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Amont ou aval ?

Les apprentis du lancer (lourd ou léger) vont s'écrier : « Quelle importance cela peut-il bien avoir de pêcher en remontant ou en descendant le courant ? On choisit la façon la plus commode, tout simplement. »

Eh bien ! non, car la façon la plus commode d'accomplir une action, n'est pas toujours la plus efficace.

Réfléchissez, lecteurs, et vous conviendrez que, même en dehors de la pêche, mon affirmation s'avère exacte dans bien des cas.

Donc, nous allons essayer de démontrer comment et dans quel cas la progression du leurre vers l'amont ou vers l'aval est à pratiquer.

Nous poserons comme règle générale que, dans un cours d'eau ordinaire, je veux dire ni trop lent, ni trop rapide, avec un fond moyen au-dessus de 40 centimètres, il n'est pas d'hésitation possible ; on doit lancer en amont et récupérer vers l'aval.

Il faudra que le pêcheur ait déjà quelque expérience du lancer et de la manœuvre de son moulinet ; le leurre doit, en effet, progresser à une vitesse supérieure à celle du courant si on veut qu'il ne soit plaqué irrémédiablement sur le fond.

Cette précaution est surtout à observer avec les leurres de forte densité, métalliques surtout ; elle est moins importante avec un poisson mort qui évoluerait en zigzags avant de plonger.

Tout leurre ainsi ramené a tendance à piquer au fond, surtout si le profil de la plombée l'y contraint. Il faudra donc veiller à ce profil et lui donner en tête un léger plan de redressement et non l'inverse.

Quel avantage y a-t-il à pêcher up-stream, comme disent les Anglais ?

Nul n'ignore que les habitants de la rivière, quels qu'ils soient, font toujours face au courant, tant pour lui résister que pour happer au passage les particules nourrissantes qu'il transporte.

Ils n'ont qu'un court instant pour examiner ce qui descend et pas d'autre moyen de contrôle que leur bouche ; aussi est-ce prestement qu'ils cueillent au passage les menues friandises (ou supposées telles), quitte à les rejeter si elles ne sont pas gustatives.

Les carnassiers, eux, ne se trompent pas, et, comme ce sont surtout ceux que nous recherchons, tout va très bien ...

Le poisson mort, la cuiller, le devon descendent au courant à proximité d'un vorace ; celui-ci se soulève à sa rencontre et, d'un rapide coup de gueule de côté, le stoppe net. Le choc du ferrage arrive en sens inverse de l'attaque ; l’accrochage est certain et profondément solide.

Les ultimes cabrioles de la capture n'effaroucheront pas les poissons de l'amont et, à un mètre plus haut, le drame ne s'est pas fait sentir. Vous pouvez recommencer.

Voilà donc deux avantages bien marqués de la pêche en amont.

Voyons donc les inconvénients de la pêche en aval.

Oh ! je sais bien que c'est plus commode pour récupérer ; on peut se permettre un moment de répit dans le maniement de la manivelle ; le leurre, sollicité par le courant, tournera tout de même ; on pourra faire du « sur place » si on y tient, ou si c'est nécessaire pour insister en un bon endroit, mais, par contre, le carnassier peu affamé ou méfiant a suivi l'appât sans l'attaquer. Il veut l'examiner et, ma foi, fort souvent, il crochète et s'enfuit, ayant vu le piège et réfléchi : il a eu le temps, ce qui n'était pas possible précédemment.

Combien de fois avons-nous vu de belles truites tourbillonner autour de la petite cuiller sans se décider à sauter dessus ? Les grosses pièces connaissent leur affaire et sont plus circonspectes que les « sardines ».

Mettons donc toutes les chances de notre côté.

En tout cas, en ce qui concerne la truite, je recommande vivement à mes jeunes confrères de pêcher en amont.

Ils auront 50 p. 100 de chances en plus en leur faveur.

Cependant il est des cas où il serait impossible de pêcher ainsi : en eau mince, en eau rapide, en eau très encombrée. Je m'explique :

Par eau mince, j'entends : de faible profondeur ou frôlant une chevelure d'herbes aquatiques, vrais nids à poissons, il nous faudrait récupérer trop vite pour utiliser le peu d'épaisseur de l'eau, et notre travail serait inefficace.

Il en est de même en eau très rapide, où la progression devrait être très accélérée afin d'éviter le plaquage au fond.

Dans les eaux très encombrées, nous ne pourrions diriger avec précision notre leurre au milieu du fouillis, chose relativement aisée dans le sens contraire.

Le « sur place » dont je parlais tout à l'heure nous permettra des changements de direction efficaces et surtout indispensables, par le simple mouvement de la canne. J'ajoute qu'il faut avoir déjà une certaine habitude pour être ainsi maître du contrôle de l'appât, mais, pour un pêcheur aimant son sport et s'appliquant à s'y parfaire, c'est un jeu agréable et passionnant.

Varions donc nos procédés de pêche selon le cours d'eau que nous explorons et même varions nos leurres.

Le poisson mort aura toujours une supériorité sur tout autre appât dans la pêche en amont ; il ne sera pas arraché de la monture par le courant, comme dans l'autre cas ; sa faible densité et sa forme lui permettront d'être tentant sans une trop vive récupération.

Vous remarquerez donc que je ne suis pas absolument féru de l'un ou l'autre de ces deux procédés. C'est une affaire d'observation et d'opportunité : il faut savoir choisir et opérer à bon escient.

C'est à pied d'oeuvre qu'on peut et doit se rendre compte ; mes causeries n'ont pour but que d'aiguiller les débutants vers une solution convenable et leur éviter les ennuis d'une initiation faite à leurs dépens et bien souvent décourageante.

Marcel LAPOURRÉ.

Le Chasseur Français N°635 Janvier 1950 Page 21