Il était une époque, pas très éloignée de nous, où les
montagnards n'éprouvaient pas encore le besoin d'une classification des
escalades rocheuses en fonction de leurs difficultés. Une coursé était
difficile ou bien, suivant l'expression imagée d'alors, elle était « à
vaches » ; encore ne fallait-il pas prendre cette désignation au pied
de la lettre, car elle ne traduisait que le dédain de l'alpiniste de la classe
supérieure pour une ascension d'une facilité souvent toute relative.
Encore aujourd'hui, pour le touriste qui parcourt les
sentiers de montagne, il ne semble exister qu'un genre d'ascensions, celle
qu'il regarde avec respect comme dépassant de beaucoup ses possibilités.
Or il existe une échelle de difficultés d'une variété telle
que les alpinistes ont jugé nécessaire de leur donner une quotation en degrés,
ces degrés allant, au moins actuellement, de I à VI. Ainsi, chaque ascension ou
chaque passage rocheux étant défini par le degré auquel il appartient, chaque
grimpeur pourra aborder une ascension connue en sachant à l'avance, soit qu'il
est capable de la mener à bien sans peine, soit, au contraire, qu'il
rencontrera devant lui un passage plus difficile que ceux qu'il a eu à
surmonter dans ses courses précédentes. Tel est, en principe, la raison d'être
de la graduation des difficultés.
C'est dans les Alpes orientales qu'ont été mis au point, il
y a une vingtaine d'années, les degrés de la quotation actuelle. Ce classement
était relativement simple, car une ascension purement rocheuse, dans les
Dolomites par exemple, présente des difficultés très constantes. Il a été assez
long à pénétrer dans les Alpes occidentales du fait que les ascensions y sont
le plus souvent mixtes, glaciaires et rocheuses, et le rocher lui-même en
conditions très variables suivant l'enneigement. Il a fallu définir chaque
passage par sa difficulté minimum, correspondant aux conditions les meilleures,
c'est-à-dire au rocher parfaitement sec, exempt de neige ou de verglas. Quant
aux difficultés glaciaires, elles sont excessivement changeantes et l'on a dû
renoncer à en établir le classement.
Ceci posé, voici comment se définissent les différents
degrés dans les Alpes françaises. Nous essayerons plus tard, par quelques
récits de courses, de donner aux lecteurs une idée aussi précise que possible
des difficultés auxquelles ils correspondent. Pour ceux d'entre eux qui
connaissent un peu le massif du Mont-Blanc, nous citerons dès aujourd'hui
quelques exemples.
1er degré : facile.
— C'est à peu près la limite de ce que fera un simple
promeneur emmené en montagne par un alpiniste déjà entraîné. Il aura besoin de
se servir de ses mains pour grimper, mais sans qu'aucun passage nécessite un
effort sérieux. Exemples : aiguille du Tour, aiguille du Tacul.
2e degré : peu difficile.
— Là encore, il n'y aura pas de « difficultés »
à proprement parler ; mais certains passages nécessiteront soit quelques
efforts de traction, soit une certaine délicatesse de mouvements ; c'est
déjà de l'escalade. Exemples : l'aiguille du Moine, le Tour Noir.
3e degré : assez difficile.
— Ici commence l'alpinisme véritable. Jusque-là
l'emploi de la corde n'était pas absolument nécessaire pour de bons grimpeurs ;
il devient maintenant indispensable. Il ne s'agit plus de tractions isolées,
mais de véritables passages d'escalade demandant sur plusieurs mètres des
efforts continus. Il n'est plus question de monter n'importe où devant soi :
il n'y a qu'un itinéraire, à côté on ne passe pas, ou on passe beaucoup plus difficilement.
Dans cette catégorie entrent la plupart des grandes courses classiques : Dent
de Requin, aiguille du Peigne, traversée des Grands Charmoz, Grand Dru et, en
Oisans, la traversée des arêtes de la Meije.
4e degré : difficile.
— C'est le domaine des ascensions les plus difficiles
que l'on faisait il y a une vingtaine d'années, considérées comme « courses
de premier ordre » au Groupe de Haute Montagne. La célèbre ascension du Grépon
constitue seulement la limite inférieure de cette catégorie, de même que la
traversée des Drus.
Le 5e degré, très difficile, comprend des
courses qui pour la plupart n'avaient été que rarement réussies avant la
guerre. Les progrès constants de la technique de l'escalade ont fait que
certaines d'entre elles sont aujourd'hui assez souvent refaites, comme la
traversée des aiguilles du Diable ou l'arête sud de l'aiguille Noire de Peteret.
Enfin le 6e degré, extrêmement difficile,
comprend de rares exemples tels que l'éperon Walker de la face nord des Grandes
Jorasses. Il représente actuellement la limite des possibilités humaines sans
emploi de moyens artificiels d'escalade.
Pierre CHEVALIER.
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