ES Anglais, qui ont baptisé toutes les mouches, ne furent
pas, pourtant, les premiers qui les firent flotter sur l'eau, puisque,
paraît-il, les Romains connurent ce genre de pêche. Certaines mosaïques et
peintures de Pompéi, de Tunis et d'ailleurs, semblent vouloir le confirmer
quand elles représentent une Venus piscatrix : on ne peut vraiment
pas supposer que de si belles mains puissent toucher un appât naturel
quelconque.
Mais, si de leur mot hamus, nous avons fait hameçon
pour désigner le même objet, ils ne nous ont pas laissé trace de leurs mouches,
ni de leurs noms. J'imagine qu'elles devaient être grossières, primitives et
peu nombreuses.
Quoi qu'il en soit de l'origine de nos si jolis petits
appâts artificiels, on — c'est-à-dire nous pêcheurs français — on est pour le
moins surpris de la persistance avec laquelle nous continuons à appeler, en
anglais, ce qu'il serait si facile et si commode d'appeler tout naturellement
d'un mot précis de notre langue.
Tout naturellement parce que c'est notre langue maternelle
et que cette langue est précise. Nous aimons dans un mot trouver une certitude.
Nous ne pouvons supporter un mot vague ou trop général pour désigner un objet
unique. Or, si nous examinons les mots que l'anglais met à notre disposition et
que nous adoptons si volontiers par nécessité, par snobisme, par « chic »
et aussi par anglomanie, nous nous apercevons qu'ils sont très vagues.
Qu'est-ce qu'un dark olive dun par exemple ? Si
vous ne le savez pas, si on ne vous donne pas la traduction halieutique, vous
jeune néophyte qui débutez à la mouche, que comprendrez-vous ? Si vous
connaissez l'anglais, vous traduirez par « éphémère de couleur olive
sombre ou noir ». Ce qui n'est déjà pas mal. Ce nom, éphémère, et la
couleur classent immédiatement dans votre esprit cette imitation. Si, par
ailleurs, vous avez appris que dun désigne l'éphémère qui vient
d'éclore, c'est-à-dire encore gris, terne, n'ayant pas terminé sa toilette
nuptiale, vous serez à peu près fixé.
Mais éphémère et dun sont des mots généraux qui ne
désignent ni l'espèce, ni la famille de l'éphémère, et qui, par conséquent,
sont encore trop vagues. Ce mot ne nous fixe pas suffisamment : d'une
mouche de mai (encore un terme très vague) à une béatis, que d'éphémères
différents en grandeur, en forme, en couleur et dont les éclosions se
produisent à des époques différentes !
Il en est de même du mot spinner. Un red spinner,
qu'est-ce que c'est ? C'est un éphémère de couleur rouge. Un éphémère
ayant accompli sa dernière métamorphose et rouge. Mais que de red spinners
il pourrait y avoir ! J'accorde, cependant, que ces termes dun et spinner
sont plus concis que la phrase française nécessaire pour les désigner. Mais, à
côté de quelques mots traduisibles en français et plus concis, combien d'autres
dont la traduction ne nous apprend absolument rien, si ce n'est quelques
anecdotes comme coachman.
Je crois cependant que, pour le moment, il est nécessaire,
pour un pêcheur à la mouche, d'en apprendre le sens, parce que pêcheurs,
fabricants, vendeurs et auteurs halieutiques les emploient. Mais pourquoi
n'utilise-t-on pas les mots français ? Ils existent.
Certes, étymologiquement, quelques noms d'insectes,
indifférents aux pêcheurs, ne nous rappellent aussi que quelques belles
histoires comme le celui qui écarte la mort, et rien sur l'insecte au
point de vue scientifique — si ce n'est sa classification, — encore moins
halieutique ; d'autres ne mettent en évidence que la couleur, ou une autre
caractéristique, mais tous ont un nom.
Il me semble donc que la nécessité de connaître le nom des
insectes qui servent de modèles à nos mouches s'impose au pêcheur. Faire un peu
d'entomologie pour retenir le nom de famille de ces insectes me paraît
nécessaire. Le petit effort indispensable pour apprendre quelques mots ne
laisserait plus aucune ambiguïté. Il n'est pas plus difficile de retenir un mot
latin qu'un mot anglais ; ce ne serait pas plus prétentieux, ni pédant, ce
serait logique, simple, clair, précis : français.
Je rêve d'un entomologiste pêcheur, capable de délaisser son
microscope pour nous faire une très courte entomologie du pêcheur, suivie d'un
lexique succinct de tous les noms d'insectes générateurs de mouches, avec le nom
de la famille. Boisset nous a donné une classification des éphémères sans aucun
nom de mouches ; Ryvez, une entomologie du pêcheur insuffisante, pas assez
succincte et dépassée par l'actuelle classification des insectes qu'il faudrait
adopter.
Il ne s'agit pas de vouloir, par cette entomologie
simplifiée à l'extrême, apprendre au néophyte quelle mouche utiliser au bord de
l'eau, mais seulement de lui donner le moyen de la discerner, de la
reconnaître, d'être capable de l'appeler par son vrai nom, ne serait-ce que
pour l'acheter. Il est choquant, et cela arrive assez souvent, d'entendre un
bon copain parler d'éphémère ou de coléoptère, alors qu'il s'agit d'une
phrygane ! Être ignorant peut être désagréable pour qui vous écoute.
Soyons charitables, restons au moins sur la réserve quand nous ne sommes pas
sûrs de notre petite science ; mais, si nous le pouvons, apprenons à
connaître ce dont nous parlons et nous servons si souvent.
Il est évident que je n'ai parlé que des noms des mouches
exactes. Pour les mouches d'ensemble ou de fantaisie, il suffirait de les
classer sous ce vocable.
Je n'ai rien dit sur les termes de la technique, qui parfois
sont mal traduits. C'est ainsi que nous traduisons « mouche humide »
par « mouche noyée », ce qui n'est pas la même chose. Mais mes
connaissances en anglais étant fort limitées et fort lointaines, je n'en dirai
prudemment pas davantage.
J'ai dit.
P. CARRÈRE.
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