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Le fumier artificiel

De nombreux exploitants, frappés par le progrès que représente la mécanisation de l'agriculture et croyant avoir la possibilité de maintenir la fertilité de leurs terres grâce à l'emploi des engrais minéraux, ont liquidé cheptel et attelages et abandonné l'emploi du fumier, trop exigeant en main-d'œuvre. On vend les pailles et la plus grande partie des fourrages récoltés.

Certes, pendant de nombreuses années parfois, surtout en bonne terre, les effets de cette pratique peuvent ne pas se faire sentir. Pourtant les analyses de terres soumises à ce régime sont significatives et montrent la diminution lente et constante de la matière organique dans le sol. Et l'on voit bientôt les rendements diminuer à leur tour malgré les apports d'engrais, les façons culturales deviennent plus coûteuses, les plantes deviennent plus sensibles aux actions défavorables du climat ; bref, il ne devient plus possible de cultiver la terre de façon rentable et il faut songer à réapprovisionner en humus le sol dont les réserves s'épuisent, qui avaient été accumulées par des générations de cultivateurs.

On ne peut pourtant pas songer à revenir aux méthodes ancestrales. Le tracteur a définitivement remplacé bœufs et chevaux. Alors !

Alors, sans parler de l'enfouissement des pailles ou de la culture dérobée d'engrais verts en vue de leur enfouissement, qui sont des méthodes permettant seulement de maintenir un taux suffisant de matières organiques dans les terres non encore épuisées, on songera au fumier artificiel, qui seul pourra réapprovisionner le sol cultural en cet élément vital : l'humus.

Comme le fumier de ferme ordinaire, le fumier artificiel est composé essentiellement de paille, à laquelle, au lieu des déjections animales, on incorpore de faibles quantités d'azote minéral pour nourrir les bactéries responsables des fermentations qui doivent conduire à l'humification de la masse. D'où cette première remarque : en aucun cas le fumier artificiel ne pourra être considéré comme un engrais azoté, au même titre que le fumier ordinaire ; ce ne sera qu'un amendement, ce sera l'amendement nécessaire aux terres appauvries en humus auxquelles l'azote devra être apporté ultérieurement par des engrais minéraux.

Les quantités d'azote à apporter à la paille sont variables avec la saison : plus faibles en été, plus fortes en hiver, il faut compter de 5 à 10 kilogrammes par tonne de paille.

On apportera cet azote sous forme ammoniacale, plutôt que sous forme nitrique, la première étant plus assimilable par les bactéries : on utilisera donc non des nitrates, mais du sulfate ou du phosphate d'ammoniaque.

Doit-on assurer également la nourriture des bactéries en potasse et en acide phosphorique ? Ce n'est pas indispensable, car elles peuvent trouver dans la paille les quantités qui leur sont nécessaires, mais il n'est pas d'une mauvaise pratique d'en ajouter.

De toute façon, tout ce qui aura été apporté à la masse se retrouvera intégralement, même en ce qui concerne l'azote. Partant, en effet, des quantités d'azote minima, nous n'assisterons pas, comme dans le cas du fumier ordinaire, à des déperditions d'azote au cours de l'humification de la masse. Mais il va sans dire que cet azote fixé au noyau de l'humus ne sera pas assimilable immédiatement par les plantes : il ne pourra jouer dans le sol qu'un rôle de réserve à mobilisation lente.

Ce qu'il est indispensable d'assurer, c'est une très forte humidité, égale en principe à la teneur en eau des végétaux vivants, soit, en moyenne, 75 à 80 p. 100. D'où la nécessité d'une fumière pourvue d'une fosse à purin et d'une pompe pour récupérer les purins écoulés et en arroser fréquemment la masse. La paille sèche ne contenant que 13 à 15 p. 100 d'eau, c'est, en effet, environ 3.000 litres d'eau ou de purin qui sont nécessaires pour assurer l'humidité suffisante d'une tonne de paille.

Après ce rapide examen des conditions d'une bonne fabrication du fumier artificiel, étudions maintenant la technique de sa préparation.

On étend sur le sol une première couche de paille de 40 à 50 centimètres d'épaisseur, qu'on mouille à fond et sur laquelle on répand l'apport azoté à raison, par exemple, d'une trentaine de kilogrammes de sulfate d'ammoniaque par tonne de paille.

On laisse s'amorcer la fermentation qui élève bientôt la température de la masse à 60°, et on apporte alors une nouvelle charge de paille pour laquelle on procède de la même façon en la mouillant avec du purin ou de l'eau, et en lui ajoutant un nouvel apport d'azote. On procédera ainsi par couches successives en arrosant régulièrement et fréquemment, et en attendant toujours qu'une couche ait chauffé pour déposer la suivante.

N'ayant pas à craindre de pertes d'azote, on ne tassera pas la masse en cours de fabrication afin de favoriser la fermentation par une large aération. Par contre, lorsqu'on aura obtenu la quantité de fumier désirée en sachant qu'une tonne de paille peut fournir 2.700 à 2.800 kilogrammes de fumier, on tassera énergiquement le tas dont on laissera se poursuivre l'humification qui, en deux ou trois mois, fournira une masse noire très comparable au fumier de ferme ordinaire.

Telle est la fabrication du fumier artificiel pour laquelle on peut utiliser non seulement la paille, mais encore tous débris végétaux.

Si l'on dispose encore de quelques têtes de bétail, chevaux ou vaches laitières, on peut fabriquer du fumier mixte dans lequel l'azote est apporté sous forme d'excréments animaux comme dans le fumier ordinaire. Un cheval, par exemple, rejette annuellement dans ses déjections solides et liquides près de 60 kilogrammes d'azote, de quoi assurer la fermentation de 6 tonnes de paille environ. Une vache de 500 kilogrammes peut rejeter près de 80 kilogrammes d'azote, suffisants pour 8 tonnes de paille. Ces quelques chiffres montrent clairement qu'un nombre même réduit de gros animaux permet de fabriquer une quantité très considérable de fumier mixte. Il est donc très avantageux de diluer les litières produites dans de la paille en proportion à peu près équivalente. Pour reprendre l'exemple du cheval, celui-ci, qui fournit en moyenne 9 tonnes de fumier ordinaire par an, peut fournir en effet 17 tonnes environ de fumier mixte, c'est-à-dire près du double.

Certes, comme le fumier artificiel, le fumier mixte ne sera pas un engrais azoté, mais ce sera ce précieux amendement dont on peut dire qu'aucun sol cultivé ne peut se passer sans perdre sa fertilité à plus ou moins longue échéance.

J. P.

Le Chasseur Français N°635 Janvier 1950 Page 40