Il est possible que, lorsque paraîtront ces lignes, la
première liaison Europe-Amérique par un appareil commercial à réaction soit
réalisée ...
En effet, après les vols sensationnels du « Comet »
du constructeur anglais De Havilland, l'on prêtait à ce dernier
l'intention de faire tenter à son avion commercial à réaction la liaison Londres-New-York
avec escale aux Açores.
Il n'est pas inutile de revenir quelques mois en arrière ...
Le 25 octobre 1949, les Français, intrigués, apercevaient, à deux reprises
différentes, une mystérieuse traînée blanche se développant très haut dans leur
ciel clair à une vitesse vertigineuse. Le lendemain, ils réalisaient qu'ils
avaient aperçu non point un engin mystérieux, mais le fameux appareil commercial
à réaction pour trente passagers « Comet » alors qu'il effectuait les
vols Londres-Tripoli et Tripoli-Londres à la moyenne commerciale stupéfiante de
760 kilomètres-heure.
Ces vols, spectaculaires s'il en fut, firent l'effet d'une
douche glacée sur les techniciens du monde entier, principalement sur les
Américains, qui avaient acquis une suprématie totale avec leurs « Constellations »
ou leurs « Strato-Cruisers » équipant les lignes transatlantiques du
monde entier.
Opinion américaine.
— Néanmoins, au cours d'une retentissante déclaration,
l'ingénieur en chef d'une des plus puissantes firmes de constructions
aéronautiques américaines tint à préciser que l'avenir de l'avion commercial à
réaction n'était pas pour l'immédiat. Il prétendit et exposa qu'il n'y avait
aucune économie justifiée en remplaçant sur les lignes un appareil à moteurs à
pistons volant à 400 kilomètres à l'heure, par un avion à réacteur volant à 800
kilomètres à l'heure ...
Il n'insista point sur le gain de temps réalisé ainsi et sur
le confort inégalé qu'offre déjà l'avion commercial à réaction : diminution
du bruit perçu dans les cabines et absence totale des vibrations.
Opinion anglaise.
— Les Anglais ne semblent guère s'être laissé démonter
par ces affirmations. De Havilland et son équipe d'ingénieurs comptent au
contraire sur l'avance considérable qu'ils ont prise dans le domaine de la
propulsion par réaction pour démanteler la suprématie aérienne actuelle des
constructeurs américains.
Il est fort probable qu'ils y parviendront, tout au moins en
partie ; il n'est besoin pour s'en rendre compte que de juger les
résultats qu'ils ont obtenus depuis 1943. À cette époque, et jusqu'à la fin des
hostilités, leurs premiers chasseurs à réaction, qui firent des ravages
terribles parmi la flotte aérienne allemande, étaient équipés de réacteurs
consommant une quantité effroyable de carburant. Leur autonomie de vol était
ainsi limitée à une quarantaine de minutes et leur rayon d'action à quelque 500
kilomètres.
Aujourd'hui, le « Comet », pour trente passagers,
avec ses quatre réacteurs, a une autonomie de vol de plus de quatre heures. Ces
quelques chiffres situent bien les résultats sensationnels obtenus par les
Anglais dans le problème de la consommation, problème qui conditionne tous les
autres. Lentement, mais sûrement, le handicap primitif du réacteur sur le
moteur à pistons disparaît. Tandis que son rendement en poussée s'accroît
encore, les avionneurs réalisent eux aussi des cellules se comportant
admirablement bien aux vitesses subsoniques ou supersoniques.
Le fameux « mur sonique », qui fit couler beaucoup
d'encre l'an dernier, semble bien près d'entrer dans la légende.
Une solution de compromis.
— Ainsi donc, deux thèses s'affrontent actuellement,
l'américaine et l'anglaise. Il est fort probable, uniquement pour des raisons
d'économies, afin d'amortir le matériel acheté, que nous verrons encore,
pendant deux ans, la majeure partie des avions commerciaux équipés de moteurs à
pistons. Après cette période, il est logique de penser que la construction en
série des avions commerciaux à réaction sera mise au point et que le règne de
la propulsion par réaction sera définitivement ouvert.
Cependant, déjà, les responsables des lignes aériennes
s'orientent sur une solution transitoire en équipant leurs avions commerciaux
de turbo-propulseurs. Les moteurs classiques à pistons sont démontés et
remplacés par les turbines à hélices, sans modification essentielle de la
structure de l'avion.
Des essais ont été effectués sur des appareils Douglas D. C.
3. Ces appareils, qui ne répondaient plus aux nouvelles conditions de vol
établies par l'O. A. C. I., seront autorisés à voler à nouveau
grâce aux qualités qu'ils acquirent en subissant la transformation. D'autre
part, la firme Lockheed préconise l'adaptation de moteurs « Compound »
sur les « Constellations » de conception ancienne.
En France.
— Il est permis d'espérer que la France ne restera pas
indifférente à la compétition qui déjà est ouverte. Un projet d'avion
commercial à réaction a été récemment soumis aux services officiels français
par les ingénieurs de la S. N. C. A. S. O. ; il
est très séduisant.
C'est le S. O. 5100; il a été conçu par les
responsables de nos meilleurs avions d'interception à réaction actuels ; l'« Espadon »
et le « Triton ». Souhaitons que bientôt les responsables de notre
aviation leur donnent l'ordre et les crédits nécessaires pour le réaliser
rapidement.
Maurice DESSAGNE.
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