L'origine du camping se perd-elle dans la nuit des temps, ou
bien le camping est-il une pratique moderne ? Aussi bizarre que cela
puisse paraître, on peut répondre affirmativement à ces deux questions.
Cela dépend, en effet, de la manière dont on définit le
camping. Si l'on entend par « camping » le fait de coucher la nuit,
en plein air, sous un abri de toile, alors, le camping a été pratiqué par les
hommes depuis des millénaires. Mais, si l'on attribue au mot camping le sens
d'une nouvelle méthode de vie au grand air, avec ses sports annexes : marche,
canoë, cyclisme, varappe, etc., alors le camping n'a pas plus d'une
cinquantaine d'années.
C'est, à mon sens, à cette dernière définition qu'il faut
s'en tenir. Disons qu'il y a eu, depuis les âges les plus reculés, des hommes
qui ont couché sous la tente et que, depuis la fin du XIXe siècle, il s'est
créé — par suite de l'immense développement des villes — un mouvement
qui ne va qu'en s'amplifiant vers la nature et la vie « au dehors »,
et qu'on a baptisé camping, car c'est chez nos amis anglais qu'il a, en
premier, vu le jour.
Toutefois, un campeur moderne ne peut se désintéresser de
tout ce qui touche à cette vie sous la tente qui lui procure tant de belles
heures, et je suis persuadé que les lecteurs du Chasseur Français seront
heureux de faire avec moi un petit tour chez ceux que j'appellerai les « précurseurs ».
* * *
Les précurseurs.
— Dans un ouvrage publié en 1946 (1), j'ai indiqué les
raisons qui me font penser que les premières tentes ont pu être utilisées dans
la période préhistorique du magdalénien, c'est-à-dire il y a environ dix-huit
mille ans, mais qu'il est plus vraisemblable de faire remonter l'emploi des
premières tentes au néolithique, c'est-à-dire vers 12000 à 10000 avant J.-C. En
effet, à la fin du magdalénien, les glaciers qui avaient envahi une grande
partie de l'Europe reculèrent définitivement. Et le climat s'adoucit à tel
point que, en maints endroits, il faisait beaucoup plus chaud qu'aujourd'hui.
Les rennes, habitués aux zones très froides, accompagnèrent
les glaciers dans leur régression et montèrent vers le nord, attirant derrière
eux les hommes qui en tiraient leur subsistance.
Or certains savants affirment que les Esquimaux et certaines
peuplades de l'Asie septentrionale sont les descendants les plus directs des
hommes magdaléniens.
Les Esquimaux et ces peuplades nordiques vivent encore de
nos jours sous la tente, perpétuant ainsi une coutume millénaire. Il y a donc
toutes les chances du monde pour que les premiers « campeurs » aient
vécu vers l'an 10000 avant notre ère.
Dans la période historique, les documents sont beaucoup plus
nombreux et l'on sort du domaine des hypothèses.
Trois catégories d'individus utilisèrent couramment la tente :
les soldats, les peuples nomades et, plus récemment, les explorateurs.
Les soldats.
— Depuis la plus haute antiquité, la tente fût utilisée
comme abri par les armées en campagne. L'Iliade ne nous fait-elle pas vivre les
péripéties du siège de Troie, et notamment la colère d'Achille qui, irrité
contre Agamemnon, le Roi des Rois, se « retire sous sa tente » ?
À la même époque, les Chaldéens, les Assyriens, les Hébreux avaient utilisé la
tente. Puis ce furent les Romains — grands guerriers — qui s'en
servirent constamment, et nous avons des documents qui nous décrivent la
manière dont ils montaient de vastes camps pouvant contenir plusieurs légions.
Les tentes, contenant dix hommes, étaient en peaux.
Après eux, les Huns, les Avars — ces damiers à l'abri
de leurs « rings » formés de murailles concentriques — montaient
des tentes ... Puis ce furent les armées franques, carolingiennes,
capétiennes, puis les Croisés qui les utilisèrent, puis toutes les armées
successives jusqu'à nos jours. Lors de la dernière guerre, n'avons-nous pas vu les
tentes allemandes camouflées de couleurs variées et le matériel américain,
comprenant depuis la tente individuelle jusqu'à la tente-hôpital, et dont on a
pu voir au cours de l'été 1949 un grand nombre faire les délices des campeurs
modernes ? ...
Les peuples pasteurs et chasseurs.
— Il est beaucoup plus intéressant d'étudier les
peuples nomades, pasteurs ou chasseurs, qui, depuis l'origine des temps, vivent
sous la tente.
Pasteurs ou chasseurs, ces nomades sont liés aux
déplacements du troupeau ou du gibier. Car les uns et les autres en tirent leur
subsistance — nourriture, habillement, abris. Ils doivent suivre le
troupeau domestique ou sauvage, et le troupeau, lui, se déplace pour trouver sa
pâture.
Parmi les plus connus des peuples pasteurs, citons :
les Lapons, en Europe ; les Mongols, les Kirghiz, les Thibétains, les
Samoyèdes, les Lamouths et les Koyakes, en Asie ; les Arabes, les Touaregs
et les Bédouins, en Afrique.
Les Lapons vivent dans le Grand Nord européen entre
le cercle polaire et le 71e degré de latitude nord.
Leur tente repose sur des perches de bois de 4 mètres de long
qui sont appuyées à mi-hauteur par une clef de voûte formée de quatre pièces de
bois incurvées. Cette armature est recouverte de pièces de toile à voile noire.
L'ensemble a 3m,50 de haut et 4 mètres de large et peut contenir
quinze personnes. Le sommet de la tente n'est pas clos — comme dans le typi
indien — et le feu se fait au milieu de la tente. La tente pèse dans les
200 kilos et est transportée par fragments de 20 à 30 kilos sur traîneaux ...
La tente mongole repose également sur une armature
constituée par un clayonnage en bois supportant des arceaux. Sur l'armature,
sont fixées par des cordes des plaques de feutre. La porte est rectangulaire et
se ferme également par un rouleau en feutre.
Les tentes kirghiz sont assez semblables, un peu plus
hautes que les tentes mongoles, et souvent faites en feutre blanc.
La tente thibétaine est rectangulaire, faite de bure
de laine noire. Elle couvre une surface de quatre pas carrés. Au sommet, une
ouverture pour la fumée, surmontée d'un faux toit. Un autre peuple asiatique,
les Kurdes, passe également sa vie sous la tente. Celle-ci ressemble à
la tente africaine, dont les images et les photos ont popularisé l'aspect. Ce
sont les tentes polygonales à mâts nombreux, pas très hautes, à l'exception
cependant de certaines tentes de chefs, dont la forme en coupole diffère
totalement des tentes classiques ...
* * *
Dans notre prochaine chronique, nous parlerons des
chasseurs, indiens et esquimaux, des explorateurs et du camping moderne.
J.-J. BOUSQUET,
Président du Camping-Club de France.
(1) Le Camping, évasion vers la nature, J.-J.
BOUSQUET, éditions Vigot Frères.
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