Peut-on retirer un bénéfice intéressant d'un élevage de
canes pondeuses ? Cette question a été bien souvent posée ; mais,
malheureusement, on y a trop souvent répondu avec partialité, et il était même,
parfois, impossible d'avoir une opinion sérieuse et indépendante, tant les
partisans et les détracteurs de cette forme d'élevage manquaient, pour la
plupart, de compétence et d'information. Voyons donc, en toute objectivité, les
avantages et les inconvénients de cette méthode.
L'œuf de cane n'est guère apprécié de la majorité des
consommateurs français ; opinion erronée, mais tenace. Les canes de la
plupart des fermes pondant des œufs en très petit nombre et n'importe où, on a
trop souvent vu, sur les marchés, des produits souillés et peu frais, parfois
corrompus. Il s'ensuivit une dépréciation très nette de l'œuf de cane, qui dure
encore, et que seule détruira une production saine et régulière, ainsi que
l'éducation de la clientèle, ignorant la valeur nutritive réelle de ces œufs.
En respectant certaines conditions indispensables d'élevage et d'organisation,
on arrive aisément à livrer à la consommation des œufs blancs de très bel
aspect, comme en pondent les canes Khaki-Campbell et Coureur indien ; les éleveurs
s'attacheront à ne vendre que des œufs très frais et très propres, et, ainsi,
la confiance reviendra assez rapidement. Confiance qui sera d'autant plus
légitime que la valeur nutritive de l'œuf de cane n'est pas du tout à négliger,
comme le montre le tableau comparatif ci-dessous (d'après Kœnig).
|
Composition de l'œuf : |
|
de cane. |
de poule. |
Eau |
71,11 |
75,67 |
Proteïnes |
12,34 |
12,55 |
Sels |
1,16 |
1,12 |
Graisses |
15,49 |
12,11 |
Mais l'œuf de cane étant plus lourd (70 à 80 grammes), en
moyenne, que l'œuf de poule (50 à 70 grammes), il en résulte qu'il a une plus
grande valeur nutritive que le second ; les œufs se vendant à la douzaine
et non au poids, cet avantage n'est pas à dédaigner. Et, la cane pondant, la
plupart du temps, plus abondamment que la poule, la ponte annuelle de cette
dernière est donc d'un poids global moins élevé, partant, d'une valeur
nutritive plus faible. Il n'est, en effet, pas rare de relever des moyennes de
200 œufs et plus dans certains parquets de Khaki-Campbell pour la première
année de ponte ; or ce chiffre est plus difficilement atteint et encore
plus irrégulièrement maintenu avec des poules pondeuses.
Il n'est donc pas inexact de dire que la production de la
cane est supérieure à celle de la poule, aussi bien en qualité qu'en quantité.
Mais il s'agit alors de connaître le prix de revient dans chacun des cas pour
voir quelle est la solution la plus économique. Or, le prix de revient des œufs
de cane pouvant varier du simple au double, selon les conditions d'élevage
pratiquées, il s'agit donc, surtout, de considérer comment est organisé cet
élevage.
Les canards sont plutôt des herbivores, contrairement aux
poules, plutôt granivores. L'alimentation herbacée, moins coûteuse que les
grains, pourrait faire conclure trop rapidement que les canes sont d'un
entretien moins dispendieux. En effet, cela n'est exact que lorsque les canes
peuvent être élevées sur de grands espaces, où elles trouvent elles-mêmes les
insectes qui composent ainsi la presque totalité de leur ration. Les Khaki-Campbell
et surtout les Coureurs indiens sont alors d'un rendement intéressant ; et
il suffit de distribuer, chaque soir, un repas d'aliments concentrés azotés.
Mais il n'en est pas de même dans le cas où l'on se voit obligé d'acheter la
totalité des aliments ; le canard est un gros mangeur, et nourrir
complètement des canes pondeuses n'est pas une solution économique ; en
outre, le confinement, raison d'être d'une distribution totale de la nourriture
par l'éleveur, est préjudiciable à leur ponte intensive. Il est alors
préférable, dans ce cas, de rechercher un bénéfice plus certain avec des
poules, qui supporteront plus facilement des parquets de superficie moins
étendue. On compte en effet qu'un hectare est nécessaire à l'entretien
économique et rationnel de 100 à 200 canes, ce dernier chiffre étant une limite
maxima à ne pas dépasser. Donc, à notre avis, pas d'élevage de canes pondeuses,
si l'on ne dispose pas d'un emplacement suffisamment vaste.
Examinons maintenant la question de l'eau ; il a été
démontré que la baignade, sans être indispensable, favorisait la ponte ;
les meilleurs résultats seront donc obtenus par des sujets disposant d'une mare
ou d'un petit cours d'eau ; néanmoins, les canes donnant encore une ponte
abondante sans aller à l'eau, l'absence d'une pièce d'eau n'est pas une raison
suffisante pour que l'on soit arrêté dans l'établissement de son élevage ;
cependant, il faut bien convenir que les canards font une très grande
consommation d'eau de boisson ; nous estimons qu'il est nécessaire de
distribuer, quotidiennement, 70 litres d'eau pour 100 sujets. Il faudra, en
conséquence, tenir compte de la plus ou moins grande difficulté dans laquelle
on se trouve pour satisfaire les canes ; sinon, on s'exposerait, par
imprévoyance, à de très graves ennuis. On remarquera, en même temps, que les
parquets doivent être suffisamment humides et irrigués, pour que leur qualité
permette la pousse abondante d'une herbe nutritive.
Très robustes, très rustiques, les canes ont l'incontestable
avantage de ne pas craindre le froid ; les canardières peuvent être de
construction plus simple que celle des poulaillers ; des cabanes en bois
suffisent ; en outre, l'élevage est grandement facilité par le fait que
les canes sont très vigoureuses et peu sujettes aux maladies aviaires. Mais on
ne doit pas pour cela négliger les préceptes essentiels de l'hygiène : les
canardières seront donc nettoyées chaque jour avec soin ; les excréments
étant assez liquides, le sol serait vite transformé en bourbier si l'on n'y
prenait garde. C'est pour cette même raison, du reste, que les parquets doivent
être vastes, sinon l'herbe serait constamment souillée ; il est même préférable
d'alterner les sorties sur deux parquets successifs, afin de laisser reposer le
terrain et de permettre à l'herbe de repousser. .Cela est par ailleurs assez
aisé et peu coûteux à réaliser, vu le prix peu élevé des clôtures, un grillage
d'un mètre de hauteur suffisant à empêcher toute évasion.
De plus, la main-d'œuvre nécessaire est relativement peu
importante. Par exemple, si l'on pratique le trapnestage, le travail est
simplifié par le fait que les canes pondent avant dix heures du matin ; on
fait donc le contrôle à cette heure, avant d'envoyer les canes dans les
parquets : la vérification de la ponte est, par cette particularité, bien
facilitée. Il est d'ailleurs indispensable de ne pas lâcher les canes avant dix
heures, sinon elles pondront n'importe où, et nombreux seront les œufs perdus,
salis, cassés, puisqu'elles peuvent aussi bien pondre dans l'eau qu'au bord
d'un chemin ou sur un tas de fumier !
Mais, pour obtenir une production constante et
satisfaisante, il est indispensable de ne pas réunir plus de 100 canes par
parquet. Très craintives et s'affolant facilement, les canes, surtout dans la
race Coureur indien, peuvent être prises d'une panique d'autant plus
préjudiciable que le troupeau est plus important ; des rats, des chiens,
des bruits insolites sont susceptibles (surtout s'ils se produisent la nuit) de
provoquer le ralentissement ou l'arrêt de la ponte ; on veillera donc à
écarter toutes les causes de frayeur.
Les canes, étant des pondeuses très précoces, puisqu'elles
peuvent commencer à pondre dès l'âge de cinq mois si elles sont nées en bonne
saison (fin avril-début mai), présentent sur ce point un grand avantage ;
la ponte est la plus abondante à l'époque où les œufs sont d'un prix élevé, en
automne et en hiver. De plus, la mue des canes n'est pas aussi capricieuse et
persistante que celle des poules : la ponte reprend très rapidement sans
que les sujets soient déprimés par la nouvelle pousse des plumes.
Pour terminer, remarquons que la ponte des canes est très
précieuse pour les éleveurs qui veulent produire des canetons précoces ;
des canes Coureurs indiens, accouplées à des mâles Pékins, permettent ainsi de
livrer des canetons succulents et bien en chair, à une période où les cours
sont très intéressants. Mais ce n'est pas le but de cet exposé que de décrire
l'élevage du canard de consommation ; nous avons simplement voulu montrer
les principaux avantages et inconvénients réels de l'élevage des canes
pondeuses, dans le seul but d'examiner si la vente de leurs œufs peut être,
pour l'éleveur, une source de bénéfices certains.
Et l'on constate rapidement que, si les conditions
essentielles sont possibles et respectées (parcours étendu, nourriture économique,
eau en quantité suffisante), il n'y a pas à hésiter : l'élevage des canes
pondeuses sera rémunérateur ; à condition, cependant, que l'éleveur
s'assure des débouchés intéressants et certains. Une fois de plus, il faut
reconnaître que tout aviculteur doit se doubler d'un commerçant : c'est là
une vérité essentielle, primordiale ; ne pas en tenir compte serait aller
au-devant d'un échec indubitable.
E. DE JEANAY-CHALENS.
|