Accueil  > Années 1950  > N°636 Février 1950  > Page 76 Tous droits réservés

Le piégeage et les sens des bêtes fauves

Savoir tendre un piège n'est pas savoir piéger. La connaissance parfaite des carnivores nuisibles est absolument indispensable pour obtenir de bons résultats. Cette connaissance des animaux comprend tout ce qui touche à leur existence, leurs habitudes et leurs réactions. Il est des généralités élémentaires à connaître que tout bon piégeur doit posséder, ce sont celles qui ont trait aux sens des animaux. Ce sont en effet les sens des animaux qui commandent leurs réactions. Nous allons les examiner successivement, afin d'éviter certaines erreurs grossières.

Pour les carnivores susceptibles d'être piégés, les trois sens les plus importants sont incontestablement : l'odorat, l'ouïe et la vue. Viennent ensuite le goût et le toucher.

L'odorat.

— L'odorat est d'autant plus développé que la surface interne des muqueuses nasales est étendue. Les animaux à nez pointu (loup, chacal, renard, blaireau) sont mieux partagés que ceux à face ronde (chat, lynx). Ils éventeront donc plus facilement les pièges que les autres. Entre ces deux catégories, se placent les mustélidés (martre, fouine, putois, hermine, belette). Certains carnivores chassent comme le fait un pointer, éventant leurs proies. D'autres suivent leurs victimes à la piste, comme un chien courant collé à la voie. Le renard évente aussi bien qu'il suit à la voie. L'hermine, le putois, la belette suivent à la piste. La fouine et la martre aussi.

Le renard chassera donc de préférence contre le vent, ceci lui offre le double avantage d'éventer sa proie sans que cette dernière l'évente lui-même dans son approche. Pour les carnivores qui suivent à la piste, les odeurs et les traînées donneront de bons résultats ; pour les autres, mieux vaudra préférer une odeur concentrée en un point fixe (charnier).

L'ouïe.

— L'oreille de tous les carnassiers offre un large pavillon, propice à la réception des moindres sons. Elle est, de plus, excessivement mobile.

Un renard perçoit le cri d'un mulot à 50 mètres par temps calme, et celui d'un lapin, à 200 mètres.

Par vent, les carnassiers, qui savent que leurs proies ont une ouïe aussi développée que la leur, chassent à contrevent pour ne pas dévoiler leur approche et, au contraire, percevoir eux-mêmes le maximum de sons. C'est ce besoin d'approche silencieuse qui les pousse vers les sentiers à fauves et les coulées propres. Ces sentiers leur évitent de se mouiller, leur permettent de fuir ou d'approcher rapidement sans le moindre bruit.

L'ouïe leur permet aussi de déceler une proie, soit directement par le bruit qu'elle peut faire, soit indirectement par les cris d'autres animaux (pies, geais, corbeaux) qui l'observent en criant. Cette réaction est mise à profit pour attirer le renard au moyen de la pipée.

Vue.

— Ce sens paraît d'autant plus développé que celui de l'odorat est diminué. Tous les carnassiers ont bonne vue en général, à des degrés différents cependant. Pour le chat, le lynx, à odorat déficient, il faudra leur offrir un appât bien visible, mobile au besoin, éclairé au maximum et de couleur blanche ou rouge tranchant nettement sur le fond du décor. Le mimétisme est la propriété de pouvoir se dissimuler sur le terrain, le camouflage est un mimétisme artificiel.

L'immobilité en est la première forme ; le coloris identique au fond en est la seconde, et l'attitude rappelant la forme des objets environnants en est la troisième. Le piégeur cherchera donc à créer des contrastes opposés aux trois conditions de mimétisme. Une pie pendue offre le coloris blanc du ventre pour les fonds sombres, le noir du dos pour les fonds clairs, le mouvement créé par le vent qui la fait balancer.

Tous les carnassiers savent merveilleusement exploiter le terrain, cherchant à voir sans être vus.

Goût.

— II ne joue que dans le choix de la nourriture et, pour le piégeur, dans la connaissance des appâts à offrir (vivants, frais ou faisandés). Par temps de famine prolongée, les carnassiers émigrent ou modifient leur régime ; certains, ne donnant qu'aux proies fraîches, se rabattent sur les charognes. De plus, certains animaux ont des goûts particuliers.

Enfin la région joue un rôle sur le goût des animaux. Tel renard du bord de la mer donnera facilement au poisson, alors qu'un autre vivant dans un gros massif forestier y donnera avec beaucoup plus de réticences.

Toucher.

— Pour les carnassiers, le toucher est assuré non seulement par les terminaisons intradermiques des pattes, peu sensibles du reste, mais surtout par les poils tactiles formant une auréole au-dessus des yeux et autour du museau. Ces poils sont autant d'antennes réceptrices qui garantissent la tête des obstacles.

Pour certains carnassiers qui affûtent ou chassent dans l'obscurité, ces poils signalent le passage de la proie ou sa présence (putois, chat, loutre). Le museau est également un organe de toucher très sensible. Au point de vue piégeage, ce sens joue peu de rôle.

En résumé, on peut admettre que tous les sens se complètent ; c'est tantôt la vue qui alerte l'animal et le fait immédiatement concentrer son ouïe et son odorat vers le point suspect, ou, inversement, c'est l'ouïe ou l'odorat qui sont les premiers avertis. Bien souvent, la curiosité fait le reste et provoque l'approche, à moins que la peur ne l'emporte, d'où fuite éperdue.

Dans un prochain article, nous verrons le rôle des sens chez les rapaces.

A. CHAIGNEAU.

Le Chasseur Français N°636 Février 1950 Page 76