Accueil  > Années 1948 et 1949  > N°634 Décembre 1949  > Page 803 Tous droits réservés

Les effets de la sécheresse

sur la production fourragère

L’année 1949 marquera dans les annales météorologiques par sa sécheresse persistante, plus que par les températures atteintes, qui, dans l’ensemble, ne furent pas excessives. Le printemps fut même froid en grande partie, les vents restant obstinément orientés au secteur nord ou nord-est.

Déjà, pendant l’hiver, les précipitations atmosphériques avaient été réduites au minimum, et telle région qui comptait habituellement 600 millimètres d’eau, de novembre à mai, n’en avait reçu que 110 ou 115. Les céréales s’en accommodèrent assez bien, et le blé, notamment, bien enraciné en raison même de l’éloignement du plan d’eau, donna en général des rendements satisfaisants et parfois même excellents. Il n’en fut pas de même des fourrages, qui demandent pour se développer des quantités importantes d’eau.

Les premières productions fourragères furent retardées dans leur végétation par l’insuffisance de chaleur, et le seigle-fourrage, par exemple, montra une huitaine de jours de retard sur l’année précédente. Il en fut, peu ou prou, de même des autres plantes, et, l’insuffisance d’humidité aidant, les premières coupes se montrèrent nettement déficitaires par rapport à une année normale.

La situation, à ce moment, ne présentait cependant pas de caractère sérieux de gravité, et, à tout prendre, le mal n’était pas grand. Il y avait peu de fourrage, mais ce peu était de bonne qualité, facile à soigner et à rentrer.

Il ne faut pas oublier, en effet, que la qualité des fourrages est chose extrêmement variable ; elle dépend, évidemment, de la nature du sol et des engrais complémentaires apportés pour en corriger les insuffisances, mais elle dépend aussi des conditions de la récolte. Une luzerne soumise après la coupe à des pluies persistantes laisse sur le terrain la plus grande partie de ses folioles, qui en constituent l’élément de choix. Le reste, délavé et séché à plusieurs reprises, perd la plus grande partie de sa valeur nutritive, et on peut sans exagération estimer que la perte, qui atteint rapidement 40 à 50 p. 100, peut passer à 70 ou 75 p. 100. Il en va sensiblement de même pour les autres fourrages, et ce n’est pas sans raison qu’on affirme qu’il vaut mieux donner aux animaux une bonne paille qu’un foin mal récolté ; c’est une raison supplémentaire de déplorer l’habitude qui semble se généraliser d’incinérer la paille après le passage de la moissonneuse-batteuse.

La situation peut être pire encore en année très pluvieuse, et on a pu voir en telles circonstances des exploitants, las de manipuler un fourrage devenu sans valeur, le pousser doucement en fin de compte à la rivière proche, en prenant les précautions nécessaires pour éviter les observations de l’administration et des propriétaires des barrages situés en aval.

Il arrive même, en année pluvieuse, qu’on est empêché de faucher à l’époque de pleine floraison, qui donne le meilleur fourrage, et qu’on se trouve contraint de le récolter trop mûr.

Le déficit du début de l’année, sans être niable, n’était donc pas catastrophique, et, compte tenu de la qualité, le mal n’était pas grand. Il s’est aggravé pendant l’été, plus ou moins suivant les régions, les unes bénéficiant d’orages, les autres désespérant, jusqu’à mi-septembre, de voir tomber la moindre goutte d’eau.

La production non seulement fut réduite à zéro, mais, en quelques endroits, les souches de graminées et de légumineuses sont mortes. Les pluies d’automne ont fait pousser à la place du plantain et de l’achillée millefeuilles qui ne sauraient les remplacer avantageusement. Il a fallu, au cours de l’été, utiliser le fourrage récolté en vue de l’alimentation des animaux en hiver, ce qui constitue une gêne sérieuse, encore que la récolte de betteraves fourragères n’ait pas partout été aussi mauvaise qu’on aurait pu le craindre.

La situation, à une époque où les marchandises circulent rapidement, où le marché international permet de compenser les difficultés d’approvisionnement d’un pays, ne rappelle en rien celle de la fameuse année 1893, qui, plus de cinquante ans après, laisse encore un souvenir vivace dans la mémoire de ceux qui l’ont vécue ; elle constitue cependant un avertissement et un conseil de prudence, soulignant la nécessité de constituer au cours des années excédentaires, comme l’avait été celle de 1948, des réserves fourragères. Ceux qui avaient réussi à reconstituer ces réserves épuisées par les années difficiles que nous venons de traverser n’ont eu qu’à se louer de leur prévoyance. Ils étaient heureusement nombreux.

B. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°634 Décembre 1949 Page 803