S'il est un engin populaire parmi les pêcheurs au lancer,
c'est bien la cuiller. Ce bizarre petit leurre, dont la rotation, quelle que soit
sa forme, s'explique malaisément, exerce sur les poissons carnassiers une
attirance particulière, je dirai même irrésistible.
On ne peut cependant pas dire que c'est sa forme qui lui
vaut ce pouvoir magique, car, s'il existe certains modèles dont l'allure peut,
à la rigueur, rappeler celle d'un petit poison, il en est d'autres dont la
bizarrerie ne trouve de justification que dans l'esprit inventif du fabricant.
L'essentiel est que « ça » vibre.
Vous n'ignorer certes pas que, si la vue joue un rôle dans
le réflexe d'attaque du vorace, les vibrations reçues sur la ligne latérale
(aboutissant des centres nerveux) l'influencent bien davantage.
Certes, en donnant à l'appât la forme générique d'un petit
poisson, on ne peut qu'augmenter son pouvoir d'attraction ; il faut donc
rechercher une cuiller dont les pulsations soient aussi fortes que possible, sous
un volume réduit, et dont l'allure soit rationnelle.
Celles qui papillonnent, c'est-à-dire dont la palette
s'écarte de la tige axiale en tournant, sont à proscrire dès qu'on abandonne les
modèles minuscules destinés à la truite et à la petite perche. Avec les gros
modèles, on sent bien les vibrations à la main, mais leur attirance n'est plus
aussi efficace.
Le grappin (ou l'hameçon simple, qui est préférable) ne doit
pas être monté de façon rigide : une articulation lui donnera une grande
liberté, palliatif certain du décrochage. Mais il abuse parfois de cette
liberté pour accrocher sur le bas de ligne. J'ai d'ailleurs expliqué ce
bouclage dans une précédente causerie et je n'y reviendrai pas.
Une construction soignée est toujours à recommander.
On accuse la cuiller de donner des ratés au ferrage, défaut
qui, avec le décrochage dans les modèles rigides, a suffi à éloigner de son
emploi certains pêcheurs peu observateurs.
Or rechercher les causes d'un ennui quelconque, aussi bien
dans le domaine halieutique que dans tout autre, est, bien souvent, en trouver
le remède. Et c'est ainsi que j’ai pu améliorer mes cuillers d'une façon
indiscutable. Plus de bouclages au lancer, ferrage certain, décrochage fortement
réduit. Les confrères spécialistes du gros poisson qui ont employé cet engin m’en
ont affirmé l'efficacité.
Voici donc ce qu'il est possible d'établir pour une cuiller
à brochet, étant bien entendu qu'un pêcheur quelque peu minutieux peut aussi
monter de tout petits modèles pour truites, perches et chevesnes.
La tige centrale (l'axe) de la cuiller, sur laquelle est
enfilée la palette, sera terminée à une extrémité par une boucle à la hauteur
du bord extrême de ladite palette.
On attachera à cette boucle — ou on soudera — un
fil d'acier, fin et souple, de 10 centimètres de longueur environ ; puis
on l'introduira dans un morceau de tube de caoutchouc (vaporisateur), et enfin
on y fixera le grappin (fig. 1).
Pour armer l'engin, on enroulera cette soie d'acier autour
de la boucle et on arrêtera les spires ainsi formées en les enfermant sous le
tube de caoutchouc (fig. 2).
Le tout est maintenu suffisamment pour ne pas se déplacer
pendant le lancer, mais sous l'attaque le fil d'acier va se dérouler, puis,
brusquement, le grappin sera stoppé, d'où ferrage sec et, pourrions-nous dire,
automatique.
C'est le mécanisme du ferrage à la pêche à la plombée,
laquelle bute sur le plomb d'arrêt fixé au-dessus d'elle.
Le brochet est donc ferré ; ses mâchoires redoutables
ne peuvent plus prendre de point d'appui sur la palette pour se décrocher par
le mouvement de bascule bien connu des initiés.
Il se débat en vain, et la cuiller suit ses évolutions très
aisément. En pratique, je ne vois que des avantages à un tel agencement.
Pour les amateurs du fameux pompon rouge, il n'y a aucun
inconvénient à le supprimer, bien que, dit-on, il suscite l'attaque à l'endroit
où il est fixé.
En tout cas, j'ai pris des quantités de brochets sans cet
ornement empourpré, et aussi avec lui. Donc, choisissez, mais attention !
l'hameçon rouille sous les spires de laine, et, ma foi, si vous tombez sur un
gros bec de 10 à 15 livres, il pourrait bien y avoir de la casse.
Un autre avantage à signaler : plus n'est besoin
d'avoir un bas de ligne en acier, puisque la denture du vorace est éloignée, à
cause du fil qui tient le grappin ; et ceci est à considérer, les pêcheurs
peu soigneux ne prenant pas garde aux plis ou coudes qui peuvent se trouver sur
leur long fil d'acier du bas de ligne, ce qui détermine très sûrement une
rupture à la première bagarre et même au premier lancer un peu nerveux.
Tout cela est bien beau, mais faut-il qu'il y ait du
brochet, et maints confrères, pêcheurs sportifs ou au vif, ont, comme moi,
constaté que les ésocidés, de même d'ailleurs que les salmonidés, sont en
régression, et même en voie de disparition, dans les eaux du domaine public.
Pour quelles raisons : d'abord, parce que leur période
de frai — pour les ésocidés — n'est pas en période de fermeture, puis
qu'on a jeté contre eux un anathème injustifié.
Cette fameuse légende, voulant qu'un brochet mange son poids
de poisson par jour est une énorme stupidité issue d'un cerveau, peut-être
savant, mais qui ne connaissait ni la pêche, ni même le brochet.
Réfléchissons : cinq brochets de 10 livres seulement
dans un étang — ce qui est peu — détruiraient donc 9.125 kilogrammes
de poissons en un an. Quelle galéjade !
Quand le brochet mange un poisson de 100 grammes, il mettra
longtemps à le digérer, avant d'en avaler un autre.
D'ailleurs, en hiver, il jeûne, obligatoirement peut-être, mais
c'est certain.
Autrefois, il y avait beaucoup de brochets, et beaucoup de poissons
de friture aussi, car le vorace s'attaque principalement aux malades, aux
déficients, qui sont des proies plus faciles à capturer. Il opère, à son insu,
une sélection naturelle et permet aux poissons robustes de mieux vivre et de
proliférer utilement.
Qu'on ne fasse plus du brochet l'ennemi n° 1, l'ogre
aquatique responsable du dépeuplement. Le poisson-chat, la perche-soleil, le hotu
et autres vermines de l'onde sont autrement néfastes.
Et puis, qu'on demande aux dirigeants de sociétés qui connaissent
bien leur affaire et qui ont repeuplé leurs cours d'eau en brochets. Ils vous
diront qu'ils prennent plus de poissons qu'autrefois, et qu'un gros bec de
quelques kilogrammes vaut bien un « tutu » immangeable.
Je ne répéterai jamais assez : « Repeuplons en
brochets. »
Et, pour terminer, un appel à la raison : « Que
les pêcheurs au lancer léger ne conservent pas des captures comme des manches
de couteau. Ils se font du tort à eux-mêmes, ils en font aux autres, et ...
on se moque d'eux. »
Marcel LAPOURRÉ.
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