L’année 1949 marquera dans les annales météorologiques par
sa sécheresse persistante, plus que par les températures atteintes, qui, dans
l’ensemble, ne furent pas excessives. Le printemps fut même froid en grande
partie, les vents restant obstinément orientés au secteur nord ou nord-est.
Déjà, pendant l’hiver, les précipitations atmosphériques
avaient été réduites au minimum, et telle région qui comptait habituellement
600 millimètres d’eau, de novembre à mai, n’en avait reçu que 110 ou 115.
Les céréales s’en accommodèrent assez bien, et le blé, notamment, bien enraciné
en raison même de l’éloignement du plan d’eau, donna en général des rendements
satisfaisants et parfois même excellents. Il n’en fut pas de même des
fourrages, qui demandent pour se développer des quantités importantes d’eau.
Les premières productions fourragères furent retardées dans
leur végétation par l’insuffisance de chaleur, et le seigle-fourrage, par
exemple, montra une huitaine de jours de retard sur l’année précédente. Il en
fut, peu ou prou, de même des autres plantes, et, l’insuffisance d’humidité
aidant, les premières coupes se montrèrent nettement déficitaires par rapport à
une année normale.
La situation, à ce moment, ne présentait cependant pas de
caractère sérieux de gravité, et, à tout prendre, le mal n’était pas grand. Il
y avait peu de fourrage, mais ce peu était de bonne qualité, facile à soigner
et à rentrer.
Il ne faut pas oublier, en effet, que la qualité des
fourrages est chose extrêmement variable ; elle dépend, évidemment, de la
nature du sol et des engrais complémentaires apportés pour en corriger les
insuffisances, mais elle dépend aussi des conditions de la récolte. Une luzerne
soumise après la coupe à des pluies persistantes laisse sur le terrain la plus
grande partie de ses folioles, qui en constituent l’élément de choix. Le reste,
délavé et séché à plusieurs reprises, perd la plus grande partie de sa valeur
nutritive, et on peut sans exagération estimer que la perte, qui atteint
rapidement 40 à 50 p. 100, peut passer à 70 ou 75 p. 100. Il en va
sensiblement de même pour les autres fourrages, et ce n’est pas sans raison
qu’on affirme qu’il vaut mieux donner aux animaux une bonne paille qu’un foin
mal récolté ; c’est une raison supplémentaire de déplorer l’habitude qui
semble se généraliser d’incinérer la paille après le passage de la
moissonneuse-batteuse.
La situation peut être pire encore en année très pluvieuse,
et on a pu voir en telles circonstances des exploitants, las de manipuler un
fourrage devenu sans valeur, le pousser doucement en fin de compte à la rivière
proche, en prenant les précautions nécessaires pour éviter les observations de
l’administration et des propriétaires des barrages situés en aval.
Il arrive même, en année pluvieuse, qu’on est empêché de faucher
à l’époque de pleine floraison, qui donne le meilleur fourrage, et qu’on se
trouve contraint de le récolter trop mûr.
Le déficit du début de l’année, sans être niable, n’était
donc pas catastrophique, et, compte tenu de la qualité, le mal n’était pas
grand. Il s’est aggravé pendant l’été, plus ou moins suivant les régions, les
unes bénéficiant d’orages, les autres désespérant, jusqu’à mi-septembre, de
voir tomber la moindre goutte d’eau.
La production non seulement fut réduite à zéro, mais, en
quelques endroits, les souches de graminées et de légumineuses sont mortes. Les
pluies d’automne ont fait pousser à la place du plantain et de l’achillée
millefeuilles qui ne sauraient les remplacer avantageusement. Il a fallu, au
cours de l’été, utiliser le fourrage récolté en vue de l’alimentation des
animaux en hiver, ce qui constitue une gêne sérieuse, encore que la récolte de
betteraves fourragères n’ait pas partout été aussi mauvaise qu’on aurait pu le
craindre.
La situation, à une époque où les marchandises circulent
rapidement, où le marché international permet de compenser les difficultés
d’approvisionnement d’un pays, ne rappelle en rien celle de la fameuse année
1893, qui, plus de cinquante ans après, laisse encore un souvenir vivace dans
la mémoire de ceux qui l’ont vécue ; elle constitue cependant un
avertissement et un conseil de prudence, soulignant la nécessité de constituer
au cours des années excédentaires, comme l’avait été celle de 1948, des
réserves fourragères. Ceux qui avaient réussi à reconstituer ces réserves
épuisées par les années difficiles que nous venons de traverser n’ont eu qu’à
se louer de leur prévoyance. Ils étaient heureusement nombreux.
B. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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