Pour la première fois, fin octobre 1949, un athlète
français, Damitio, a dépassé les fatidiques 2 mètres au saut en hauteur. Seuls,
dans le monde, une demi-douzaine de spécialistes ont accompli cette
performance, le record du monde appartenant à l'Américain Steers, avec 2m, 11.
Ce record est l'un des plus enviés, à cause de son caractère
spectaculaire (le saut en hauteur étant l'un des gestes sportifs les plus
élégants du programme olympien) et aussi parce que, à partir d'une certaine classe,
il faut des mois et des mois de travail pour améliorer sa performance de un ou
deux centimètres.
Un saut, en effet, comporte quatre phases, dont chacune
exige une technique minutieuse, et qui sont : la préparation, l'impulsion,
la suspension dans l'air et la chute. Au cours de ces quatre phases, le centre
de gravité se déplace constamment.
La préparation, ou « l'élan », consiste en une
courbe progressive — courte dans le cas du saut en hauteur — et soigneusement
étalonnée, afin que l'appel se fasse, au centimètre près, au point exact choisi
par le spécialiste selon sa taille, la vitesse de sa course et la hauteur à
franchir.
L'impulsion, ou « appel », a pour effet de
projeter le corps dans l'espace. Il faut qu'elle se rapproche le plus possible
de la verticale. Il faut concilier à la fois, par l'intensité des contractions
musculaires et de la détente, la nécessité d'une vitesse initiale qui, en
raison de la force d'inertie et des lois de la pesanteur, soit suffisante pour
communiquer au centre de gravité la propulsion nécessaire et, par une attitude
correcte, la nécessité de réduire au minimum la surface du corps à la
résistance de l'air. Il faut enfin que cette contraction ultra-rapide soit immédiatement
suivie d'un relâchement d'une certaine durée qu'exigera la phase suivante.
La « suspension », qui sépare la période
d'ascension de la descente, doit être en effet relativement longue, puisqu'elle
doit permettre le temps nécessaire à la translation, qui fera passer le sauteur
d'un côté à l'autre de la barre. Une fois que les pieds ont quitté le sol, le
centre de gravité du corps décrit dans l'espace une trajectoire parabolique
conformément à la loi des corps pesants lancés avec une vitesse initiale donnée
dans une direction donnée.
Le sauteur utilise d'autant mieux cette trajectoire de son
centre de gravité qu'il évite d'élever exagérément toute partie de son corps
au-dessus de la barre à franchir, en « enveloppant » celle-ci et en
abaissant les segments aussitôt qu'ils l'ont franchie. Il est évident que cette
évolution dans l'espace autour de la barre, qui exige quelques fractions de
seconde, n'aurait que peu de valeur si elle n'était précédée d'une puissante
impulsion verticale. Autrement dit, il ne suffit pas, pour faire un bon
sauteur, d'être souple et adroit, il faut aussi être un athlète apte à fournir
en un temps très court un travail intense.
Les façons de franchir ainsi la barre en l'enveloppant de
son corps couché à l'horizontale dans l'espace a donné lieu à différents
styles, qui laissent loin en arrière les anciennes techniques du saut de face
ou du saut de côté avec coup de ciseaux simple. On adopte aujourd'hui, comme
beaucoup plus efficace, le saut avec retournement à l'intérieur, à la manière
de Lewden, qui, mesurant 1m,75 à peine, a détenu pendant de longues années le
record de France à 1m,94, et qui était doué d'une détente à l'appel
remarquable. Ou, plus souvent, le saut « couché sur le côté », à la
manière de l'Américain Horine, dont s'accommodent mieux les sauteurs de taille
supérieure à 1m,80, ce qui est le cas des actuels titulaires des records.
Chacun de ces styles comporte d'ailleurs des variantes individuelles, chaque
spécialiste adaptant à sa conformation personnelle les moyens les plus
économiques de franchir la barre au plus juste sans « l'accrocher »
avec un coude, un genou, ou … ses fesses.
Il faut, en outre, un assez long apprentissage pour se
familiariser avec l'obstacle, qui, même lorsqu'il consiste en une barre
inoffensive et tombant au moindre contact, est toujours impressionnante pour le
débutant. Il faut même, avant une épreuve importante, s'habituer à l'estimation
des différentes hauteurs auxquelles on veut sauter, et même au paysage, afin
d'éviter toute cause d'appréhension ou d'erreur d'optique. Gajan fait
remarquer, par exemple, qu'une barre placée sur des montants courts et se
détachant sur le ciel parait plus haute qu'une barre supportée par des poteaux
élevés et qui se projette sur un fond de tribune. Il lui faut surtout préparer
sa course et son point d'appel, en les répétant plusieurs fois avant l'épreuve
et en prenant ses points de repère. Des mouvements spécialisés constituent une
excellente préparation à cet effet.
Quant à la quatrième phase, celle de la chute, elle ne
comporte pour les « as » aucune difficulté pour atteindre le sol en
souplesse. Par contre, elle impressionne les jeunes et fait frémir les parents.
Rassurons-les en leur affirmant, comme l'aurait fait ce bon M. de La Palice,
qu'ils n'ont pas à craindre que le jeune sauteur tombe de plus haut que la faible
altitude à laquelle, avec ses faibles moyens, il aura réussi à s'élever. Et
que, par définition, si ses muscles ont réussi à l'élever à 1m,20 ou 1m,30 du
plancher des vaches, ils sont assez forts et assez souples pour amortir la
chute sans aucun danger, avec un minimum d'apprentissage. Et que, si la
première fois il se fait un peu mal, ce sera une excellente leçon pour
apprendre à faire mieux la seconde.
Dr Robert JEUDON.
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