L'homme, qui jouit des produits de la forêt, s'efforce le
plus souvent de la maintenir et de l'enrichir, pour en tirer le maximum de
profits et, quelquefois même, il crée de nouvelles forêts, par un travail
opiniâtre. Hélas ! il est souvent aussi le pire ennemi de la forêt par son
insouciance, par sa négligence ou par ses actes criminels.
Les catastrophes récentes dont les Landes de Gascogne ont
été le théâtre, les dommages causés par les insectes à la belle forêt vosgienne
mettent à l'ordre du jour le problème des responsabilités de l'homme.
Au seuil de cette nouvelle année, il importe de prendre les
résolutions qui s'imposent et il faut bien se pénétrer des consignes à
appliquer pour sauvegarder les richesses forestières qui nous restent.
On a le droit d'orienter la culture des forêts en vue de la
satisfaction des besoins humains. On n'a pas le droit de négliger les soins
qu'elle réclame, et encore moins de laisser s'y produire des catastrophes.
La forêt de pin maritime des Landes de Gascogne a été créée
entièrement de main d'homme au siècle dernier. Les noms de Chambrelent, de
Brémontier sont connus de tous. Beaucoup ont lu le livre intéressant d'Edmond
About, Maître Pierre, sur cette question. Un vaste et florissant massif
de plus d'un million d'hectares avait fait disparaître les marécages entre la
Garonne et les Pyrénées. Les bombardements et les incendies de guerre, les
mines, les invasions d'insectes consécutives à des cataclysmes et, en 1949
encore, toujours le feu ont détruit à peu près la moitié de cette forêt.
Derrière tout cela, c'est l’homme qu'on trouve, négligent ou criminel.
La vie, sous toutes ses formes, à la surface de la terre
est, dans son infinie variété, un harmonieux équilibre, équilibre entre les
végétaux et les animaux qu'un rien suffit à rompre. Qu'il y soit, par exemple,
tant soit peu mêlé d'artificiel (et c'est bien souvent le cas de la forêt
traitée par l'homme pour la satisfaction de ses besoins matériels) et
l'équilibre se trouve rompu. Les arbres souffrent, les peuplements dépérissent
et la voie est ouverte au déchaînement des cataclysmes.
Nombreuses sont les forêts trop denses, jamais éclaircies,
constituées par une seule essence souvent étrangère à la station, et dont les
arbres languissants deviennent la proie d'insectes ou de champignons. Nombreux
sont les propriétaires, mal renseignés, qui, sur la seule foi de réclames
tapageuses, plantent n'importe quelle essence, qui n'est adaptée ni au sol ni
au climat, et dont les produits n'auront peut-être pas, dans l'avenir, d'utilisation
technique. Dans beaucoup de pays étrangers existent depuis longtemps des
forestiers de l'État, chargés de conseiller les propriétaires privés. Ceci
existe aussi chez nous. On a parlé dans ces colonnes du Fonds forestier national.
Dans chaque département, un officier forestier est chargé des relations avec
les propriétaires particuliers. La Station de Recherches forestières de l'École
nationale des Eaux et Forêts de Nancy peut donner, à ceux qui s'adressent à
elle, des conseils utiles.
Ne pas planter donc sans avoir pris l'avis de personnes
compétentes et désintéressées, si on ne veut pas courir à un des nombreux
échecs qu'on a enregistrés ces dernières années.
Ensuite il faut veiller à l'état sanitaire des peuplements
ainsi créés et épier les moindres signes de souffrance ou de dépérissement.
Les sapins pectinés, introduits en dehors de leur station,
sur les versants secs, à des expositions trop chaudes, sont souvent victimes
d'un puceron (Dreyfusia Nusslini) qui peut leur causer de graves
dommages. C'est le cas, actuellement, sur la partie basse du versant alsacien
des Vosges, sur certains versants chauds et découverts, à sol perméable des
basses Vosges lorraines, dans les stations basses des pentes des Cévennes, etc. ...
L'épicéa commun, apprécié des planteurs, à cause de sa bonne
reprise, de son aptitude à végéter en pleine lumière, de sa croissance rapide,
de1'écoulement facile de ses produits, est souvent victime des « bostryches »,
terme collectif désignant plusieurs espèces d'insectes dont la pullulation
amène des situations catastrophiques. C'est le cas aussi, depuis trois ans,
dans nos Vosges. L'épicéa, originaire de la haute montagne humide, a en effet
été introduit partout en plaine et jusque dans des sols secs qui lui sont très
défavorables.
Le Douglas, le pin Weymouth et bien d'autres essences ont
aussi leurs parasites, souvent très dangereux. Le planteur a investi
d'importants capitaux pour créer un peuplement. Il a vu pendant quelques années
ses arbres grandir et son vœu se réaliser. Puis, soudain, tout est emporté.
Pour éviter cela, il faut s'entourer de conseils éclairés
avant de planter et, dans les forêts constituées, surveiller soigneusement les
peuplements. Au moindre signe de dépérissement, demander conseil aux organismes
mentionnés plus haut. Envoyer des échantillons aux fins de détermination,
demander les moyens de lutte. Enlever les arbres malades, brûler les écorces et
les ramilles, chercher toujours à avoir une forêt saine.
Un certain nombre de brochures traitant des ennemis des
végétaux, de leur biologie et des moyens de lutte ont été publiées par la
Commission d'études des ennemis des arbres, des bois abattus et des bois mis en
œuvre. On s'y reportera utilement. Nous nous proposons d'ailleurs, dans
l'avenir, de parler, dans ces colonnes, des principaux ennemis de nos forêts.
Mais qu'on se mette bien dans la tête que, pour lutter contre les parasites de
la forêt, il n'y a pas de moyens curatifs miraculeux. La lutte contre les
parasites est préventive, on ne le répétera jamais assez.
LE FORESTIER.
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