L'importance de la production du ricin est considérable tant
au point de vue national qu'européen. Des études ont été faites pour la culture
de cette plante et l'extraction de son huile, mais celles-ci ont été loin d'être
conformes pour ce qui concerne la végétation, et non suivies pour le raffinage de
l'huile. Il s'est alors produit des erreurs regrettables qui ont amené à
considérer cette culture comme « pauvre ». L'exploitant a toujours
jugé les frais de cette culture au niveau de celles des primeurs, des céréales,
ou de toutes autres productions dites « payantes ». De plus, il a
toujours envisagé cette culture comme devant être annuelle, donc répétition
chaque année de ses coûteuses dépenses culturales. Il a par suite préféré
laisser aux indigènes le soin de produire cette plante. Aussi cette culture est
établie dans presque tous les territoires de l'Union française, d'une manière
décousue, incohérente et disséminée.
Quant à l'huile, pour l'ensemble des profanes, c'est le
symbole de la purge. C'est une grossière erreur de l'opinion publique, car la
proportion de l'huile pharmaceutique n'entre pas pour 5 p. 100 dans l'ensemble
des huiles traitées. Cette légende a joué et joue encore dans le monde des
affaires, neutralisant ainsi tout l'intérêt vraiment sérieux que l'on doit
porter à cette plante. Des essais de culture ont été effectués, mais nullement
dans les conditions requises pour une exploitation rentable, soit que la
plantation se trouvât dans une région subissant les gelées, soit que la fumure
ne convînt pas, soit que l'eau fût trop abondante.
Dernièrement, au Sud marocain, une plantation expérimentale
et une pépinière d'épreuves ont été établies sans irrigation, sans fumure, sans
labour bien entendu, puisqu'il s'agissait de sable de dunes. Dans la pépinière
située en terre légère, le ricin a très bien levé et prospéré. Il est donc
prouvé que le ricin n'est pas une culture pauvre, pas plus que son huile n'est
uniquement à usage purgatif. Le ricin est d'une exploitation parfaitement
rentable et l'huile est avant tout industrielle. Deux erreurs du passé qu'il
faut effacer rapidement, car elles ont coûté déjà au pays des milliards.
Pendant les deux guerres, le manque de cette huile s'est fait sentir et on a
même obligé des colons et des indigènes à cultiver la plante sans même
s'occuper du ramassage des récoltes. Toutes les études théoriques demeureront
précaires si elles ne sont pas suivies d'expériences pratiques. C'est surtout
le cas pour le ricin, vis-à-vis des ingénieurs agronomes et des directeurs
d'agriculture. Sans compter toutes les manœuvres et les rivalités de trusts
huiliers dont il serait trop long ici d'indiquer la nature.
En ce qui concerne la France, il faut savoir que les
importations de cette graine sont annuellement d'environ 20.000 tonnes,
provenant pour la plupart de l'étranger (3/4), dont une partie via Suez. Dans
ces conditions, y a-t-il vraiment intérêt à ce qu'on s'occupe de la culture
intensive de cette plante dans un lieu lui convenant (4.000 kilomètres de
Marseille au lieu de 15.000) et par-dessus tout un territoire français ?
Ce simple exposé suffit amplement pour apporter la réponse qui convient. Quant
à la qualité des graines (Settat en particulier), elles sont supérieures à
celles d'importation. Je crois savoir qu'enfin le gouvernement français étudie
actuellement un projet de grande plantation que je lui ai soumis, au Sud
mauritanien, avec extraction de l'huile sur les lieux de production. L'énergie
de cette usine serait fournie entièrement par les briquettes de tourteaux qui
dégagent 9.000 calories, ce qui doit diminuer d'une façon considérable le prix
de revient de l'huile jusqu'à la faire concurrencer avec succès sur les huiles
minérales de provenance lointaine et étrangère.
Dans ces conditions, il y aura possibilité pour la France de
fournir les huiles industrielles à l'Europe et, par la suite, constituer une
réserve d'acides gras, nécessaires à la reconstitution du pétrole par
fermentation, suivant le procédé du Dr Laigret. Pour la France, qui ne possède
pas de gisements de pétrole importants, cette exploitation serait d'un appoint
considérable pour son économie et sa défense militaire.
Contrairement à certains avis plus ou moins autorisés, et
surtout pour les besoins d'une cause facilement discernable, l'huile de ricin
est un parfait lubrifiant pour tous moteurs. Raffinée comme il conviendrait,
elle pourrait être déviscosée pour empêcher le gommage, qui nécessite un lavage
des moteurs, et extraite à froid pour en faire une huile de moins de 2 p. 100
d'acidité, condition requise pour les moteurs d'aviation, et à plus forte
raison pour les autres moteurs. Les industries employant ou pouvant employer
l'huile de ricin traitée suivant leurs besoins sont : graisses
industrielles, savonneries, teintureries, tanneries, mégisseries, pyrotechnies,
caoutchouc de synthèse, linoléums, matières plastiques, silicones, parfumeries,
isolants, imprimeries (encres) et dernièrement : peintures et vernis, en
place du lin.
En plein rendement à la troisième année, un hectare irrigué
seulement (et obligatoirement) une fois avec adjonction de tourteaux de la
plante comme fumure au-dessous du 30° de latitude nord rendrait, avec ses trois
récoltes annuelles, de 3 à 5 tonnes suivant l'espacement des plants. Quand on sait
qu'actuellement la tonne de graines est cotée à Marseille entre 50 et 56.000
francs, et qu'il faut compter environ 10.000 francs de fret, on comprend alors
facilement que l'opération sera excellente pour le Gouvernement, ou la société
qui s'en occupera, et encore bien meilleure si l'extraction de l'huile a lieu
sur place.
Il paraît évident que, sans les erreurs passées, la plante
de ricin devrait déjà tenir une place beaucoup plus importante dans les
productions d'oléagineux et que, dans un proche avenir, elle la tiendra
d'autant mieux par les nouvelles utilisations de son huile.
Le palmier du Christ, comme le dénommaient les Anciens (Palma
Christi), sera bientôt le palmier de l'industrie et du progrès.
A. E. V. R. GERONIMI DE SAINT-PÈRE.
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