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La pêche à la mer

Pour nombre de terriens, et même de côtiers, la mer est un monstre glauque aux secrets bien cachés, un ample réservoir aussi riche de trésors salés, mais des trésors auxquels on ne peut malheureusement puiser qu'en bateau. Un bateau avec des mâts, bien entendu, des tas de voiles aux noms mystérieux, et des instruments de pêche bizarres et compliqués.

Dans le domaine de la pêche, ce n'est là qu'une légende, qui a cependant la peau dure. Hormis les longues croisières aux bancs de Terre-Neuve, la pêche hauturière au chalut ou aux cordes, ou la simple pêche côtière à une dizaine de milles du rivage, qui exigent sans nul doute un matériel onéreux, il existe de multiples manières d'arracher au littoral des côtes à marée les fruits de mer qu'il contient, s'agissant de poissons, de crustacés ou de mollusques. Et sans barque, naturellement, à pied (souvent sec), et au meilleur compte — je veux dire sans le concours d'un attirail dispendieux. Cela est si vrai que, depuis toujours, les marins retraités de nos côtes, et parfois des gens de la terre proche, ont découvert et mis au point des procédés de pêche fort pratiques et économiques au possible, qui font appel à des instruments le plus souvent domestiques ou aratoires, par paradoxe.

Nous aurons ici l'occasion d'y revenir à diverses reprises, au cours des campagnes de pêche à pied que nous allons entreprendre, d'utiliser ainsi tour à tour la fourche, le râteau, le louchet, la gaule à noix ou à pommes, parfois aussi de nous servir de simples ustensiles de ménage ou de cuisine tels que le tisonnier, la pincette de cheminée, la fourchette ou la cuiller à soupe. Je sais bien que mes propos peuvent ressembler à une histoire marseillaise, mais les gars du Nord comme les Bretons, les Normands, les Vendéens ou les Charentais, pour ne citer que ceux-là, du moins ceux qui profitent de la pêche côtière à pied, savent bien qu'il ne s'agit là de la moindre galéjade.

Il nous faudra cependant ajouter, à ce menu matériel d'une réquisition facile, des pelotes de ficelle ou de corde huilée ou goudronnée, des hameçons pour certains poissons et, en ce qui touche la chasse aux menus crustacés, un grand filet triangulaire à manche central, celui qu'on appelle, selon les régions considérées, truble, pousseux, bourraque, crevettier, chevrette, bichette, et de mille autres noms locaux qu'il serait oiseux d'énumérer en ce moment (je vous indiquerai un jour comment le construire vous-même).

Avec un arsenal de cette sorte, que l'on aura intérêt à compléter par un annuaire des marées du secteur portuaire envisagé — je vous dirai bientôt pourquoi, — je vous promets des cueillettes souvent étonnantes, et aussi bien l'hiver que l'été.

Car l'on rejoint ici la seconde face de la question de la pêche maritime côtière. Beaucoup d'amateurs, de ceux qui ne pèchent qu'en fonction du temps de leurs vacances, s'imaginent bien à tort qu'on ne peut traquer le gibier marin (ou plutôt sous-marin) que pendant les mois les plus chauds de l'année. Cela n'est certes pas dénué de tout bon sens, si l'on considère la température de l'eau en hiver. Mais, outre que l'eau salée est toujours bien moins froide que l'eau de rivière, on doit observer que de très nombreuses pêches côtières ne réclament aucune immersion, même de faible profondeur, remarquer aussi que la plupart des pêches que j'ai dessein de vous enseigner peuvent s'effectuer à pied sec. De bonnes bottes de chasse pourront de toute façon vous mettre à l'abri de tout contact humide, à condition, n'aurait pas manqué de dire M. de La Palice, qu'elles ne prennent pas l’eau, directement ou par infiltrations — je n'ose dire par capillarité.

Mises à part la température hivernale de l'eau et celle de l'air ambiant, les côtes de France demeurent en toute saison aussi productives, dans les trois grands ordres de l'espèce marine : crustacés, mollusques et poissons. S'il vous arrivait d'en douter, le moindre étal de marée, à Paris comme en province, vous rassurerait immédiatement sur vos chances de succès. Et on doit ajouter, comme argument d'attrait, que si la pêche en rivière et la chasse en campagne sont actuellement réglementées dans le temps, il n'en va pas de même de la pêche maritime, sous de rares réserves que je me propose de vous indiquer au passage, au fur et à mesure que défileront ces chroniques.

Que si la perspective d'un séjour côtier risque de vous refroidir par avance, je me contenterai de vous demander si les rigueurs de l'hiver ont jamais écarté d'un gabion les chasseurs de marais, ou d'une rive d'eau douce les pêcheurs de saumon et de truite.

Enfin, pour mieux vous convaincre de tenter votre chance, et cette fois aussi bien l'été que l'hiver, je vous rappellerai que, par un de ces oublis dont l'État n'est pourtant pas coutumier, en notre siècle de fiscalité excessive, les Pouvoirs publics n'ont jamais envisagé sérieusement la création d'un permis de pêche maritime côtière — touchons du bois ! Donc, pour nous résumer, économie d'appareillage et liberté d'action devraient vous convertir aisément aux charmes (et aux profits) de la pêche à la mer, si parfaitement rentable.

Je sais en effet — et ce côté pratique des choses ne manque pas d’intérêt pour certains — des habitants du littoral qui, n'ayant pourtant jamais navigué ou manié de leur vie voile ou rame, parviennent à tirer toute leur subsistance familiale d'une mer proche qui les nourrit généreusement.

Il ne tient qu'à vous d'essayer. Pour peu que vous disposiez d'une bonne vue, élément de réussite indispensable, d'un sens de l'orientation assez poussé, d'un bon esprit d'observation aussi, rien ne s'oppose à ce que vous tiriez profit de la lecture de ces causeries, plus exactement de leur mise en pratique.

Avant toutefois de vous emmener avec moi sur quelque point de nos côtes, je dois vous indiquer ici, succinctement, les grands principes qui régissent la matière :

    1° Les meilleures pêches se font le plus souvent en période de marées de nouvelle lune ou de pleine lune, du troisième jour antélunaire au troisième jour qui suit ;

    2° Les heures les plus favorables, en principe, s'inscrivent entre les deux dernières heures du reflux (flot descendant) et la première heure du flux (flot remontant).

Ces conseils généraux valent surtout pour les diverses espèces de crevettes, grise ou rouge, pour le bouquet surtout, le homard, les étrilles, les poupards, les huîtres et certains poissons saisonniers comme l'équille ou lançon. Ils s'appliquent également à nombre de mollusques tels que les rans, les vignots, les palourdes, voire la seiche ou la pieuvre (à tort décriées). Dans certains secteurs marins; leur observation est profitable à la pêche des coques, hénons, flions, vanneaux, etc.

Mais la pêche à pied de certains poissons côtiers, comme le carrelet ou plie, le picot ou flonde, l'anguille, le bar, le mulet, s'accommode mieux d'autres lois, que je vous dirai le moment venu.

Vous voici maintenant à peu près préparés à me suivre sur les grèves blondes que découvre le reflux, sur les longs plateaux rocheux, embaumés des parfums du varech et de l'algue, que la mer baissante laisse à nu, tout grouillants d’une invisible vie. Il ne me reste guère qu'à vous conseiller, avant de vous prendre en remorque, de vous habiller chaudement de grosse laine, même en été, et de vous protéger les pieds de gros cuir, par-dessus d'épaisses chaussettes. De vous munir aussi, dans tous les cas, dame ! d'un panier d'osier, léger mais stable, pourvu d'un dispositif permettant de vous l'arrimer solidement au dos, ou, ce qui demeure souvent préférable, au côté.

Maurice-Ch. RENARD.

Le Chasseur Français N°635 Janvier 1950 Page 21