Les productions fourragères sont à l'ordre du jour. Après
avoir été longtemps négligées, on se rend compte de leur importance dans la
production animale et, sans négliger — loin de là — l'amélioration propre du
bétail, l'attention se porte sur l'accroissement des unités fourragères qui
résulte de cultures fourragères conduites rationnellement.
Le débat se ranime entre partisans de la prairie permanente
et adeptes de la prairie temporaire ; à plusieurs reprises déjà, ces notes
en ont manifesté le reflet. Aussi bien pendant la période de guerre récente que
lors du premier conflit mondial, beaucoup d'écrivains préconisaient la rupture
des prairies dites naturelles, mais qui sont mieux appelées permanentes, de
manière à bénéficier des réserves accumulées et de les mobiliser au profit des
cultures de céréales, du blé en particulier, le premier besoin paraissant être
celui du pain.
Depuis quelques mois, les publications agricoles consacrent
des colonnes au ley farming. Il s'agit d'une méthode importée
d'Angleterre et qui correspond tout simplement à la prairie temporaire
rationnellement exploitée. Objectif : tirer du sol le maximum de protéines
digestibles par la mise en consommation d'herbes de grande valeur obtenues au
maximum. Moyens : ne pas laisser un terrain encombré par des plantes sans
valeur, ramener le milieu à un état favorable au développement des bonnes
plantes par des façons aratoires et des engrais, choisir des espèces
appropriées, exploiter au moment le plus favorable et conserver le fourrage
obtenu par les meilleurs procédés.
On reconnaîtra aisément des principes déjà exprimés dans ces
colonnes, mais, comme la méthode s'appelle ley farming, une fois de plus
il s'agit certainement d'un procédé « merveilleux », comme l'écrivait
l'agronome Duhamel du Monceau dans la seconde moitié du XVIIIe
siècle. Puissance des mots, ingénuité des hommes.
En fait, quel est le problème de départ ? Dans ce
débat, il faut évidemment laisser de côté les prairies permanentes, véritables
prairies naturelles qui, de tout temps, ont occupé spontanément les terrains de
montagnes, les vallées périodiquement envahies par les eaux des crues des
rivières parce que de grands travaux de dérivation, de protection n'ont pas pu
être économiquement exécutés. Il faut également laisser en dehors du groupe les
milieux où la prairie naturelle repose sur des terres remarquablement fertiles
sous un climat favorable à la pousse de l'herbe. Qui aurait l'impudence de
remettre en labour les prairies du pays d'Auge, du Bessin ? Évidemment, la
question se pose dès que le climat plus continental contraint les éleveurs à
conserver le bétail à l'étable pendant la mauvaise saison ; alors des
terres sont maintenues en labour et on y récolte des racines, des céréales dont
la paille jouit d'une large considération. Je sais bien que, là encore, la
discussion est possible, et l'on voit ailleurs qu'en Charolais, dans le
Limousin ou le Bassigny, des agriculteurs de régions montagneuses qui
obtiennent du foin comme réserve d'hiver sur une partie des prairies
permanentes ; sans aucune racine, sans aucun aliment concentré, les
exploitants récoltent pendant l'hiver du lait abondant et de qualité, mais il
faut voir comment ce foin fin et succulent est obtenu grâce à des procédés de fanage
remarquablement raffinés. Allons encore plus loin.
On s'entretient de plus en plus de la mise en large
utilisation de procédés de séchage extra-rapides qui, appliqués à tous les
fourrages coupés à l'époque la meilleure, mettraient à la portée de tous des
produits de haute qualité. À ce moment, la concurrence s'engage entre la
conservation en vert par l'ensilage, dont les procédés connaîtront encore des
progrès, et la conservation en sec par séchage extra-rapide ; la parole
sera donnée aux zootechniciens pour faire passer le produit d'une surface
donnée par le système digestif d'animaux soumis à l'expérimentation et
déterminer le procédé donnant finalement le maximum d'utilités, le côté
économique de la question n'étant évidemment pas négligé. C'est l'expérimentation
à laquelle le maître P.-P. Dehérain demanda autrefois à des jeunes : Gay,
Dupont et moi-même, un argument supplémentaire pour justifier la mise en
culture des betteraves demi-sucrières. Consolons-nous donc si, aujourd'hui,
c'est la question d'interprétation de vocable qui se trouve en jeu ;
l'avenir réserve d'autres solutions à étudier.
Mais revenons à la question. Il s'agit de terres qui ne
conviennent pas à la bonne prairie permanente, qui ne sont pas son apanage
exclusif et qui, ne l'oublions pas, ne correspondent pas non plus à ce qui est
le milieu d'élection des prairies dites artificielles : la luzerne, le
trèfle, à titre de plus en plus accessoire le sainfoin et, bien loin derrière,
des légumineuses diverses à caractère vivace. Au fond, les terres que l'on veut
livrer au ley farming, ce sont celles qui correspondent avant tout à
celles que destinait à la prairie temporaire François Berthault, dont, en ce
moment, je ne fais que répéter les leçons à un demi-siècle de distance.
Toutefois, je reconnais qu'il y a tout de même une
caractéristique nouvelle dont j'avais déjà eu l'impression lors d'un voyage en
Angleterre pour étudier l'ensilage. Alors, on répétait : « Toute
terre qui ne fournit pas trois tonnes de fourrage sec à l'hectare par la
prairie permanente est justiciable du retour au labour » ; et c'est
par des fourrages ensilés qu'il convient de s'assurer les réserves d'hiver.
Alors entraient dans le jeu les mélanges de vesces et féveroles, l'adjonction
des pois fourragers, de céréales servant de soutien, etc. Pendant la guerre
récente, l'Angleterre a continué dans le même sens ; privée d'aliments
importés pour l'homme, avec une ténacité qu'il faut sans cesse rappeler et
louer, on a intensifié les labours, et les résultats obtenus sont connus de
tous : le pays a réussi à réduire ses importations, grâce à ces récoltes
supplémentaires prolongées, il est vrai, par une contrainte alimentaire qui se
poursuit.
Dans quelle mesure devons-nous nous inspirer de ces idées
directrices, notamment en notant soigneusement que les productions fourragères
demandent un climat approprié ? Ce qui est possible sous le ciel brumeux
de la Grande-Bretagne ne l'est certainement pas dans les plaines du Centre.
Néanmoins, j'allais oublier de rappeler le souvenir d’un ancien élève de
Grignon exploitant sur les confins de l'Indre et de la Haute-Vienne ; son
assolement comportait environ la moitié en prairies temporaires et l'autre en
céréales et plantes sarclées ; en marge, des prairies permanentes sur des
terres arrosées et de bonne qualité. Pour M. Desages, la prairie temporaire,
production associée de quelques graminées et légumineuses, donnait plus de
fourrage que du trèfle cultivé seul ; le terrain bénéficiait ensuite de
l'amélioration produite par l'introduction rationnelle d'une légumineuse et
d'autres végétaux producteurs d'humus. Le lecteur sera peut-être intéressé par
le rappel de ces souvenirs, mais il cherchera d'autres conclusions qui seront
apportées le mois prochain.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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