Les observations scientifiques concernant cette portion du
continent noir semblent aboutir à des constatations concordantes : le
dessèchement progressif de l’immense région qui s’étend de la Mauritanie au Soudan anglais.
Le drame de cette stérilisation lente et inexorable parait
se jouer autour du 15e degré de latitude nord à la limite de la
zone sahélienne et de la zone soudanaise des savanes. Cette ligne de
démarcation ne court pas uniformément de l’ouest à l’est. Elle part du 17e degré,
c’est-à-dire à l’embouchure du fleuve Sénégal, où elle est en retrait vers le
nord, en raison de l’influence dominante du climat maritime, et s’infléchit,
après la falaise de Biandiagara-Hombori, vers Niamey et la cuvette du Tchad, où
elle atteint alors le 14e degré de latitude. Elle est marquée
sensiblement d’est en ouest par Bakel, Nioro, Mopti, Hombari, Niamey, Kano et Fort-Lamy.
Ce qui est grave, c’est que le thalweg du Niger n’a pu
l’arrêter, puisque le sable a envahi toute la boucle jusqu’au pied de la
falaise, et que tout le bassin du Tchad y est inclus, le lac se colmatant
chaque année, tant par les apports du sable, au nord, que par les alluvions du
Chari-Logone, au sud. Le problème initial de la stérilisation de ces contrées
est que celles-ci se dessèchent parce que le sol n’évapore plus. Les troupeaux,
dont la pitance est maigre, razzient sur leur passage les rares herbes, les
jeunes pousses, et plus rien ne ressurgit ensuite de cette terre appauvrie.
Le problème secondaire, mais tout aussi important, réside
dans un autre grave danger qui menace la cuvette tchadienne, danger qui a été signalé
depuis plus de vingt ans par l’éminent explorateur et géographe qu’était le
général Tilho : celui de la capture des eaux du Logone par celles du
Bénoué dans la région du Moyo-Kebbi. Ce détournement, qui s’opère partiellement
en période d’inondation où les eaux sont mêlées, est facilité par la différence
de niveau qui fait de la vallée de la Kabia le premier collecteur du Bénoué.
Cette rivière descend directement à l’Océan en se jetant dans le Niger à Lokodja
dans le Nigeria britannique. Les étangs et marécages qui marquent la ligne de
partage des eaux feraient facilement le reste si l’on n’y avisait. On a bien
construit des digues depuis cette époque, mais leur précarité ajourne le péril
sans le faire disparaître.
Une loi naturelle veut que les fleuves qui changent de lit
cherchent leur chemin toujours plus à l’ouest, et, là, le
« kidnapper » n’est pas loin : l’Atlantique. C’est un aimant
plus puissant que le miroir d’eaux mortes du désert.
D’autre part, le Tchad, dont la profondeur moyenne n’excède
pas 3 mètres, se comble à la vitesse d’un mètre par siècle. Ce rythme se
précipitant à mesure de son assèchement, on prévoit qu’en l’an 2000 il sera
scindé en deux parties séparées par un large isthme. Le détournement du seul
Logone enlèverait, en outre, au Tchad plus du tiers de son approvisionnement en
eau. Naturellement, l’aire de fertilisation qui s’étend jusqu’à 200 kilomètres
de ses rives serait à son tour tarie d’autant.
Solutions hydrologiques.
— La solution la plus simple a donc été de constituer
quelques digues pour créer artificiellement une ligne plus accentuée de partage
des eaux. Cette solution est provisoire et précaire. De plus, comme il est
indiqué plus haut, le lac Tchad se vide irrémédiablement du fait de la haute
teneur en sel de ses eaux. (Évaporation par la chaleur solaire). Le lac Tchad
est le reliquat d’une ancienne mer paléotchadienne. La présence de nombreux
gisements de sel confirme ce point de vue. Il s’agit d’une lutte entre le
désert qui envahit et la végétation qui recule. La meilleure solution serait
alors d’aider la végétation à reprendre sa place, et, pour ce faire, il faut
augmenter l’eau de ce réservoir qui se vide. Comme on l’a vu également ci-dessus,
l’attraction de l’eau sur l’eau est un fait surtout quand il s’agit de l’ouest.
Le Tchad est entouré de châteaux d’eau naturels. Et c’est,
en principe, ceux situés à l’est qui se tarissent dans leur parcours. Des voies
toutes tracées convergent vers lui, mais se perdent en marécages ou en oueds
lagunaires avant d’y arriver. Ces sources ont le Tibesti, l’Ouadaï, les monts Bango.
Des travaux d’écoulements seraient peu importants. Ils devraient être
secondés : 1°par une dérivation de l’Oubangui à son coude par Fort-de-Possel
sur le Chari ; 2° par une dérivation du Bénoué à son coude à Garoua, pour
emprunter le chemin de la vallée de la Kabia inversement à la direction que ces
eaux prennent actuellement.
Par ces apports très importants, le Tchad redeviendrait une
mer intérieure de moins en moins salée et serait alors le point de départ d’une
riche végétation jusqu’alors inconnue. Stade précurseur de la disparition d’un
des plus grands déserts du monde : le Sahara.
Solutions agrologiques.
— L’Afrique noire française est donc menacée d’un
double désastre, l’un qui peut survenir brusquement par déversement d’une masse
d’eau, une année trop pluvieuse ; l’autre, lent et inexorable, qui ronge
progressivement la partie « utile » de l’Afrique française, en
progressant du nord au sud.
Parmi les projets envisagés dès l’après-guerre pour la mise
en valeur de l’Afrique, il n’en est pas de plus urgent que d’établir un barrage
de 5.000 kilomètres s’étendant de la Mauritanie aux Ouadaï. Non un barrage
de terre ou de maçonnerie bien entendu, mais la fixation du sol par des
plantations, exactement comme il a été fait pour la France au siècle dernier
dans le département des Landes.
L’arbuste idéal pour cet office serait le
« filao », mais il requiert une humidité suffisante qui fait défaut.
On pourrait expérimenter certains épineux, comme ceux qui fixent le sol dans le
désert mahafaly dans le Sud malgache ou bien divers végétaux de croissance
rapide, peu exigeants comme le « ben » ou des cactées, ou bien encore
— et ce serait sans doute la meilleure solution — le ricin. En ce qui
concerne le « ben », il existe d’immenses champs de cette plante dans
le Ferlo et le Baol, ce qui est une des causes de dégénérescence de l’arachide.
Il faudrait aussi considérer une utilisation plus rationnelle
des troupeaux, en particulier des buffles, dont l’exhumance continuelle fait
perdre une grande partie de la végétation.
Une conclusion s’impose : arrêter la marche du sable
qui immergerait à la longue toutes les colonies, si grandes soient-elles, puis,
ultérieurement, la contre-offensive de l’homme permettra de restituer à la
nature des superficies auxquelles elle a droit. La déforestation est
responsable de la stérilisation, à travers les siècles, du Sahara, où le désert
n’a alors cessé d’étendre son emprise.
Le premier stade sera donc l’aménagement hydraulique. Le
second, la fixation du sable. Et enfin le troisième, une plantation vivrière
pour l’indigène, car, dans tous problèmes coloniaux, il ne faut pas oublier la
question démographique qui joue parfois un rôle très important. En tant que
culture vivrière, une seule s’impose : le riz dans les marécages restant
libres de toute transformation. Comme la vallée du Sénégal devrait devenir le
garde-manger pour le riz de la consommation locale de l’A. O. F., le
Tchad ferait de même pour celle de l’A. E. F. Des exploitations de
rapport comme celle du coton peuvent aussi y trouver leur place, ainsi que le
cacao et le jute.
A.-Ev.-R. GERONIMI-de Saint-Père.
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