs que l’on peut asseoir une exploitation rationnelle basée sur l’herbe ; c’est là aussi que l’on aurait sans doute tort de demander à la culture du sol renouvelée, de transformer la prairie permanente en prairie temporaire.

Les prairies artificielles devaient attendre plus longtemps pour réagir. Toutefois, beaucoup de cultivateurs ont poussé un soupir de soulagement lorsqu’ils ont vu leurs jeunes trèfles, leurs jeunes luzernes qui avaient pu résister avec les quelques millimètres reçus de mai à juillet ; ailleurs, c’était le renoncement pour des ensemencements absolument disparus, et toute la complication des troubles dans l’assolement, dans les espérances de fourrages pour 1950.

Les prairies artificielles plus anciennes ont attendu quelques jours de plus pour reverdir ; il fallait que l’eau, s’insinuant peu à peu, aille se mettre à la portée des racines. Mais, favorisées par une température encore élevée, les luzernes ont montré une renaissance qui justifie la belle réputation de cette plante merveilleuse.

Ainsi, des espérances reviennent et l’on se demande quel parti tirer d’une telle exubérance. Il n’y a pas partout du bétail pour utiliser les fourrages et il ne saurait être question de procéder à des travaux de fenaison. Pourtant, les habitants des vallées qui s’étagent au bas des montagnes sont habitués depuis longtemps à faire des regains ; ils savent faucher au ras du sol les moindres gazons et les retourner patiemment avec les râteaux gracieusement et habilement maniés. On rentre dans des toiles, les « cendriers » des Vosges, et le bétail donne au cours des mois d’hiver un lait abondant et riche sans le secours d’aliments concentrés. Il pourrait être question de sécher artificiellement cette herbe fine et riche ; les installations nécessaires, l’établissement d’un prix de revient convenable sont à l’étude chez nous. Une autre solution, c’est l’ensilage, dont il a été question bien souvent dans ces chroniques.

L’ensilage peut s’appliquer à la conservation de tous ces excédents, seulement la faiblesse du volume fait hésiter. Si l’herbe verte représente 3.000 à 5.000 kilos par hectare, cela fait 10 à 15 mètres cubes qui diminueront de moitié après tassement, c’est insignifiant ; solution théorique, comment en concevoir l’application pratique. Une fosse ? simple trou en terre perméable avec fort tassement et protection grâce à une terre forte bombée, maintenue sans fissure. Une meule ? les parois représentent trop de surface, origine des pertes. Une fosse cimentée ? dépense bien lourde si elle ne sait correspondre qu’à un accident de production. On voit la petite culture et même la moyenne mal outillées pour tirer parti de ces ressources inattendues. On opine en définitive pour la fosse en terre ou la fosse maçonnée, simplement et économiquement construite, point de départ d’aménagements progressifs.

On a encore eu la surprise de voir réussir des ensemencements sur la suite desquels on doutait : crucifères fourragères, trèfles incarnats, raves, un peu pour l’hiver, beaucoup plus pour le printemps.

Plantes nuisibles ? C’est une joie de voir lever toutes les mauvaises herbes qu’une légère façon de déchaumage a mises en meilleure posture pour germer ; le labour mettra tout en terre, un peu d’humus reconstitué en même temps. Mais les chiendents ont repris de la vigueur ; si on avait la possibilité et le temps de donner un coup aussi léger que possible de canadien ou de scarificateur, ce serait magnifique.

Enfin, des plantes indifférentes. Le cultivateur mesure tout de suite l’importance des pertes subies par les céréales, moissons mal coupées, moissonneuses mal agencées, même moissonneuses-batteuses mal réglées en ce qui concerne la ventilation. On s’aperçoit qu’une moisson mal récoltée fait perdre 2, 3, 4 quintaux par hectare ; c’est énorme et sans aucun intérêt. Leçon à méditer pour qui sait se souvenir.

Ainsi l’observation des champs et des prés a pu permettre d’ajouter quelques lignes au livre de raison. Si chaque génération laissait aux suivantes la leçon qu’elle a apprise, combien serions-nous riches. Ce sont des trésors que beaucoup négligent et qui pourtant constituent souvent encore le plus clair de la connaissance des agriculteurs.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 803