Un récit de Platon a pour titre Timée. L’auteur s’y
complaît à retracer « l’État idéal » et place son thème dans la
bouche de Socrate, au cours d’une conversation entre celui-ci, Timée, Critias
et Hermogène. Il s’agit de la civilisation d’un pays merveilleux, dont la
tradition aurait été transmise par les Égyptiens aux Grecs. Tout y suintait des
beautés de la vie et du bonheur des humains.
Où était situé ce vaste Éden, disparu dans un cataclysme
géologique ? Platon le prétend « au delà des Colonnes d’Hercule » ...
La Science moderne, avec son esprit d’objections systématiques, est beaucoup
moins affirmative.
Pour certains, l’Atlantide serait une pure invention, très
analogue à celle toute contemporaine de l’Atlantide du romancier Pierre Benoît.
Pour d’autres, la fameuse Atlantide aurait bien existé. À leur tête, on trouve
l’affirmation du grand géologue Pierre Termier, qui fut en même temps le
« poète de la Géologie ». Il s’exprime en ces termes :
« Libre à tous les amoureux de belles légendes de croire à l’existence de
l’Atlantide ; c’est la science, la plus moderne science, qui, par ma voix,
les y invite. » Avec ce grand maître de la physique du globe et la caution
de son immense savoir, il eût été extraordinaire qu’il n’y eût pas un renouveau
des recherches scientifiques sur ce sujet. En fait, actuellement il existe plus
de deux milliers d’ouvrages traitant de cette matière.
D’après Platon, le cataclysme se situerait quelque dix
millénaires avant notre ère, au moment où les Atlantes débarqués en Europe et
Afrique occidentales se trouvaient en guerre avec les Athéniens. Il y aurait
eu, d’après le Timée, d’effroyables convulsions terrestres, et, en
l’espace d’un jour et d’une nuit, l’île atlantidienne et ses habitants auraient
été engloutis à tout jamais.
Les géophysiciens modernes s’en tiennent aux documents
paléontologiques et géologiques. Après la très nette prise de position de
Pierre Termier, on tenta un essai de sondages sous-marins dans l’au-delà
des Colonnes d’Hercule, c’est-à-dire dans l’Atlantique, à l’ouest de Gibraltar.
Cet essai fut bientôt abandonné, avant même qu’il eût apporté quelques
observations.
En voici la cause. Avant 1920, les géologues expliquaient
les similitudes des fossiles entre les deux Amériques et l’Europe avec
l’Afrique par l’existence de « ponts continentaux », d’immenses
masses de terres, reliant le nouveau et l’ancien monde. Aux temps géologiques,
avant l’apparition des humains, des bouleversements du sol auraient provoqué
leurs effondrements. Mais leur existence antérieure expliquait les similitudes
de flore et de faune sur les rivages opposés de l’Atlantique. Les exhumations
des paléontologues restituaient de leur côté des fossiles fort semblables.
Mais, entre temps, un autre très grand savant, Wegener,
donna une tout autre explication de ces similitudes, en même temps qu’il
résolvait du même coup un problème encore plus impressionnant dans ses données.
Si l’on découpe les côtes bordières de l’océan Atlantique, en tenant compte des
socles continentaux — c’est-à-dire des zones submergées en pentes douces
jusqu’à leurs chutes brusques vers les grands fonds marins — on observe
que l’ensemble s’imbrique à la manière d’un gigantesque puzzle.
Wegener expliqua alors qu’il n’y avait eu à l’origine qu’un
seul continent, formé d’une masse unique de terres émergées. Puis il y aurait
eu fractures et chacune des parties se serait éloignée des autres.
Scientifiquement, la théorie de Wegener est fondée sur le principe de
l’isostasie selon lequel les continents actuels flotteraient sur les masses sous-jacentes
à la manière des icebergs sur la mer.
Du coup, il n’y avait plus de place pour l’Atlantide, où il
fallait la limiter aux zones de fractures Amérique-Europe. Ici les géologues
opposèrent un veto formel. Au plus tôt la rupture se situerait au Tertiaire
moyen. Or l’homme ne paraît qu’à la période géologique du Quaternaire.
Les atlantophiles retrouvèrent cependant quelques espoirs
dans les travaux de recherches océanographiques, montrant que, du nord au sud,
l’Océan est sillonné par une vaste chaîne montagneuse actuellement recouverte
par les eaux, mais dont certains sommets émergent sous forme d’îles, au nord
des Açores.
Les océanographes, de leur côté, viennent confirmer cette
donnée par l’existence de phénomènes biologiques observés en la mer des
Sargasses. Les anguilles vont pondre en ces régions, puis leurs petits ou
civelles reviennent spontanément dans les rivières et étangs des deux mondes.
N’y aurait-il pas là une réminiscence de l’instinct ancestral ?
Il serait trop long, et fastidieux, d’exposer les arguments
des partisans et détracteurs de l’Atlantide occidentale. Certains la nient et
d’autres l’affirment. Mais ses négateurs pour cela ne concluent pas, tous, à
son inexistence. Il y a diverses explications de positions géographiques.
Les tenants de Platon eux-mêmes sont divisés par un groupe
de dissidents. Ceux-ci voient l’Atlantide située sur des terres actuellement
disparues de la côte marocaine ouest, mais d’autres la situeraient à l’est de
Gibraltar, en une région chevauchant sur la côte et les zones du socle
continental. Pour eux, l’effondrement ne serait plus qu’un basculement autour
de l’axe figuré par l’Atlas. Au nord : enfoncement et au sud émersion. Du
coup, le désert du Sahara serait expliqué : il ne serait autre que le fond
océanique des eaux entourant au sud l’île mythique.
Ainsi chacun a ses arguments, avec ses déductions,
conclusions, conséquences, etc., et tente d’éluder les difficultés et de
répondre aux contradictions.
Scientifiquement, il est possible, dans l’état actuel des
connaissances, d’avoir sinon la certitude, du moins la conviction que
l’Atlantide a bien existé. Tout le confirme, la tradition, la légende,
l’histoire et de multiples faits d’observation.
Mais il faut être très réservé et s’en tenir aux documents.
Or ceux-ci assignent comme possibles quatre emplacements dans
l’Atlantique seulement. On doit leur ajouter six autres lieux postulant pour
une situation « terrestre » non engloutie, résultant d’une
« exondation », d’une montée au-dessus des eaux. Enfin, venant compliquer
la question, quatre groupes de géologues situent les « Colonnes
d’Hercule » de la tradition en quatre lieux bien lointains entre
eux : Gibraltar, Casablanca, Sfax en Tunisie, et le détroit de Ketch.
Quand on a voulu les unifier par éliminations, on a proposé comme base l’étude
de l’emplacement du mont Atlas (selon Platon). La solution en a reculé, en
présentant — avec preuves à l’appui — neuf emplacements : en
Éthiopie, Arabie, Caucase, Micrasie (Asie Mineure des Turcs), Péloponèse,
Crète, Sicile, Hoggar et Maroc.
Quatre plus six, plus neuf, plus quatre, cela fait
vingt-trois solutions scientifiques de l’énigme de l’Atlantide. C’est beaucoup
pour la certitude d’une seule île.
Ce n’est encore rien. Les théosophes l’ont annexé et
certaines sectes se disputent trente et un autres emplacements. Mais on est ici
dans le domaine ésotérique ... L’Académie des Sciences, en trente ans, a
reçu plus d’une centaine de mémoires de « médiums » décrivant jusqu’à
l’anatomie crânienne des Atlantidiens.
C’est dire que le sujet passionne nombre de gens cultivés et
que l’on doive s’en tenir à la récolte des observations.
Janine CACCIAGUERRA.
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