Le perdreau gris, beaucoup plus que le rouge, a été durement
éprouvé dans les années qui ont suivi la guerre.
En dehors de causes désormais classiques (traitements antiparasitaires,
braconnage, modification de l'habitat de la perdrix par les progrès du
machinisme agricole), causes qui n'ont que des effets très subsidiaires, il ne
paraît plus possible de mettre en doute que cet amenuisement rapide (et
certainement provisoire) de l'espèce depuis la Libération est surtout dû à une
épidémie de peste aviaire, épizootie spécifique des gallinacés, à laquelle la
variété grise du perdreau est particulièrement sensible.
Si, en 1949, le mal apparaît partout en régression, si le
perdreau a été dans beaucoup de régions plus abondant, il convenait peut-être
d'aider une nature moins ingrate et de chercher à réinstaller le perdreau gris
dans des terroirs d'où il avait complètement disparu. Il fallait pour cela des
géniteurs ; or on ne pouvait compter sur l'appoint des perdreaux de
l'Europe centrale, qui eux aussi sont atteints du même mal et à l'endroit
desquels, de ce fait, toute importation est interdite.
Dans ce but, le Conseil supérieur de la chasse a pu, au
début de l'année 1949, se rendre locataire du droit de chasse sur un territoire
de près de 5.000 hectares situé en pleine Beauce, dans cette riche plaine où se
sont déroulées, au cours des temps, les plus belles battues de perdreaux.
Les résultats des couvaisons, aidés par un sauvetage
judicieux d'œufs de perdreaux trouvés à la fauchaison, furent suffisamment bons
pour que des reprises soient envisagées dès l'automne 1950.
Ces reprises, copiées sur celles pratiquées par les importateurs
français en Hongrie et en Tchécoslovaquie, eurent lieu en octobre et novembre.
Pratiquées pour la première fois en France, elles furent dirigées par M. Béjot,
président de la Commission de repeuplement du Conseil supérieur de la chasse et
directeur de la Réserve, par M. Martin, l’éleveur bien connu, qui apporta
à l'opération tout le matériel de reprise et sa magnifique expérience, et par
M. Degarne, garde-chef de la Réserve. Elles eurent un plein succès.
Ce sont ces opérations que nous voulons décrire ici :
Matériel de reprise.
— Il est constitué :
-
D'une part, par un immense filet de 650 mètres de
longueur et de 8m,50 de largeur, qui pour la commodité de son emploi est
enroulé sur une bobine de 3 mètres de diamètre.
Le filet lui-même a pour caractéristiques : fil de 8 de
couleur naturelle, maille de 5 centimètres.
-
D'autre part, par des perches de 7m,50 de hauteur,
dont les extrémités sont à section droite et des haubans destinés à maintenir
les filets en place.
-
Enfin, par des caisses destinées à recevoir les
oiseaux après la capture. Leurs dimensions pour dix oiseaux sont les suivantes :
0m,50 x 0m,50 x 0m,20. Une cloison médiane permet la séparation des mâles
et des femelles.
Mise en place du matériel de reprise.
— Aussi spectaculaire qu'elle paraisse, elle est assez
simple.
Le filet est déroulé sur le terrain, dans des conditions
certaines de facilité, à l'aide d'un tracteur sur lequel est fixé la bobine.
Puis le cordeau supérieur des filets est attaché à
l'extrémité de chacune des perches qui sont alors placées à 50 mètres les unes
des autres.
La mise en place des perches s'effectue alors de proche en proche,
en commençant par une extrémité. Elles sont maintenues en équilibre par la
traction longitudinale qu’exerce le filet lui-même entre ses différents
supports et par une traction perpendiculaire réalisée par les haubans.
Le filet placé sur toute la longueur, il importe alors
d'aménager la poche de capture des oiseaux. À cet effet, le cordeau inférieur
du filet est relevé et fixé sur des piquets d'une hauteur de 1m,50 environ. La
poche est de toute évidence, créée du côté, de l'arrivée des oiseaux.
La durée de ce travail préparatoire n'excède pas trois
heures avec dix hommes assez exercés.
Opérations de reprise proprement dites.
— Le choix de la ligne, sur laquelle doit être placée
la nappe de filets, nécessite une connaissance parfaite du terrain.
En Beauce, plus peut-être que partout ailleurs, les couloirs
de perdreaux sont nombreux et les ignorer serait une méprise grave.
L'emplacement des remises, qui joue un rôle si attractif
pour le perdreau, ne peut être davantage méconnu.
Les chances les meilleures sont réalisées lorsque, sur un
couloir, on peut placer la ligne des panneaux à une centaine de mètres derrière
une remise.
La remise doit constituer un lieu de concentration des
oiseaux pour que dans l'avance ultime de la ligne de rabat ils puissent être poussés
sur les panneaux dans les meilleures conditions d'efficacité.
Tel est le secret de la réussite en cette matière ; il
est bien connu de tous ceux qui ont à diriger des battues, auxquels le choix
des lignes d'affût pose des problèmes souvent identiques.
Le rabat des perdreaux sur les panneaux est une opération
toujours d'envergure. La pose des panneaux est suffisamment onéreuse pour qu'on
s'efforce de faire couvrir à l'opération la plus grande étendue possible.
En la matière, on n'hésite pas à prendre de beaucoup plus
loin que pour une battue ; les compagnies prises ainsi de trop loin
forcent toujours en partie la ligne des rabatteurs, mais il en est toujours
quelques-unes qui, peut-être grâce au pouvoir attractif des couloirs, se
laissent assez docilement conduire sur près de 1.000 ou de 1.500 mètres.
À Artenay, car tel est le nom du terroir sur lequel ont eu lieu
ces opérations de grand style, c'est à une distance dé 2.000 ou de 2:500 mètres
des panneaux qu'était fixe le lieu de départ du rabat.
Rien de particulier à dire sur la conduite du rabat, que
connaissent les initiés des battues de perdreaux :
— ligne de rabat en fer à cheval ;
— aile plus ou moins avancée, selon la direction du
vent ;
— articulation souple des groupes de rabatteurs
permettant leur avance plus ou moins rapide selon les incidents de battue.
Il en est tout autrement de la capture des oiseaux dans les filets,
qui constitue l'un des plus beaux spectacles qui soit dans le monde de la cynégétique
moderne.
Que les perdrix se présentent sur l'un des panneaux après un
vol long, ou enfin qu'elles soient en compagnie ou isolées, on les voit ignorer
ou mépriser la présence des filets au point que ce n'est que très exceptionnellement
qu’elles modifient leur trajectoire, pour chercher à éviter l'obstacle. Il est
vraisemblable que la vision, chez ces oiseaux, au contraire des palmipèdes en
particulier, n'est pas aussi parfaite que quelques auteurs se sont plu à l'écrire.
Elles se jettent littéralement dans les panneaux comme des balles ; en
raison de leur force vive qui peut varier avec le vent entre 7 kilogrammes-mètre
et 1 kilogramme-mètre, tantôt elles passent à travers le filet, (ce qui ne se
produit que par vent très violent et qui, par conséquent, implique de proscrire
les reprises) ; tantôt elles sont renvoyées avec force en dehors du filet,
tantôt enfin, leur vitesse étant plus faible, elles tombent dans la poche que
forme le filet à sa base. Elles se débattent alors pendant quelques instants,
puis, très tôt, leurs pattes, leurs ailes ou leur tête étant prises dans les
mailles, elles s’immobilisent.
Celles qui sont rejetées en dehors du filet reprennent leurs
sens assez rapidement et, d’elles-mêmes ou poussées par les rabatteurs, vont se
jeter à nouveau dans les panneaux ; en raison de leur faible vitesse,
elles sont sans grande défense et la poche du filet est bientôt leur prison toute
provisoire.
Résultats des reprises.
— Trois journées de reprises ont permis de reprendre
504 perdreaux, dont 280 coqs et 224 poules.
Ces chiffres consacrent une fois de plus la prédominance des
males qui, dans une compagnie normale, est toujours en faveur de ces derniers.
Ces perdrix (à égalité de sexe comme il se doit) vont être lâchées
dans les Réserves des fédérations départementales de chasseurs. Leur nombre
sera encore très insuffisant pour satisfaire aux demandes.
Quant aux coqs en excès, ils sont réservés aux Centres de
sauvetage de perdreaux, où leurs facultés d’adoption leur permettront de jouer
un rôle utile et nécessaire dans la conduite des jeunes compagnies sauvées du néant
par l’industrie humaine.
F. VIDRON.
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