Accueil  > Années 1950  > N°636 Février 1950  > Page 88 Tous droits réservés

La végétation aquatique

et son rôle dans la vie piscicole.

La végétation est un des éléments principaux de la richesse aquicole. Les cours d'eau alpestres, roulant sur des galets, sont privés de végétation phanérogamique. Aussi sont-ils pauvres, et le professeur Léger ne leur a jamais attribué que de faibles coefficients biogéniques, allant de 1 à 4.

Au contraire, les belles rivières à truites normandes, les « chalk streams », sont envahis d'une abondante végétation de potamots, de myriophylles, de callitriches. Ce sont, de loin, nos rivières les plus productrices en truites, et Léger leur affecte les coefficients biogéniques maxima, de 9 et de 10.

Il faut distinguer, dans la végétation aquatique : la flore verticale ou flore dure, composée de roseaux, de joncs, d'iris, de massettes, qui elle est nuisible, car elle occupe de la place, est incomestible et doit être faucardée ; et la flore immergée, composée d'espèces tendres et dont le rôle bienfaisant dans nos eaux est multiple.

Cette flore immergée sert parfois de nourriture directe aux poissons herbivores. La carpe, mais surtout la tanche et le gardon broutent les jeunes pousses de myriophylles, de potamots, de callitriches et même d'élodea. Certaines graines sont recherchées par la carpe.

Elle sert principalement de nourriture indirecte à la gent piscicole en servant d'aliment à la petite faune aquatique : mollusques d'eau douce (bythinie, planorbe, limnée), larves d'insectes, petits crustacés tels que le gammare, etc. Elle sert également de support à de nombreuses petites algues microscopiques qui, elles aussi, sont mangées par la petite faune.

Tout pêcheur sait que les touffes d'herbes immergées grouillent souvent de larves d'insectes et de gammares.

Elle sert d'abri aux alevins, qui peuvent ainsi échapper aux voraces. Elle abrite également les belles pièces des abus du braconnage, et même des pêcheurs à la ligne trop entreprenants. Elle donne de l'ombre aux poissons pendant les chaleurs estivales.

Mais son rôle principal est d'oxygéner et d'assainir l'eau. C'est la végétation aquatique qui, par l'assimilation chlorophyllienne et sous l'action de la lumière, décompose le gaz carbonique produit par la respiration des animaux aquatiques et les fermentations de la vase, et dégage l'oxygène nécessaire à la vie.

Il est facile de s'en rendre compte. Par les belles journées ensoleillées, il suffit de remuer les grandes touffes immergées de potamots ou de myriophylles pour voir ressortir en surface de nombreuses bulles gazeuses : c'est l'oxygène qu'elles ont produit en excès — et qui n'a pu se dissoudre dans l'eau qu'elles ont déjà saturée — qui se dégage.

La quantité d'oxygène produite par les plantes est très grande. On a mesuré qu'en une heure et demie une petite touffe, pesant 100 grammes, d'Elodea canadensis dégageait 88 centimètres cubes d'oxygène, cependant qu'une touffe de même poids de potamot (Potamogeton crispus) en dégageait 79 centimètres cubes, et qu'une semblable touffe de cératophylle en donnait 54 centimètres cubes.

Cette action est telle qu'elle entraîne, l'été, par temps de soleil, des sursaturations importantes de l'eau en oxygène.

C'est ainsi qu'on a pu mesurer, dans une eau à 18° où la saturation théorique en oxygène est atteinte à 7 centimètres cubes par litre dans une eau dépourvue de végétation, un dosage de 25 centimètres cubes d'oxygène par litre, soit une sursaturation de 365 p. 100.

L'assimilation chlorophyllienne des plantes, la nuit, en l'absence de lumière, cesse, et les plantes respirent. Des mesures ont montré que, dans un étang, l'oxygène est dissous en plus grande quantité le jour dans les touffes de végétation que dans les parties qui en sont dépourvues.

De même, l'oxygène dissous est beaucoup plus abondant en surface, où la végétation est abondante et bénéficie d'une luminosité meilleure, que vers le fond, où, à partir de 4 mètres, la luminosité est faible et la végétation médiocre. Les fermentations de la vase aidant, le taux d'oxygène dissous peut tomber dans le fond au-dessous du minimum vital, qui peut être de 2 centimètres cubes par litre pour les espèces les plus résistantes telles que la tanche ou l'anguille.

On voit donc le rôle capital joué par la végétation.

L'oxygène dissous doit être mesuré sur place. La méthode de dosage la plus pratique est la méthode Winckler, adaptée par Kreitmann. De telles analyses d'oxygène expliquent souvent certains faits de stérilité d'eaux vaseuses et profondes.

DELAPRADE.

Le Chasseur Français N°636 Février 1950 Page 88