Après avoir exposé dans un précédent article (1) le
côté théorique de cette question, il nous reste à en étudier les côtés
technique et pratique.
MM. Ducellier et Isman ont construit et breveté plusieurs
modèles d’appareils, de différentes dimensions pour s’adapter à l’importance
variée des exploitations, mais tous établis sur le même type.
L’appareil est essentiellement constitué par une cuve en
maçonnerie susceptible d’être fermée de façon étanche et surmontée d’une cloche
gazométrique. La même cloche peut d’ailleurs servir à plusieurs cuves, et cela
est même préférable : d’abord parce que, avec une cloche séparée, la
manutention des cuves, remplissage et vidange, est rendue plus aisée, ensuite
parce que plusieurs cuves, à des états plus ou moins avancés de fermentation,
mais débitant dans la même cloche, assurent une production plus régulière du
gaz.
Voici maintenant la marche des opérations : on entasse
du fumier dans la cuve et on l’arrose, puis, pendant trois ou quatre jours, on
laisse se développer la fermentation aérobie qui détruit hydrates de carbone et
protides. Celle-ci terminée, on ensemence la cuve avec du fumier très
décomposé, « beurre noir », ou mieux avec un « pied de
cuve », c’est-à-dire avec du résidu d’une cuvée précédente. Puis la masse
est noyée dans du purin ou un mélange d’eau et de purin. Avant de refermer la
cuve, il faut encore, par un apport convenable d’acide, corriger la trop grande
alcalinité du milieu due à l’ammoniac produit pendant la fermentation aérobie.
Un milieu neutre ou légèrement alcalin est le plus favorable.
On ferme alors hermétiquement la cuve, et la fermentation
anaérobie qui s’amorce commence à produire le gaz méthane qui est recueilli
dans la cloche. Un système de valves jouant sous l’influence de la pression du
gaz assure une circulation constante du liquide, donc un brassage de la masse,
condition importante de la bonne marche de la fermentation.
La production du gaz, assurée ainsi automatiquement grâce à
cet appareil, dure environ trois mois pendant lesquels une cuve chargée, par
exemple, de 3 tonnes de fumier produit 200 mètres cubes de gaz
équivalant à 400 mètres cubes de gaz de ville ou à 150 litres
d’essence.
Cette équivalence en essence est d’ailleurs théorique :
le gaz sortant des cuves n’est propre à être utilisé tel quel pour
l’alimentation d’un tracteur que si l’on possède, en outre, un poste de
compression permettant d’accumuler le gaz dans des bouteilles transportables.
En effet, ce gaz est en principe une source d’énergie
universelle permettant d’assurer chauffage, éclairage, traction, etc. Mais,
s’il peut alimenter directement le fourneau de la ménagère et la chaudière de
cuisson des aliments du bétail, pour le reste il faut le transformer : en
courant électrique, par exemple, au moyen d’un groupe électrogène à moteur à
gaz (1 tonne de fumier fournirait alors 2,5 kilowatts-heure), ou le
comprimer en bouteille pour l’alimentation des moteurs à explosion.
Tout cela est réalisable, mais il y a plus grave : je
veux parler de la lenteur et donc de la faiblesse de la production au regard de
l’importance des installations nécessaires. Certes, il y a économie, puisque,
compte tenu de l’intérêt du capital engagé et de son amortissement, le mètre
cube de gaz méthane produit à la ferme coûterait environ 10 francs, alors
que la quantité équivalente de gaz butane coûte 25 francs. Mais, si la
production du gaz est suffisante pour assurer l’alimentation de la cuisinière,
il n’en va plus de même si l’on veut faire, en outre, marcher un tracteur avec
le seul méthane : c’est ainsi qu’une cuve de 8 mètres cubes chargée
de 4 tonnes de fumier produirait l’équivalent de 200 litres d’essence
en trois mois !
On n’est pas limité ici par les quantités de fumier
nécessaires : nous avons vu, en effet, dans un précédent article, qu’une
seule tête de gros bétail peut produire l7t,5 de fumier par an, soit
au moins 4 tonnes en trois mois, de quoi donc charger la cuve de 8 mètres
cubes et produire 800 litres d’essence par an. On l’est même d’autant
moins que, si le fumier est la matière première de choix pour la production du
gaz, tous autres déchets végétaux peuvent être également utilisés : joncs,
fougères, feuilles mortes, ordures ménagères, etc. Mais on est limité par des
installations hors de proportion avec les possibilités d’une exploitation
moyenne si l’on voulait produire par ce moyen toute l’énergie nécessaire à sa
conduite.
Il y aurait un remède à cet inconvénient : ce serait
d’accélérer la fermentation du fumier en cuve, ce qui, pour la même dépense,
aurait pour effet d’augmenter d’autant la production du gaz. La chose est
possible, et, dans l’état actuel de la science microbiologique, il ne faut pas
douter qu’on y arrive : le moyen serait de sélectionner les agents
microbiens responsables de la fermentation méthanique, d’en faire
industriellement la culture, permettant ainsi aux usagers du procédé
d’ensemencer leurs cuves non plus avec de simples pieds de cuve, mais avec des
doses massives de cette culture qui donneraient un « coup de fouet »
à la fermentation.
Le procédé, qui n’est vraiment avantageux actuellement que
pour l’« intérieur de la ferme », verrait, ainsi amélioré, son
intérêt grandir de façon considérable. Et il faudrait alors lui souhaiter
beaucoup d’avenir dans les fermes françaises. Car j’y vois deux avantages d’importance
générale : il contribuerait d’abord à maintenir la production du fumier,
souvent considérée comme une charge dans les exploitations à cause des dépenses
de main-d’œuvre, production cependant absolument indispensable au maintien de
la fertilité des sols. Agent fertilisant et source d’énergie, le fumier
deviendrait doublement précieux. Ensuite, dans la mesure de son utilisation, il
assurerait l’indépendance des exploitations : la mécanisation croissante
de l’agriculture rend de plus en plus la France, non productrice de pétrole,
tributaire de l’étranger pour l’énergie, et c’est là un immense danger que ce
nouveau procédé peut contribuer à écarter.
Ajoutons, pour mémoire, que certains ont reproché au procédé
d’être dangereux, à cause du caractère détonant du méthane : ce gaz n’est
autre, en effet, que le « grisou » des mines. En fait, si le procédé
est appliqué correctement et si l’on se conforme aux instructions données par
les constructeurs, il n’y a pas plus de danger qu’à utiliser l’essence ou le
gaz d’éclairage.
J. P.
(1) Voir Le Chasseur Français d’octobre 1949.
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