Dans des causeries fort bien documentées, notre estimé
confrère M. Delaprade nous a parlé des mœurs du saumon, de sa rareté relative
et des rivières où on peut encore le rencontrer ; i1 a également ajouté
quelques mots sur sa pêche. Toutefois, ces dernières indications nous ayant semblé
un peu rapides pour les débutants, nous croyons utile, à l'intention de
ceux-ci, d'y ajouter quelques précisions de plus, puisque la pêche de ce
poisson va bientôt s'ouvrir.
1° Pêche aux gros vers.
— Elle s'impose quand les eaux sont en crue, quelle que
soit l'époque, et que les autres modes de pêche ne donnent rien. Elle nécessite
l'emploi de cannes longues et solides, d'un corps de ligne et d'un bas de ligne
très résistants. À l'extrémité de ce dernier est empilé un fort hameçon, n° 1
ou 2, garni de trois ou quatre gros vers accotés. On pêche au tact, comme pour
la truite, avec plombée assez forte et sans flotteur. Laisser l'appât
s'enfoncer profondément et le maintenir pendant quelques instants dans les
remous situés derrière les roches, les obstacles et avancements de la rive.
Touche parfois à peine perceptible, d'autres fois très violente. Laisser partir
le poisson en freinant le moulinet et en ne donnant que le moins de fil
possible ; gaffer dès que le poisson a pu être amené à bord.
2° Pêche aux leurres artificiels.
— C'est, de beaucoup, la plus répandue de toutes. Elle
se pratique souvent dès l'ouverture de janvier, malgré le froid, dont le saumon
n'a cure. Des eaux légèrement teintées sont très favorables.
On emploie des devons lourds ou plus souvent des cuillères
assez grandes avec adjonction de plomb dit « bateau ». En général,
sont utilisées de fortes cannes à lancer à deux mains, munies d'anneaux larges
et d'un moulinet de grande contenance. De nos jours, le grand moulinet simple,
en noyer, et les multiplicateurs métalliques sont délaissés au profit du gros
moulinet à tambour fixe. Le corps de ligne est fait de forte soie à lancer, non
apprêtée, et le bas de ligne le plus prisé est en acier articulé avec plusieurs
émerillons.
Rechercher, pour pêcher, des courants assez profonds et de
rapidité moyenne (pools), situés en aval des chutes et des barrages. Les
meilleurs sont ceux où se voient de grosses roches, des lignes de blocs de
pierres et des dénivellations brusques.
L'essentiel est de bien explorer les parties accessibles, de
maintenir les leurres très près du fond, faire raser les obstacles et ne pas
donner aux appâts une allure trop rapide. Pourvu qu'ils tournent ou ondoient
bien, c'est suffisant.
La touche, sur les leurres, est ordinairement brutale. Il ne
faut pas s'opposer dès l'abord à la fuite du poisson, mais veiller à ce que le
fil ne se détende pas et amener la capture le plus tôt possible ; gaffe
indispensable pour les gros saumons.
3° Pêche aux poissons morts.
— Se pratique de façon semblable à la précédente ;
exige les mêmes cannes, soies et bas de ligne. Nécessite une plombée assez
lourde, soit à l'intérieur du corps, soit à 50 ou 60 centimètres au-dessus
(plomb bateau). Avantages : dure plus longtemps que la pêche aux leurres
métalliques ; donne des résultats en eaux claires et basses. Se servir
d'appâts plus gros au début, de plus en plus petits avec l'avance de la saison.
Le saumon manqué revient souvent au poisson mort, presque jamais aux leurres
métalliques.
4° Pêche à la crevette.
— Ne donne de résultats qu'en eau claire. Ne rend bien
que du 15 mars à mi-juin, jusqu'aux chaleurs. Employer des montures spéciales
décrites dans les catalogues, ainsi que les cannes et moulinets appropriés.
Le lancer de la crevette est délicat, jamais brutal, et sa
conduite dans l'eau est assez ardue. On doit lui conserver ses longues antennes
et lui donner l'apparence de la vie. On se sert de la grosse crevette rose dite
« bouquet », conservée dans la glycérine. La touche est le plus
souvent très légère, rarement violente. La lutte est difficile, vu la finesse
relative des engins employés.
5° Pêche à la mouche artificielle.
— C'est la plus sportive et la plus captivante ;
elle m'a procuré de beaux succès.
Elle demande l'emploi de cannes assez longues et
résistantes. Celles en bambou refendu, souples et nerveuses, sont les
meilleures ; on en trouve les modèles dans les catalogues des grandes
maisons d'articles de pêche.
On les munit d'anneaux assez larges et d'un moulinet simple
de grande contenance (80 à 100 yards) de soie imperméabilisée de bonne
grosseur, terminée en queue de rat. Le bas de ligne de 3 mètres est
toujours très robuste, plus fin à l'extrémité, mais sans excès ; de nos
jours, le nylon est très employé.
Le choix des mouches est assez délicat. Dans certaines
rivières, on ne réussit qu'avec celles de teintes sobres, mais j'ai aussi
employé les mouches brillantes avec succès ; un choix d'une douzaine
suffit généralement ; plus l'eau est basse et claire, plus il les faut
petites.
On pêche en « mouche noyée », comme pour la
truite, en lançant en travers du cours d'eau, bien au large et en laissant
décrire au leurre un arc de cercle qui le rapproche de la rive, après quoi on
relance à la même place ou à une autre assez voisine. La mouche, en courant moyen,
se tient à 0m,10 environ au-dessous de la surface. Dans les eaux profondes, on
laisse enfoncer davantage et on fait « travailler » sa mouche, par un
mouvement de dandinette très léger qui fait ouvrir et fermer les poils. Un
auteur affirme que faire passer deux ou trois fois la mouche au bon endroit
suffit.
Je ne suis pas de cet avis et ai toujours insisté plus
longtemps aux points jugés propices, notamment au voisinage des roches qui
émergent. La touche est presque toujours imprévue et un simple arrêt de la
ligne doit provoquer le ferrage qui consiste à raidir la bannière sans aucune
violence.
Au départ, laisser le fil se dérouler librement tout en
freinant pour le tenir tendu. Récupérer dès que possible ; se méfier des
sauts, des contorsions et des butées sur le fond ou les grosses pierres. Faire
gaffer par un comparse expert vaut mieux que l'essayer soi-même.
L'insuffisance de place oblige à ne pas insister plus
longtemps. Se procurer en librairie des ouvrages de spécialistes est d'un
précieux enseignement, mais il faut les lire avec une attention soutenue.
R. PORTIER.
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