Accueil  > Années 1950  > N°635 Janvier 1950  > Page 39 Tous droits réservés

Alerte à la forêt

L'homme, qui jouit des produits de la forêt, s'efforce le plus souvent de la maintenir et de l'enrichir, pour en tirer le maximum de profits et, quelquefois même, il crée de nouvelles forêts, par un travail opiniâtre. Hélas ! il est souvent aussi le pire ennemi de la forêt par son insouciance, par sa négligence ou par ses actes criminels.

Les catastrophes récentes dont les Landes de Gascogne ont été le théâtre, les dommages causés par les insectes à la belle forêt vosgienne mettent à l'ordre du jour le problème des responsabilités de l'homme.

Au seuil de cette nouvelle année, il importe de prendre les résolutions qui s'imposent et il faut bien se pénétrer des consignes à appliquer pour sauvegarder les richesses forestières qui nous restent.

On a le droit d'orienter la culture des forêts en vue de la satisfaction des besoins humains. On n'a pas le droit de négliger les soins qu'elle réclame, et encore moins de laisser s'y produire des catastrophes.

La forêt de pin maritime des Landes de Gascogne a été créée entièrement de main d'homme au siècle dernier. Les noms de Chambrelent, de Brémontier sont connus de tous. Beaucoup ont lu le livre intéressant d'Edmond About, Maître Pierre, sur cette question. Un vaste et florissant massif de plus d'un million d'hectares avait fait disparaître les marécages entre la Garonne et les Pyrénées. Les bombardements et les incendies de guerre, les mines, les invasions d'insectes consécutives à des cataclysmes et, en 1949 encore, toujours le feu ont détruit à peu près la moitié de cette forêt. Derrière tout cela, c'est l’homme qu'on trouve, négligent ou criminel.

La vie, sous toutes ses formes, à la surface de la terre est, dans son infinie variété, un harmonieux équilibre, équilibre entre les végétaux et les animaux qu'un rien suffit à rompre. Qu'il y soit, par exemple, tant soit peu mêlé d'artificiel (et c'est bien souvent le cas de la forêt traitée par l'homme pour la satisfaction de ses besoins matériels) et l'équilibre se trouve rompu. Les arbres souffrent, les peuplements dépérissent et la voie est ouverte au déchaînement des cataclysmes.

Nombreuses sont les forêts trop denses, jamais éclaircies, constituées par une seule essence souvent étrangère à la station, et dont les arbres languissants deviennent la proie d'insectes ou de champignons. Nombreux sont les propriétaires, mal renseignés, qui, sur la seule foi de réclames tapageuses, plantent n'importe quelle essence, qui n'est adaptée ni au sol ni au climat, et dont les produits n'auront peut-être pas, dans l'avenir, d'utilisation technique. Dans beaucoup de pays étrangers existent depuis longtemps des forestiers de l'État, chargés de conseiller les propriétaires privés. Ceci existe aussi chez nous. On a parlé dans ces colonnes du Fonds forestier national. Dans chaque département, un officier forestier est chargé des relations avec les propriétaires particuliers. La Station de Recherches forestières de l'École nationale des Eaux et Forêts de Nancy peut donner, à ceux qui s'adressent à elle, des conseils utiles.

Ne pas planter donc sans avoir pris l'avis de personnes compétentes et désintéressées, si on ne veut pas courir à un des nombreux échecs qu'on a enregistrés ces dernières années.

Ensuite il faut veiller à l'état sanitaire des peuplements ainsi créés et épier les moindres signes de souffrance ou de dépérissement.

Les sapins pectinés, introduits en dehors de leur station, sur les versants secs, à des expositions trop chaudes, sont souvent victimes d'un puceron (Dreyfusia Nusslini) qui peut leur causer de graves dommages. C'est le cas, actuellement, sur la partie basse du versant alsacien des Vosges, sur certains versants chauds et découverts, à sol perméable des basses Vosges lorraines, dans les stations basses des pentes des Cévennes, etc. ...

L'épicéa commun, apprécié des planteurs, à cause de sa bonne reprise, de son aptitude à végéter en pleine lumière, de sa croissance rapide, de1'écoulement facile de ses produits, est souvent victime des « bostryches », terme collectif désignant plusieurs espèces d'insectes dont la pullulation amène des situations catastrophiques. C'est le cas aussi, depuis trois ans, dans nos Vosges. L'épicéa, originaire de la haute montagne humide, a en effet été introduit partout en plaine et jusque dans des sols secs qui lui sont très défavorables.

Le Douglas, le pin Weymouth et bien d'autres essences ont aussi leurs parasites, souvent très dangereux. Le planteur a investi d'importants capitaux pour créer un peuplement. Il a vu pendant quelques années ses arbres grandir et son vœu se réaliser. Puis, soudain, tout est emporté.

Pour éviter cela, il faut s'entourer de conseils éclairés avant de planter et, dans les forêts constituées, surveiller soigneusement les peuplements. Au moindre signe de dépérissement, demander conseil aux organismes mentionnés plus haut. Envoyer des échantillons aux fins de détermination, demander les moyens de lutte. Enlever les arbres malades, brûler les écorces et les ramilles, chercher toujours à avoir une forêt saine.

Un certain nombre de brochures traitant des ennemis des végétaux, de leur biologie et des moyens de lutte ont été publiées par la Commission d'études des ennemis des arbres, des bois abattus et des bois mis en œuvre. On s'y reportera utilement. Nous nous proposons d'ailleurs, dans l'avenir, de parler, dans ces colonnes, des principaux ennemis de nos forêts. Mais qu'on se mette bien dans la tête que, pour lutter contre les parasites de la forêt, il n'y a pas de moyens curatifs miraculeux. La lutte contre les parasites est préventive, on ne le répétera jamais assez.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°635 Janvier 1950 Page 39