Savoir tendre un piège n'est pas savoir piéger. La
connaissance parfaite des carnivores nuisibles est absolument indispensable
pour obtenir de bons résultats. Cette connaissance des animaux comprend tout ce
qui touche à leur existence, leurs habitudes et leurs réactions. Il est des
généralités élémentaires à connaître que tout bon piégeur doit posséder, ce
sont celles qui ont trait aux sens des animaux. Ce sont en effet les sens des
animaux qui commandent leurs réactions. Nous allons les examiner
successivement, afin d'éviter certaines erreurs grossières.
Pour les carnivores susceptibles d'être piégés, les trois
sens les plus importants sont incontestablement : l'odorat, l'ouïe et la
vue. Viennent ensuite le goût et le toucher.
L'odorat.
— L'odorat est d'autant plus développé que la surface
interne des muqueuses nasales est étendue. Les animaux à nez pointu (loup,
chacal, renard, blaireau) sont mieux partagés que ceux à face ronde (chat,
lynx). Ils éventeront donc plus facilement les pièges que les autres. Entre ces
deux catégories, se placent les mustélidés (martre, fouine, putois, hermine,
belette). Certains carnivores chassent comme le fait un pointer, éventant leurs
proies. D'autres suivent leurs victimes à la piste, comme un chien courant
collé à la voie. Le renard évente aussi bien qu'il suit à la voie. L'hermine,
le putois, la belette suivent à la piste. La fouine et la martre aussi.
Le renard chassera donc de préférence contre le vent, ceci
lui offre le double avantage d'éventer sa proie sans que cette dernière l'évente
lui-même dans son approche. Pour les carnivores qui suivent à la piste, les
odeurs et les traînées donneront de bons résultats ; pour les autres,
mieux vaudra préférer une odeur concentrée en un point fixe (charnier).
L'ouïe.
— L'oreille de tous les carnassiers offre un large
pavillon, propice à la réception des moindres sons. Elle est, de plus,
excessivement mobile.
Un renard perçoit le cri d'un mulot à 50 mètres par temps
calme, et celui d'un lapin, à 200 mètres.
Par vent, les carnassiers, qui savent que leurs proies ont
une ouïe aussi développée que la leur, chassent à contrevent pour ne pas
dévoiler leur approche et, au contraire, percevoir eux-mêmes le maximum de sons.
C'est ce besoin d'approche silencieuse qui les pousse vers les sentiers à
fauves et les coulées propres. Ces sentiers leur évitent de se mouiller, leur permettent
de fuir ou d'approcher rapidement sans le moindre bruit.
L'ouïe leur permet aussi de déceler une proie, soit
directement par le bruit qu'elle peut faire, soit indirectement par les cris
d'autres animaux (pies, geais, corbeaux) qui l'observent en criant. Cette
réaction est mise à profit pour attirer le renard au moyen de la pipée.
Vue.
— Ce sens paraît d'autant plus développé que celui de
l'odorat est diminué. Tous les carnassiers ont bonne vue en général, à des
degrés différents cependant. Pour le chat, le lynx, à odorat déficient, il
faudra leur offrir un appât bien visible, mobile au besoin, éclairé au
maximum et de couleur blanche ou rouge tranchant nettement sur le fond du
décor. Le mimétisme est la propriété de pouvoir se dissimuler sur le terrain, le
camouflage est un mimétisme artificiel.
L'immobilité en est la première forme ; le coloris
identique au fond en est la seconde, et l'attitude rappelant la forme
des objets environnants en est la troisième. Le piégeur cherchera donc à créer
des contrastes opposés aux trois conditions de mimétisme. Une pie pendue offre le
coloris blanc du ventre pour les fonds sombres, le noir du dos pour les fonds
clairs, le mouvement créé par le vent qui la fait balancer.
Tous les carnassiers savent merveilleusement exploiter le
terrain, cherchant à voir sans être vus.
Goût.
— II ne joue que dans le choix de la nourriture et,
pour le piégeur, dans la connaissance des appâts à offrir (vivants, frais ou
faisandés). Par temps de famine prolongée, les carnassiers émigrent ou
modifient leur régime ; certains, ne donnant qu'aux proies fraîches, se
rabattent sur les charognes. De plus, certains animaux ont des goûts
particuliers.
Enfin la région joue un rôle sur le goût des animaux. Tel
renard du bord de la mer donnera facilement au poisson, alors qu'un autre
vivant dans un gros massif forestier y donnera avec beaucoup plus de réticences.
Toucher.
— Pour les carnassiers, le toucher est assuré non
seulement par les terminaisons intradermiques des pattes, peu sensibles du
reste, mais surtout par les poils tactiles formant une auréole au-dessus des
yeux et autour du museau. Ces poils sont autant d'antennes réceptrices qui
garantissent la tête des obstacles.
Pour certains carnassiers qui affûtent ou chassent dans
l'obscurité, ces poils signalent le passage de la proie ou sa présence (putois,
chat, loutre). Le museau est également un organe de toucher très sensible. Au
point de vue piégeage, ce sens joue peu de rôle.
En résumé, on peut admettre que tous les sens se complètent ;
c'est tantôt la vue qui alerte l'animal et le fait immédiatement concentrer son
ouïe et son odorat vers le point suspect, ou, inversement, c'est l'ouïe ou
l'odorat qui sont les premiers avertis. Bien souvent, la curiosité fait le
reste et provoque l'approche, à moins que la peur ne l'emporte, d'où fuite
éperdue.
Dans un prochain article, nous verrons le rôle des sens chez
les rapaces.
A. CHAIGNEAU.
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