La terrible catastrophe de l'avion « Constellation »
Paris-New-York a ému l'opinion publique. Le profane s'habitue aisément à
considérer comme « toutes naturelles » ces réussites renouvelées :
la traversée de l'Atlantique ou du Pacifique, de nuit, dans la brume, grâce au
réseau invisible des ondes-guides ... Comment fonctionnent-elles, ces
ondes du beacon et du range, dont les défaillances, il faut bien
le dire, sont rarissimes ?
Les radiophares.
— Quand la police cherche à dépister un poste émetteur
clandestin, elle utilise des cadres récepteurs orientables, ou un
dispositif équivalent. Au moment où la réception du son est à son intensité
maxima, la position du cadre indique la direction de la station émettrice.
En opérant de deux postes détecteurs différents, on peut
tracer sur la carte deux lignes droites, qui se recoupent exactement sur
l'emplacement de la station cherchée.
Imaginez maintenant un de ces radiophares, qui
correspondent à peu près au « beacon » de la technique américaine.
C'est un simple émetteur, envoyant continuellement des ondes dans toutes les
directions ; cet émetteur sera repéré par les pilotes des avions,
exactement comme un phare « optique » ordinaire. S'il existe deux
radiophares, la mesure de l'angle des deux directions suffira pour indiquer au
pilote qu'il se trouve sur un certain arc de cercle passant par les deux
radiophares. S'il y en a trois, l'avion se trouvera au point d'intersection des
cercles.
Naturellement, ce système a été perfectionné. Les Anglais
affectionnent un système « hyperbolique », utilisant deux radiophares
parfaitement synchronisés, émettant sur la même longueur d'onde. Suivant le
point où l'avion se trouve, ses appareils récepteurs captent des ondes
simultanées, arrivant des deux radiophares, mais plus ou moins retardées l'une
sur l'autre parce qu'elles ont parcouru des chemins inégaux. L'avion se situe
sur une certaine hyperbole ayant les deux radiophares pour foyers.
Malheureusement l'application est compliquée, elle exige le
report des indications des cadrans radio-électriques sur des cartes à
quadrillage hyperbolique ; en outre, elle ne s'applique pas au pilotage
automatique.
Réception panoramique.
— Un système relativement récent consiste à employer un
radiophare à faisceau tournant d'ondes, la longueur d'onde variant
automatiquement suivant la direction du faisceau. Autrement dit, cette longueur
d'onde varie suivant l'angle que fait le faisceau tournant avec la ligne
nord-sud.
Sur les cadrans récepteurs de l'avion, la réception du faisceau
se traduit par deux indications ; direction du radio-phare par rapport à
l'avion et angle que fait cette direction avec la ligne nord-sud. Ces
indications apparaissent sur un écran lumineux et sont accessoirement répétées
par un haut-parleur.
Ce dispositif convient également au radio-balisage des
pistes d'aérodromes, pour l'atterrissage sans visibilité, ainsi qu'à la mesure
directe de l'altitude par le personnel de l'avion. On envisage même de
l'appliquer au contrôle continu de la circulation des trains ; la
locomotive porterait une antenne, émettant des ondes dont la longueur varierait
régulièrement au fur et à mesure de l'avancement kilométrique du train ; un
dispatcher, installé à poste fixe et recevant les diverses émissions,
saurait ainsi à chaque instant, sans ambiguïté possible, le point où se
trouvent les différents convois.
Pourquoi le « Constellation » a-t-il manqué le chenal Invisible ?
— Les précédents systèmes, de conception « européenne »,
s'appliquent à des surfaces géographiques ; ils laissent toute
liberté aux navigateurs aériens de se déplacer à leur gré au-dessus d'une
certaine région.
La conception américaine, plus rigide, comporte de
véritables couloirs aériens, les « axes » ou « ranges »,
dont les pilotes ne doivent pas s'écarter.
Ceci est réalisé de façon relativement simple, en se basant
sur le principe des entre-croisements d'ondes. Les émetteurs de ranges créent
dans l'espace un plan vertical fictif tel que, si le pilote vole trop à droite
(par exemple) du plan, il entendra une série de « points » Morse,
tandis que, s'il vole trop à gauche, il entendra des « traits ».
Quand l'avion suit exactement le plan du « range », on entend un son
continu.
Ce range existe aux Açores. Celui que devait suivre le « Constellation »
est fourni par les émetteurs de Santa-Maria et il est orienté sur San-Miguel.
Le radio de bord est tout d'abord guidé par le « beacon » installé
sur un petit terrain militaire de San-Miguel et vient ainsi rencontrer le « range »,
qu'il doit suivre jusqu'à l'aéroport de Santa-Maria ... Saurons-nous
jamais par quelle défaillance des hommes ou des ondes l'avion géant, manquant
le range sauveur, oublieux des indications du radar d'altitude et des
altimètres, est allé s'écraser misérablement, à basse altitude — comme une palombe
prise au filet — sur les pentes désertes du Monte Redonto ?
Pierre DEVAUX.
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