Il n’y a pas encore bien longtemps, les moyens de
destruction des insectes mis à la disposition des agriculteurs étaient des plus
rudimentaires. On conseillait alors de pratiquer le hannetonnage, de coller sur
le tronc des pommiers des bandes engluées chargées de détruire les chenilles
qui auraient l’imprudence de vouloir les traverser, de ramasser les doryphores,
ou de les faire ramasser, passe-temps quelque peu fastidieux, par les enfants
des écoles, d'effectuer des labours, en été, pour ramener les larves en surface
dans l'espoir que le soleil, les desséchant plus ou moins, les ferait périr.
Au vrai, on comptait surtout sur leurs ennemis naturels, c'est-à-dire
sur leurs parasites et sur leurs maladies, sur les intempéries, et en particulier
sur la rigueur de certains hivers et, enfin, sur les oiseaux, qui semblaient avoir
été créés à seule fin de nous débarrasser de ces êtres malfaisants.
Les temps ont bien changé par l’utilisation des arsenicaux
et de produits naturels comme les poudres de pyrèthre et surtout de roténone,
qui ont permis d'engager enfin une lutte méthodique, et souvent victorieuse,
contre le doryphore notamment.
Contre les pucerons, il a fallu recourir à la nicotine, qui
a donné de bons résultats, mais dont la toxicité et les difficultés d'emploi
limitent les applications.
Les plus grands progrès, qu'il n'est pas exagéré de
qualifier de sensationnels, ont été marqués par la mise en service des
insecticides généraux dits de synthèse : dichlorodiphényltrichloréthane
(D. D. T.), hexachlorocyclohexane (H. C. H.), sulfure de polychlorocyclane (S.
P. C.), thiodiphénylamine (phénothiazine), esters phosphoriques enfin, dont
l'action est encore mal connue. Ces produits, qui s'emploient, suivant les
circonstances, sous forme de poudres ou sous forme d'émulsions, agissent
efficacement et vigoureusement.
Ils n'ont pas éliminé les précédents, mais ils ont complété
l'arsenal mis à la disposition des agriculteurs qui, grâce à eux, peuvent
détruire doryphores et pucerons, mais aussi l'anthonome du pommier, les
charançons phyllophages, les psilles, le carpocapse, la cécidomie, les altises,
les méligèthes, voire la tenthrède de la rave. À cette liste, ajoutons les
mouches, plaies des habitations rurales. Malpropres, susceptibles de propager
des épidémies, elles corrompent les aliments, particulièrement la viande et le fromage.
Désagréables, elles rendent la vie pénible à l’homme et aux animaux
domestiques. Elles obligent à maintenir ces derniers dans l'obscurité, condition
hygiénique évidemment défectueuse ; elles les dérangent et les irritent,
ce qui a pour effet de nuire à leur engraissement ou à leur lactation, suivant les
cas. De toute façon, leur repos est troublé. Ajoutons que les étrangers
s'étonnent de voir autant de voir autant de mouches en France et que certains
n'hésitent pas a refuser de prendre leurs repas dans les restaurants qui en
sont infectés. On ne saurait les en blâmer.
La facilité d'emploi des nouveaux insecticides et leur extraordinaire
efficacité ont fait naître de grands espoirs, et certains esprits ont imaginé
la terre débarrassée du dernier insecte grâce à leur emploi généralisé. Avec la
diffusion de l'aviation, rien ne s’oppose, en principe tout au moins, à des
épandages couvrant champs, prairies et forêts, pourchassant le dernier insecte
dans sa dernière retraite.
Il faut un peu en rabattre, non seulement en raison du coût
de l'opération et des difficultés de réalisation pratique, mais en raison même
des inconvénients qu'elle présenterait.
Notons d'abord que la destruction ne saurait être totale et
qu'il faudrait donc, étant donnée la vitesse de prolifération des insectes,
recommencer périodiquement l'opération. La pullulation serait d'autant plus
rapide que leurs ennemis naturels seraient disparus, morts d'inanition. Il
n'est même pas exclu que les insectes survivants ne soient plus ou moins réfractaires
à l'action des insecticides, ce qui obligerait à trouver de nouveaux produits
pour les destructions ultérieures.
Si la plupart des insectes sont nuisibles, ou si, plus
exactement, nous nous intéressons plus particulièrement à ceux qui sont
nuisibles, il en est beaucoup d'autres qui ne nous font directement ni bien ni
mal, et auxquels nous ne prêtons pas grands attention. Certains d'entre eux,
cependant, nous rendent indirectement service en facilitant la pollinisation et
la fécondation de nombreux végétaux. D’autres servent de nourriture aux
oiseaux, et notamment à divers gibiers. Que diraient les chasseurs, qui
accusent déjà les arsenicaux de la disparition des perdrix ?
Il est enfin un troisième groupe d'insectes, extrêmement sympathique,
celui des insectes utiles, au premier rang desquels viennent les abeilles.
Celles-ci sont très sensibles aux insecticides, et si les
arsenicaux, qui agissent par ingestion, sont déjà dangereux pour elles, les insecticides
de synthèse, qui agissent par contact, le sont bien davantage encore. Le danger
est tel que des arrêtés ont été pris pour réglementer l’usage de ces produits.
Ils en interdisent, en particulier, l'utilisation sur les
arbres fruitiers pendant la période de pleine floraison, et de même sur les plantes
habituellement visitées par les abeilles. Cette interdiction s'étend aux arbres
forestiers ou d'alignement pendant la période d’exsudation du miellat.
En matière de destruction d'insectes, comme en bien
d'autres, un juste milieu doit être gardé et, s'il importe de pourchasser avec
énergie ceux qui causent du tort à nos cultures ou à nous mêmes et à nos
animaux, il faut prendre garde de nuire à ceux qui nous sont utiles, et
particulièrement aux abeilles, dont le miel était, ces dernières années encore,
si justement recherché.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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